Plus qu’un restaurant

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Un restaurant avec une épicerie, une boulangerie ou encore une poissonnerie. Les établissements proposant des services complémentaires fleurissent depuis une dizaine d’années en France. Attirer une nouvelle clientèle, engendrer du chiffre d’affaires, valoriser des produits locaux… Les avantages sont variés, même s’il faut rester cohérent dans son offre.

Épicerie/restaurant
Des lieux hybrides. Crédit : DR.

À Bidart (64), l’auberge Koskenia domine la place principale du bourg avec une vue au loin sur la Rhune et l’océan. Ici, le client trouve tout ce dont il a besoin : des bons plats dans l’assiette, des produits locaux en vente directe dans la boutique et une chambre pour dormir. En effet, cette auberge-restaurant-épicerie propose trois services différents à ses clients. Le triple concept faisait partie du cahier des charges de la mairie, pour redonner vie à cet ancien bâtiment classé des PTT. Les trois activités sont gérées simultanément et en collaboration.

Si l’épicerie de Koskenia ne représente qu’environ 10% du chiffre d’affaires du restaurant, elle reste un atout indéniable pour Koskenia. « Pendant le Covid, grâce à l’épicerie, l’auberge a pu rester ouverte, indique David Delmas, qui a repris l’établissement il y a un an. Les gens venaient faire leurs courses ici. » Les acheteurs sont parfois des clients du restaurant ou de l’hôtel, mais, le plus souvent, ce sont des habitants qui s’approvisionnent en produits locaux. « 70% des produits à Koskenia sont vendus en exclusivité, les producteurs font les marchés, mais ils n’ont pas de boutique de vente, donc les gens viennent exprès chez nous les chercher », ajoute-t-il. La gestion de l’épicerie par les employés est assez simple. Afin de ne pas avoir à stocker les produits et avancer de gros frais d’achat, Koskenia a choisi de fonctionner en dépôt-vente avec ses fournisseurs à l’année. « On facture au mois ce qu’on a vendu et tout le monde s’y retrouve, ça leur fait un point de vente qu’ils n’auraient pas eu », détaille David Delmas. Des biscuits, du piment d’Espelette, du fromage de brebis, du miel, du jambon de Bayonne… Ces produits 100 % locaux apportent du passage et fidélisent la clientèle.

Double activité 

À plusieurs centaines de kilomètres, La Maison Louvard, dans le 9e à Paris, a choisi un concept de restaurant bistronomique et de boulangerie. Selon les responsables de l’établissement, les deux activités se valent en termes de chiffre d’affaires et d’espace. La gestion est faite comme si c’était deux entreprises différentes en termes de développement et de recrutement. À Marseille, à la Bonne Mer, la logique se fait de l’étal à l’assiette. La raison de vivre de cet établissement, c’est la traçabilité, la transparence et les circuits courts. Quatre associés ont inventé une poissonnerie moderne en proposant de déguster la pêche du jour sur place. C’est en se rendant compte qu’aucune poissonnerie n’avait subsisté dans le quartier le plus emblématique de Marseille, Vauban, qu’ils ont créé cet établissement en 2021.

« Aujourd’hui, les gens veulent savoir ce qu’ils mangent, encore plus après le Covid. Passer du banc de poissons à l’assiette, il n’y a pas plus transparent, relève Julien Luccioni, un des cofondateurs. Le Covid a remis le commerce de proximité en lumière. » Leur chiffre d’affaires se répartit environ à 75% en dégustation et 25% en poissonnerie. « On fait plus de marges en restauration, notamment sur les boissons, alors que sur le poisson, on ne peut pas si on veut garder des prix abordables, précise-t-il. Si on a des invendus, on les met à la carte. Il n’y a aucune perte et on travaille en flux tendu, en fonction des arrivées, la carte change chaque semaine. » Avec une cinquantaine de couverts, cinq associés se répartissent le travail, sans mélanger les deux activités « même si tout le monde sait écailler un poisson ». La gestion et le développement stratégique restent communs, car « la dégustation est liée corps et âme à la poissonnerie, la base de tout, sans poisson on n’a plus rien ». Si la pierre angulaire du projet est la poissonnerie, ces quatre associés marseillais pensent déjà à ajouter une épicerie marine dans la salle.

Un développement timide 

Depuis une dizaine d’années en France, les services complémentaires — qui viennent enrichir l’offre principale de l’entreprise — se développent discrètement, tandis qu’aux États-Unis, le concept est déjà commun. Pour les restaurants, ouvrir une épicerie ou un point de vente permet de dégager une nouvelle source de revenus, mais il faut que celle-ci compense le manque à gagner de la perte d’espace. En revanche, cela peut aussi rentabiliser des petits espaces non aménageables. Pour Bernard Boutboul, directeur du cabinet de conseil Gira, si le concept ne se développe pas plus en France, c’est parce que « le consommateur ne comprend pas ». « Ça ne fait pas un carton comme aux États-Unis où ils sont habitués à la mixité des commerces, poursuit-il. Je pense que ça pourrait mieux marcher en informant le client avec. de la PLV et de la communication efficaces. »

Il pense toutefois que ce type de modèle est porteur. « Un primeur qui va faire des soupes ou des jus de fruits, un restaurant où on va choisir son poisson directement sur l’étal, un boucher chez qui on mange de la viande, quoi de mieux, soutient-il. C’est prometteur, car le consommateur a de plus en plus besoin d’être rassuré sur la provenance des produits. Selon lui, certains concepts sont “logiques”, d’autres “plus farfelus” comme le restaurant bijouterie ou le restaurant fleuriste, qui peuvent poser question au niveau du sens et de l’hygiène ».

Selon le directeur du cabinet de conseil, il y a toujours une activité qui prend le pas sur l’autre. « L’idéal serait une répartition du chiffre d’affaires à 50-50 mais il y a toujours une des deux activités qui prédomine et l’autre qui pèse très peu », précise-t-il. Au niveau de la législation, comme la part des chiffres d’affaires est souvent inégale, le professionnel choisit l’activité qui le définit le plus. Par exemple, Koskenia est inscrit sur le Code de la restauration alors que La Bonne Mer sur le Code de la poissonnerie et la Maison Louvard, dont les deux activités sont équivalentes, est inscrite depuis peu sur les deux codes. « Si les commerces venaient à faire une double activité sur un seul Code, Bercy réagira avant nous », souligne Bernard Boutboul.

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