Jouer avec l’influence

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« Top 3 de mes restaurants préférés à Bordeaux »,« Top 5 des meilleurs restaurants où manger une pizza à Paris »… Ces publications sont devenues monnaie courante sur les réseaux sociaux. Avec leur avènement et celle de la notion d’influence, les restaurants n’échappent pas à la tendance. Un simple post peut faire venir des centaines de clients dans un établissement. Rencontre avec ces « clients-ambassadeurs » ou plus généralement nommés « influenceurs ».

Influenceurs food
Parfois, les influenceurs ne demandent pas à être rémunérés, mais juste à être invités. Crédit : Unsplash

Emanouela, Marie et Fiona. Toutes ont entre 25 et 35 ans et ont comme point commun de se définir comme des passionnées de food et des chineuses de nouveautés culinaires dans leurs villes respectives. Leurs histoires sont quasi similaires. Elles ont commencé à être celles vers qui leurs amis se tournaient pour avoir des conseils et des bons plans de restaurants. Avec la récurrence des demandes, elles ont décidé de créer un compte Instagram dédié à leur passion, afin de recenser l’ensemble de leurs trouvailles. Puis, post après post, leurs comptes ont pris de l’ampleur et ont vu leur nombre d’abonnés augmenter, jusqu’à atteindre quelques dizaines de milliers de followers. Les voilà devenues « influenceuses food ».

« Au début je faisais juste ça pour mes amis, puis j’ai eu envie de me souvenir de ce que je découvrais donc j’ai créé mon compte, comme pour avoir une veille autour du secteur de la food. Désormais, je suis démarchée par des agences de communication ou directement par des restaurateurs », explique Marie Veyrenc, alias « Vivons Food » sur les réseaux sociaux. L’influenceuse, située à Paris, propose différents niveaux de prestation, qui, pour le restaurateur implique soit une simple invitation pour deux personnes, soit une rémunération. « La plupart du temps, je me fais inviter et si l’expérience m’a plu, je fais une story [vidéo de format très court ou image publiée sur les réseaux sociaux, NDLR] », détaille-t-elle.

Quand la demande est un peu plus poussée, comme la création d’une vidéo promotionnelle, appelée « réel » sur Instagram, la jeune femme demande à être rémunérée. Une activité qui lui permet de se sortir un complément de revenus de quelques centaines d’euros par mois et qui vient s’ajouter à son activité principale : « consultante en influence dans la restauration ».

Même son de cloche du côté de Fiona Ythier, connue sous le nom de « Mange ris aime » sur Instagram et Tiktok. « On me demande si je suis intéressée pour venir découvrir une adresse ou une nouvelle carte. À partir du moment où je suis démarchée, le repas est offert, explique-t-elle. Si le restaurant a une demande de prestation précise, alors je fais un devis et je demande à être rémunérée. S’il n’y a pas de demande spécifique et que j’ai un coup de cœur pour l’endroit, alors je fais une story qui est offerte. J’y tiens car toutes les adresses n’ont pas toujours du budget », justifie-t-elle.

S’adapter aux restaurateurs

Parmi les prestations payantes, elle cite la publication de photos, de vidéos ou encore l’organisation de jeux concours. « Je fais payer la charge de travail. Cela peut aller de quelques dizaines à quelques centaines d’euros, en fonction de la typologie du post », précise l’influenceuse basée à Bordeaux. Une charge de travail appuyée par Emanouela Todorova, qui tient le compte «Do you Miam » sur Instagram. « Tu ne prends aucun plaisir quand tu vas manger au restaurant et que t’es influenceur, commente-t-elle. Tu dois faire des photos, choisir les plans, faire de la vidéo. À aucun moment tu profites de ton repas. »

Installée à Strasbourg, elle aussi a fait le choix de la gratuité pour ses stories. « On me contacte pour venir manger et découvrir une adresse. Le restaurateur attend forcément un retour. Souvent, je fais une story gratuitement puis si la demande est plus poussée je demande le budget. Les restaurateurs n’ont pas toujours les moyens et j’essaie de m’adapter », déclare-t-elle. Un budget qui peut parfois atteindre le millier d’euros pour certains posts. Les trois jeunes femmes ne sont cependant « que » des « micro-influenceuses ». Leur compte étant suivi par quelques dizaines de milliers de followers.

Les gros comptes affichant des centaines de milliers d’abonnés peuvent demander jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros pour un simple post. Les trois influenceuses précisent cependant ne jamais se sentir obligées de réaliser une publication. « Si l’expérience ne me plaît pas, je préfère ne rien faire. Je ne veux pas mentir à mes abonnés, car je le fais avant tout par passion », confie Marie, qui souhaite ainsi respecter une certaine ligne éditoriale et être en accord avec les valeurs de l’établissement qu’elle promeut. Un engagement qu’elle a pris vis-à-vis de ses abonnés. « Je fais attention aux restaurants que je sélectionne. Je regarde toujours la saisonnalité, le sourcing des produits. On n’est jamais irréprochable à 100% mais l’aspect éthique et environnemental est important pour moi », ajoute-t-elle.

Bien choisir ses influenceurs

De son côté, Emanouela Todorova a choisi pour fil conducteur : « où bien manger sans se ruiner », alors que Fiona Ythier se demande si elle serait venue d’elle-même. « Je me pose toujours la question avant d’accepter une collaboration, je me demande si l’établissement est cohérent avec la ligne que je veux donner à mon compte. Il faut que ça matche entre le restaurant et l’influenceur, c’est une relation gagnant-gagnant », affirme la Bordelaise.

Pour les restaurateurs, il n’est pas toujours évident de faire appel à ce genre de services, ni savoir par où commencer. « Faire matcher les établissements et les bons influenceurs », voilà un concept dont Sophie Ribaud a fait sa spécialité. Cette dernière est à la tête de l’agence de communication Woki Toki, spécialisée dans la gastronomie et l’art de vivre.

Dans son agence de communication, elle sélectionne pour ses clients un panel d’influenceurs qu’elle leur propose ensuite. « Il y a des influenceurs de tous types. Il faut juste bien les choisir, qu’ils correspondent à l’ADN de l’établissement en question. Mon travail est de sélectionner des influenceurs sur mesure. Par exemple, si un restaurant a des ambitions étoilées, on va en choisir qui connaissent bien la gastronomie », illustre-t-elle. Elle différencie les influenceurs gastronomie de ceux plus spécialisés « lifestyle », qui seront plus à même de mettre en avant la décoration du lieu ou encore un concept novateur. « L’influence se prête particulièrement aux restaurants dans l’ère du temps, ceux qu’on a envie de photographier où l’expérience va au-delà de l’assiette », ajoute-t-elle.

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Inviter des influenceurs dans son restaurant peut permettre de se faire connaître. Crédit : Elevate / Unsplash

Des retombées difficiles à mesurer

Pour la directrice associée de l’agence, il n’est pas toujours pertinent de viser les « gros » : « Le fait de prendre plusieurs influenceurs, même s’ils n’ont pas des centaines de milliers d’abonnés, permet de générer un effet “ the place to be ” pour l’établissement. » Une stratégie qu’a adoptée le restaurant Maslow, ouvert à Paris, dans le 1er arrondissement depuis mai dernier. Un établissement à la décoration atypique, ancré dans une démarche de « low impact ». « Nous avons invité une trentaine d’influenceurs, sensibles à notre démarche, pour découvrir le lieu. Nous n’avions aucune demande particulière à leur imposer. Ils étaient libres de faire comme ils avaient envie », relate Marine Ricklin, une des co-fondatrices.

Elle souligne que les retombées sont difficiles à mesurer, mais assure que l’impact est non négligeable. « L’influence est désormais un levier incontournable, et facilement activable, pour faire connaître un établissement. Le mot “ influence” peut avoir mauvaise réputation mais dans le milieu de la restauration c’est relativement “ sain ”, ce sont juste des passionnés. Il est très rarement question d’argent, la plupart du temps ça se traduit juste par une invitation. Cela permet d’être présent en termes de communication sans avoir à y consacrer un gros budget », expose-t-elle, mettant en avant l’instantanéité du procédé contrairement à d’autres stratégies de communication.

Toucher une nouvelle clientèle

Un avis partagé par Sophie Ribaud, qui souligne cependant la frilosité de certains restaurateurs à passer le pas. Elle considère toutefois que la pratique est devenue un passage presque inéluctable pour les ouvertures. «Les influenceurs ont une force de frappe phénoménale et les restaurateurs ne peuvent plus se permettre de passer à côté. Un simple post peut faire gagner à un établissement des milliers d’abonnés sur leurs réseaux sociaux et générer une augmentation significative de leurs réservations, expose la communicante. Avant, tout se jouait dans la presse. Aujourd’hui, l’audience est polarisée. Il y a toujours des lecteurs assidus des journaux, mais ils ne sont pas de la même tranche d’âge que ceux sur les réseaux. Les restaurateurs se privent d’une partie de leur clientèle potentielle s’ils ne communiquent pas sur les réseaux sociaux », conclut-elle.

Toutefois, l’influence, une pratique à deux facettes, rapide et efficace, reste à manier avec parcimonie. En effet, certains restaurateurs peuvent se retrouver dépassés par une popularité soudaine, certains allant jusqu’à interdire les téléphones dès l’entrée dans l’établissement. Il faut donc faire attention à ne pas vouloir trop en faire.