Pierre Cheucle : le sens de la démesure

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Depuis 2012, Pierre Cheucle, 46 ans, a racheté chez Marcel et créé un second bistrot, La Gentiane, tous deux rue Stanislas (Paris 6e ). Ce personnage gargantuesque, qui cultive la générosité et la simplicité, a conquis une importante clientèle grâce à sa cuisine canaille, mais aussi à une organisation, un travail d’équipe et une précision millimétrée.

Pierre Cheucle.
Pierre Cheucle. Crédit : DR.

Lorsque ses clients sur le départ le saluent d’un « bon courage », le visage de Pierre Cheucle s’assombrit. Le restaurateur réplique : « Je n’ai pas besoin de courage pour faire mon travail, souhaitez-moi plutôt un bon amusement. » Ces deux derniers mots figurent d’ailleurs sur un des nombreux badges, offerts par ses employés et accrochés sur son tablier. Chacun de ces badges reprend quelques-unes de ses phrases favorites, répétées à loisir tout au long de la journée : « Oh punaise ! Sensas ! Un coup de Mâcon ? ». Cela fait 11 ans qu’il a racheté Chez Marcel (Paris 6e), un vieux bistrot de 34 places à proximité du boulevard du Montparnasse. Discrètement, misant uniquement sur le bouche-à-oreille, il en a fait une des adresses bistronomiques les plus courues de Paris. Chacun de ses services se joue à guichets fermés. Et dans la salle, on peut croiser quelques célébrités : écrivain, haut magistrat, chirurgien. Ils oublient leurs soucis quotidiens en venant dans cet établissement sans ostentation où Pierre Cheucle cultive la bonne humeur et une bonne dose d’humour. Ils restent sous le charme de la cuisine canaille du chef. Le carpaccio de cochon ou les ris de veau aux langoustines de Chez Marcel font chavirer, sans merci, toutes les bonnes résolutions diététiques. Tout est resté dans l’état où l’a laissé Marcel Laplace, qui avait accroché son prénom sur l’enseigne en 1956. Huit ans plus tard, il avait quitté Paris pour aller exercer ses talents dans le Beaujolais. Aujourd’hui âgé de 91 ans, il vient de temps à autre en visiteur rue Stanislas. Marcel Laplace était d’ailleurs présent pour le centenaire du bistrot, en 2019. Pour célébrer cet anniversaire, une grande fête s’est déroulée dans la rue, autour de 650 personnes, et animée par une vingtaine de majorettes masculines. À cette occasion, Pierre Cheucle a battu le record du monde du plus long carpaccio de cochon (33 m). Une manifestation qui en dit long sur le sens de la démesure et la générosité de ce personnage gargantuesque.

Être précis tous les jours.
Pierre Cheucle, Propriétaire de Chez Marcel et La Gentiane

En 2015, il a racheté un restaurant grec de la rue Stanislas pour y créer un second bistrot qu’il a baptisé La Gentiane. Cet apéritif fait partie de ses passions. S’il vénère la gentiane Couderc, fabriquée à Aurillac par son ami Jean-Jacques Vermeersch, il propose à ses clients derrière le comptoir 31 variétés de gentiane. Alors que Chez Marcel, le patron a gardé intact le décor, à La Gentiane, Pierre Cheucle a pu donner libre cours à sa fantaisie, en assumant un côté kitch débridé où figurent en bonne place des boules à facettes, des portraits de Johnny Hallyday – une de ses idoles – mais aussi de nombreux objets et affiches liés au cochon. Ce restaurant a tardé à décoller. Au départ, Pierre Cheucle a voulu différencier l’offre de ses deux bistrots. Mais depuis quelques années, les cartes sont pratiquement identiques. La Gentiane évolue presque au même niveau de fréquentation que celui de Chez Marcel. Pierre Cheucle a toujours rêvé d’être restaurateur. Même si ses parents exerçaient une profession différente, sa mère a aménagé la maison familiale du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) à la manière d’une grande auberge qui accueillait de nombreux invités. Pierre a grandi dans cet esprit de fête. Après avoir obtenu un diplôme dans une école de commerce, il a vendu de la téléphonie en Espagne. Mais à 26 ans, il décide de se laisser une chance pour suivre sa vocation initiale de cuisinier. « J’ai visé haut en envoyant une lettre à Paul Bocuse. Un mois plus tard, Jean Fleury m’accueillait dans les cuisines de L’Est, à Lyon. » Pendant neuf ans, il écume les grandes brigades, du Sketch de Pierre Gagnaire, à Londres, au poste de chef Chez Brigitte (Paris 17e) en passant par un long séjour au Bristol (Paris 8e) sous la houlette d’Éric Fréchon, à qui il voue beaucoup d’admiration : « Il fait preuve d’une précision de tous les instants, un modèle de régularité. » Dans ses bistrots, Pierre Cheucle tient aussi à « être précis tous les jours » et à défendre avec son équipe « des valeurs simples : simplicité, honnêteté et gentillesse… Que l’on met en pratique avec les clients, mais aussi entre nous ». Il veille à la cohésion de ses salariés et sait les motiver. Il a renoncé à la coupure, propose des emplois du temps souples et organise régulièrement des sorties avec tout son personnel. Il sait d’ailleurs s’entourer de professionnels compétents, à l’image de son chef Bertrand Dubuc, un ancien cuisinier d’Éric Fréchon. Derrière l’apparente décontraction du patron, tout est minutieusement préparé. Aucun détail n’est négligé durant la mise en place. « Le véritable travail, c’est avant le service, assure-t-il. Pour moi le coup de feu, c’est le moment de la récréation, la fête. »

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