Pommes de terre et frites : nouveaux codes

  • Temps de lecture : 8 min

Le succès de la pomme de terre ne se dément pas au restaurant. Ce tubercule continue de plaire sous toutes ses formes et se renouvelle. La catégorie de produits prend de nouvelles directions. Elle innove à la fois pour faciliter l’usage des professionnels et pour conquérir de nouveaux moments de consommation.

Plat de pommes de terre
Plat de pommes de terre. ©Jayden Brand

La pomme de terre reste en tête des aliments incontournables pour les Français. C’est donc un ingrédient repère dans la restauration hors domicile. Quelle que soit sa préparation, elle séduit 50% des consommateurs lorsqu’ils fréquentent la restauration traditionnelle. En restauration rapide, elle trouve aussi son public, mais dans une mesure plus restreinte (32% en consomment souvent). « La pomme de terre est de loin le produit qui remporte le plus de succès chez nous, note Yann Le Moal, directeur recherche et développement chez Traiteur de Paris. Les produits qui en sont composés sont des valeurs sûres. D’autant plus que cet ingrédient s’accorde avec de nombreux autres, ce qui le rend très accessible. »

Si elle a pu être mésestimée, la pomme de terre renoue avec la créativité. Les restaurateurs s’en saisissent comme une occasion d’apporter plus de valeur à leurs plats. De plus, la frite a clairement la cote. Qu’elle soit surgelée ou fraîche, elle est déclinée désormais sous des formes et des textures différentes. La pomme de terre, de par son faible niveau calorique et sa compatibilité avec un large panel de régimes alimentaires, se présente de plus en plus comme un atout.

La frite fraîche gagne du terrain

Les Français lient spontanément les termes agriculture (94 %) et goût (92 %) lorsqu’on évoque la pomme de terre fraîche. Désormais gage de qualité et de fait-maison, de plus en plus de restaurateurs misent sur la frite fraîche. Un choix stratégique, notamment du point de vue de la main-d’œuvre dans un contexte où elle est particulièrement rare. « Cela a été long à se mettre en place en restauration, se rappelle Amandine Fouquet, gérante des Frites Mercier, producteur normand de pommes de terre et de frites fraîches. Nous avons commencé par convaincre les restaurateurs qui réalisaient déjà leurs frites maison et épluchaient et découpaient donc les pommes de terre. Nos produits leur font gagner du temps peu valorisé qu’ils consacrent par exemple à la réalisation de desserts maison, ou simplement leur font économiser de la main-d’œuvre. »

Dorénavant, l’entreprise travaille exclusivement avec les CHR et livre 25 à 60 tonnes de frites fraîches selon les semaines. De son côté, le producteur de pommes de terre François a la patate. Installé dans le Val-d’Oise, il s’est adapté aux contraintes des restaurateurs, l’essentiel de sa clientèle. « La bistronomie nous demande de plus en plus de pommes de terre lavées, explique Yannick François, P-DG de l’entreprise. On travaille donc des variétés avec des peaux les plus fines possibles. Les restaurateurs cherchent à se passer de l’épluchage et à avoir un côté plus authentique. »

Depuis quelques années, il a fait de la variété Voyager un de ses best-sellers pour la préparation en frites. En plus de cocher toutes les cases de la mise en œuvre, elle offre également une saisonnalité très large. Travailler avec de la frite fraîche implique en outre une vigilance accrue sur les standards de qualité, tout au long de l’année. Les Frites Mercier ont ainsi choisi de miser sur une variété unique, la Nasca, particulièrement régulière dans le temps, en plus d’être goûteuse. « Le fait d’avoir cette production très linéaire nous permet de stabiliser le goût et les critères de cuisson tout au long de l’année, tout comme une frite surgelée », assure Amandine Fouquet.

Une nécessité pour les restaurateurs qui doivent établir des procédés et former les équipes en conséquence. Si la pomme de terre fait de plus en plus d’adeptes pour toutes ces raisons, l’enjeu principal réside néanmoins dans la gestion des stocks. Avec une DLC d’une semaine environ, l’approvisionnement doit être tenu au cordeau en partenariat avec un fournisseur réactif. D’autant qu’avec un produit généralement plus onéreux, l’impact des pertes est plus important. « Le marché de la pomme de terre est très tendu cette année. En ce moment, je suis même obligée de refuser des demandes, note Amandine Fouquet. Cela avantage la frite fraîche car nous sommes plutôt bien placés en termes de prix et nos chiffres sont en perpétuelle évolution. La frite fraîche crue a un bel avenir. »

Du croustillant à tout prix

L’évolution des modes de consommation a directement impacté l’expérience client en matière de pommes de terre, notamment les frites. Mais l’enjeu principal réside dans le croustillant. Auquel il faut ajouter le chaud, bien entendu. Avec l’explosion de la livraison, les fabricants ont mis au point des produits plus techniques, capables de supporter le trajet. « C‘est essentiel pour la réussite de l’expérience client avec ce produit. Les frites doivent être au même niveau que si elles étaient dégustées au restaurant », estime Laure Miquelard, responsable marketing foodservice France chez McCain.

On a ainsi vu apparaître la gamme Sure Crisp chez McCain ou encore Hot2Home chez Lamb Weston, désormais remplacée par une nouvelle référence, la Really Crunchy, plus aboutie. La marque planche aussi sur le sujet depuis plusieurs années en développant des enrobages spécifiques. Ces derniers permettent aux produits de conserver tenue et chaleur plus longtemps qu’une frite classique.

« La croustillance est le premier attrait recherché par les consommateurs avant même la chaleur. »
Cédric Guillemette, country sales manager chez Lamb Weston

« La mise au point de cette nouvelle gamme a pris énormément de temps car elle utilise une technique d’enrobage à base de pois encore jamais utilisée sur le marché », explique Cédric Guillemette, country sales manager chez Lamb Weston. La promesse : des frites croustillantes jusqu’à 30 min et chaudes pendant 20 min. « La croustillance est le premier attrait recherché par les consommateurs, avant même la chaleur, souligne-t-il. Le fait d’avoir un produit refroidi, mais qui garde sa croustillance reste conforme pour le client, un peu comme une chips. »

Pour cette référence, la marque a aussi choisi de conserver la peau pour « l’aspect du fait maison mais aussi pour la couleur plus brune qui plaît bien aux consommateurs français qui l’associent à une friture plus longue et donc à une frite mieux cuite. » Au delà même de l’expérience client, c’est aussi celle des utilisateurs qui évolue. Les techniques d’enrobage mises au point par les fabricants intéressent de plus en plus de restaurateurs, même en dehors de la restauration livrée. « On commence à travaille aussi avec de grandes brasseries, qui ont de gros débits et où le produit doit parfois patienter un peu avant le service, puis durer à table pour une dégustation prolongée, poursuit Cédric Guillemette. Cette tendance se généralise très fortement. »

McCain prend également le virage et présentera de nombreux produits en lien avec ces préoccupations, au cours du premier semestre 2024. « La livraison et la vente à emporter sont un angle de travail important pour nous, confirme pour sa part Laure Miquelard chez McCain. Nous voulons diversifier nos gammes pour que les restaurateurs aient plus de choix sur des produits qui répondent en tout point à leurs besoins. »

Quant au fournisseur de pommes de terre François a la patate, il a également constaté un tournant dans le besoin de « produits solution ». « Nous travaillons à façon pour des groupes de restauration, notamment sur des calibres et des variétés spécifiques, indique Yannick François. Mais la demande la plus importante concerne la rapidité de mise en œuvre. Nos clients veulent des pommes de terre lavées et à peau fine pour éviter l’épluchage à la fois pour l’incidence économique puisque tout le produit est valorisé, mais aussi pour des questions de main-d’œuvre. »

Un produit fun et convivial

« Les frites sont consommées à 70% au restaurant, donc c’est clairement un produit plaisir », note Cédric Guillemette de Lamb Weston. La marque investit donc ce segment avec une référence à la patate douce, la Sweet potato crispy fries, dotée là aussi d’un enrobage pour conserver sa croustillance. « La patate douce répond à une tendance très forte de cuisine du monde sur le marché français, observe-t-il. Elle apporte de la différenciation, par le goût, notam-ment aussi parce qu’on l’épice légèrement. Mais la texture aussi est différente. »

Autre nouveauté, après les chips, les déclinaisons à base de légumes conquièrent également le marché des frites. McCain lancera en octobre les Veggie fries, à base de betterave, carotte et panais. Le produit avait déjà fait une incursion sur le marché de la restauration en mars dernier à travers un test consommateur grandeur nature avec une offre éphémère dans le réseau Mc-Donald’s. « Nous ciblons les enseignes fast casual mais aussi la restauration à table, souligne Laure Miquelar. L’idée principale
est d’amener de la convivialité et du fun par la couleur, notamment vis-à-vis des plus jeunes.
» La marque travaille particulièrement l’angle de la convivialité et de l’exclusif sur ces nouvelles gammes, en imaginant des découpes inédites mais aussi en travaillant des produits avec la peau pour apporter d’autres goûts et couleurs. « Les nombreux temps forts à venir autour du sport nous incitent à développer notre offre autour des appetizers et de la finger food, ajoute-t-elle. De plus en en plus de restaurateurs mettent des petites portions de spécialité aux pommes de terre sur leurs planches. Cela permet notamment de rectifier ou de mieux maîtriser le coût matière, tout en amenant de la convivialité. »

La pomme de terre devient donc un élément différenciant, là où elle avait quelque peu perdu du panache. « La pomme de terre a juste besoin qu’on l’anime un peu pour sortir du classique vapeur ou frite, estime Fanny Devisme de Traiteur de Paris. En allant au restaurant, on cherche quelque chose de plus travaillé, de différent. » L’entreprise souhaite se différencier sur ce marché très concurrentiel avec une gaufre de pomme de terre, lancée juste avant l’été. « C’est une autre façon d’amener le gratin de pommes de terre, mais aussi une manière internationale de l’aborder », souligne Yann Le Moal.

L’utilisation se veut en effet polymorphe, en support d’une composition ou comme star de l’assiette, notamment pour conquérir d’autres moments de consommation, comme le petit-déjeuner, le brunch ou l’apéritif. « Il peut aussi se positionner comme alternative pour les régimes sans gluten, en remplacement d’un pain à burger ou d’une tartine. Sa face plate sur le dessous facilite ce type d’utilisation », détaille-t-il. Autre atout dans sa manche, une cuisson au four et non à la friteuse et une remise en température qui parfait la coloration et la croustillance, sans matières grasses. Sans nul doute, la pomme de terre n’a pas fini d’étonner.