Allons-nous vers l’interdiction de fumer en terrasse ?
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La clientèle installée en terrasse ne pourrait plus allumer une cigarette, en « griller une », au nom de la salubrité publique et, surtout, de la volonté de la Commission européenne. De quoi fragiliser encore un peu plus les acteurs des CHR. Un match perdu d’avance ? Pas certain…
Le 10 janvier 1991 marque l’entrée en vigueur de la loi Evin. Son objectif principal est alors de lutter contre le tabagisme en créant des zones « non-fumeur » dans les cafés et autres lieux recevant du public, tout en augmentant le prix des cigarettes. Quelques décennies plus tard, plus personne ne fume à l’intérieur d’un établissement fermé. En revanche, il est toujours possible d’allumer une clope en terrasse. Cette liberté, où le couple fumeur et non-fumeur a trouvé un équilibre de bon aloi, pourrait disparaître. L’origine de cette idée, pour le moins inattendue, d’interdire de fumer en terrasse vient d’une recommandation de la Commission européenne aux États membres. Celle-ci souhaiterait donc abolir cette pratique. Petit point juridique : ce n’est pas encore une obligation. La recommandation est le second niveau des actes non obligatoires émis par l’UE, le premier étant un avis. Ensuite, viennent les règlements, les directives et les décisions, lesquelles s’imposent à tous les membres de l’Union. Autrement dit, rien n’est joué, mais le Gouvernement actuel, voire les suivants, pourrait très bien décider d’appliquer cette règle pour le moins dommageable pour le chiffre d’affaires des cafés, bars et autres. Que préconise cette recommandation européenne ?
Les fumées secondaires
Cette recommandation de la Commission européenne date du 17 septembre 2024, avec comme intitulé « Les environnements sans fumée, ni aérosols ». Elle remplace celle du Conseil datant de 2009 (2009/C 296/02). Que dit-elle ? « Assurer une protection efficace contre la fumée secondaire et les aérosols, dans toutes les zones extérieures ou semi-extérieures. Par exemple, les zones partiellement couvertes, entourées de murs, clôturées ou autrement délimitées à côté ou à proximité d’un établissement, y compris les toits, les balcons, les porches ou les patios, associées aux établissements de services. Il s’agit des espaces extérieurs des restaurants, bars, cafés et autres espaces similaires », souligne la Commission. En résumé, la nouvelle initiative européenne recommande aux États membres d’étendre les politiques de lutte contre le tabagisme aux principaux espaces extérieurs, afin de mieux protéger les citoyens de l’UE, en particulier les enfants et les jeunes. Le Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR) s’oppose tout naturellement à une telle éventualité. Sans compter qu’une telle interdiction ne serait pas sans conséquences économiques, financières et sociales. D’autant que, aujourd’hui, les professionnels de l’hôtellerie-restauration respectent scrupuleusement l’interdiction de fumer au sein de leurs établissements ainsi que sur les terrasses fermées pour des raisons de santé évidente de leurs clients et de leurs collaborateurs. Et ces derniers s’opposent fermement à toute extension d’une telle interdiction sur les terrasses en plein air.
Une mesure peu opportune
« J’aurais préféré une Commission européenne plus active sur la question de la facture énergétique. »
Pour Laurent Fréchet, président de la branche des restaurateurs au GHR, « les terrasses ouvertes des cafés et des restaurants restent l’un des derniers lieux de convivialité où se côtoient fumeurs et non-fumeurs. Lorsqu’un client est gêné par la fumée, le fumeur éteint sa cigarette. Voire se déplace. Nous n’avons vraiment pas besoin d’une loi ou d’un décret pour vivre ensemble ». Et Catherine Quérard, présidente du GHR, d’ajouter : « Les cafés et restaurants qui disposent de terrasses y réalisent en moyenne 30 % de leur chiffre d’affaires. Se priver des fumeurs sur nos terrasses aurait de lourdes conséquences en termes de chiffre d’affaires et d’emplois. » Et de poursuivre : « Il est évident que ce n’est pas ce genre de mesures que les Français attendent de l’Europe. Il existe des sujets bien plus importants à traiter. J’espère que le (futur) Gouvernement français ne fera pas l’erreur d’interdire de fumer sur nos terrasses. ».
Un gouvernement à l’écoute ?
Même son de cloche de la part de Frank Delvau, président exécutif de l’Umih Paris-Île-de France. Pourrait-il, du reste, en être autrement ? « Nous sommes naturellement contre. J’aurais préféré une Commission européenne plus active sur la question de la facture énergétique, laquelle a été multipliée jusqu’à six fois. » Et, après un bref silence, de renchérir : « Il est grand temps d’arrêter les interdictions. L’univers du CHR a déjà réalisé de grandes avancées, comme le fait d’arrêter de chauffer les rues. Dans le cas de cette nouvelle recommandation, la Commission met la charrue avant les bœufs. Elle ferait mieux de s’attaquer à la contrebande de cigarettes. Il est trop facile de s’attaquer à nous, alors que beaucoup d’acteurs connaissent des difficultés financières. » Du reste, l’Umih réclame, entre autres, une suspension du PGE (Prêt garanti par l’État) et la possibilité de sortir sans indemnités de la facture énergétique. Quant à savoir si la nouvelle ministre du Tourisme, Marina Ferrari, pourrait intervenir auprès de Bruxelles, le président exécutif de l’Umih Paris-IDF n’y croit pas un seul instant. « Le Gouvernement a d’autres soucis à traiter et de nombreux dossiers à traiter. » Quoi qu’il en soit, la loi Evin est appliquée et respectée. L’application de cette recommandation européenne alourdirait encore plus la barque des bars, cafés et restaurants. Dans ce cas, pourquoi ne pas interdire finalement les terrasses ? Cela agrandirait au moins les trottoirs, pour la plus grande joie des piétons…