Pâté en croûte, à la croisée des savoir-faire
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Le pâté en croûte, recette médiévale par excellence, retrouve depuis une vingtaine d’années ses lettres de noblesse grâce à des artisans et des chefs passionnés. Depuis 2009 un concours d’envergure internationale lui est même dédié. Ces dernières années, afin de s’ancrer dans l’ère du temps, il s’est même davantage végétalisé. Empruntant ses recettes aux saisons, le pâté en croûte, star de la cuisine bistrotière, se transforme peu à peu en véritable œuvre d’art au large champ des possibles.
Les Lyonnais revendiquent fièrement son appartenance… Pourtant, le pâté en croûte, véritable symbole de la gastronomie traditionnelle française, n’appartient à aucune région en particulier. Ses origines remontent néanmoins au Moyen-Âge. “Dès le XIIIe siècle, on vend des petits pâtés contenant un mélange de viandes, de poissons ou de légumes, enveloppé d’une pâte. Ces derniers se retrouvent aussi bien sur la table du peuple que sur celle de la bourgeoisie. À l’époque médiévale, le pâté est une nourriture du quotidien”, explique Patrick Rambourg, historien de la gastronomie et auteur de plusieurs ouvrages dont Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises paru chez Perrin. Durant cette période, la question de la conservation des produits est primordiale. Et le pâté en croûte tel que nous le connaissons aujourd’hui, ne déroge évidemment point à cette règle. Durant ce moment de l’Histoire, ce dernier est d’ailleurs tout simplement appelé “pâté« . Néanmoins, lorsqu’on évoque ces “pâtés”, il est toujours question de pâté en croûte. Cette pâte, généralement non consommée sous l’Ancien Régime, est davantage un moyen de transporter et de conserver le produit.
Il faudra attendre le XIXe siècle pour que le terme “pâté” flirte avec sa “croûte”, explique l’historien. En outre, Patrick Rambourg nous explique que le “pasté” est issu du mot “paste”, qui signifie tout simplement pâte. “Au Moyen Âge, le pâté était d’ailleurs préparé ou cuit chez le pâtissier qui était le spécialiste de la pâte”, précise ce dernier. Au fil des siècles, plusieurs grandes villes vont développer un savoir-faire personnel face à ce produit. “Amiens était reconnue pour ses pâtés de canard, de dindon, de perdrix, de bécasse, de lièvre, de mouton alors que la ville de Caen était réputée pour ses pâtés de poularde, de perdrix, de bécasse, de jambon, de saumon, d’alouette, de maquereau aux homards et d’anguilles aux truffes”, explique Patrick Rambourg.
Ces spécialités régionales sont ensuite envoyées à la capitale. “Les artisans savaient que pour être reconnus il fallait avoir une belle clientèle. Il s’avère que celle-ci se trouvait à Paris.”Il existait également des pâtés préparés sans pâte. “On les nommait terrines en référence au récipient dans lesquelles elles étaient cuites”, explique l’historien. Ce dernier rappelle que selon Auguste Escoffier, surnommé le roi des cuisiniers, “la terrine n’est rien d’autre qu’un pâté sans croûte”. Ainsi, afin d’éviter les confusions, “le pâté en pâte sera par la suite nommé pâté en croûte”, déclare l’historien.
Dans l’air du temps
Aujourd’hui, les concours qui lui sont dédiés renvoient une autre image de ce mets traditionnel. La pâté en croûte moderne “semble avoir été réhabilité par des chefs qui ont su le rendre plus gastronomique”, affirme Patrick Rambourg. Ainsi préparée, cette recette n’est plus un amas de pâte peu cuite dans lequel se retrouve un mélange de diverses farces difficilement identifiables. “Les concours permettent également de faire connaître ce produit sur la scène internationale. Des chefs de tous les pays s’y mettent”, conclut l’historien.
Le pâté en croûte a ce je ne sais quoi d’impérieux. Disposé au milieu d’une table de fêtes, il impressionne d’abord par sa prestance qu’il doit à sa croûte dorée allégrement décorée de rosaces et de fleurs. Inscrit dans l’imaginaire collectif comme recette bistrotière par excellence, le pâté en croûte ne laisse personne indifférent. Il semble posséder autant d’amateurs passionnés que de détracteurs.Si les premiers aiment férocement sa rusticité et son élégance, les seconds lui prêtent des airs d’entrée de buffet de salle des fêtes… Mais qu’à cela ne tienne ! Depuis une quinzaine d’années et, notamment grâce aux concours qui lui sont dédiés, les pâtés en croûte, s’ils restent fidèles à ce qui a jadis fait leur succès, empruntent désormais de nouveaux chemins de traverses. Il n’y a plus de doute, la recette médiévale se renouvelle.
D’ailleurs, aujourd’hui, ce dernier n’est plus l’apanage des seuls viandards et les artisans, en vrais passionnés, renouvellent avec joie leur offre. Dès lors, les pâtés en croûte se déclinent en diverses collections. S’amusant des fruits, des légumes et des oléagineux, ils se végétalisent. De plus, dû à une véritable demande des clients, il arrive même que certains pâtés en croûte se végétariennisent entièrement. Ces nouvelles recettes, si elles s’inscrivent dans l’ère du temps, n’éclipsent en rien les saveurs davantage traditionnelles. Au contraire, elles permettent seulement de mettre en lumière l’éventail des possibilités offertes par ce produit. “Le pâté en croûte nous plaît car il peut être très diversifié. C’est le terrain sur lequel on peut le plus innover en charcuterie” déclare Gilles et Nicolas Verot, charcutiers traiteurs et fondateurs de la maison éponyme.
Créer et innover
Ces maîtres en la matière ont toujours tenu à élever au rang de chef d’œuvre ce produit. “Cela représente une tradition familiale, beaucoup de souvenirs aussi. C’est un produit que j’ai pu voir évoluer. Il a explosé ces quinze dernières années grâce à l’émulation des concours. Aujourd’hui, on se permet beaucoup de choses en termes de créativité ”, déclare Nicolas Verot.
En effet, au cours de ces deux dernières décennies, les notes végétales se sont davantage faites sentir dans les compositions des pâtés en croûte. “Les légumes et les fruits offrent d’énormes possibilités. Il y aura toujours de la création sur ce produit car il n’est pas écrit que l’on doit mettre tant de quantité de viande ou tant de quantité de légumes. Pour le fromage de tête ou le pâté de campagne par exemple, nous sommes beaucoup plus limités”, affirme Nicolas Verot.
Chez ces charcutiers, les collections dites “saisonnières” remontent au début des années 2000. “Avant, en charcuterie, on n’avait pas l’habitude de faire des recettes de saison. Un jour, un client et ami m’a conseillé de m’inspirer du travail de Pierre Hermé. Ce dernier travaillait déjà avec la saisonnalité. Nous avons donc fait la même chose avec les viandes en les associant à certains fruits et légumes de saison. Lorsqu’arrive l’automne, les gibiers se marient très bien avec les champignons par exemple”, explique Gilles Verot.
Dans la même veine, la charcutière Manon Montessuit, fondatrice du service traiteur NONAM, poursuit ce travail sur la saisonnalité et propose même des pâtés en croûte entièrement végétariens.Selon cette dernière, “tous les plats sont transformables en pâté en croûte et ce, avec ou sans viande”. Persuadée que “les gens ont aujourd’hui envie de revenir aux produits locaux et de saison”, Manon Montessuit réalise un gros travail sur le sourcing de ses produits. “Il faut tout de même savoir qu’aujourd’hui, dans la plupart des boucheries, les pâtés en croûte proposés sont industriels ou semi industriels”, poursuit-elle. La fondatrice de NONAM, elle, ne se voyait pas faire autrement. “Je voulais proposer aux clients des produits que je mangerai moi-même. J’ai été élevée comme ça. Je mange local, mon grand-père a un potager…”
Pour ses recettes, elle s’inspire de plats de certains chefs mais également, avec plus de simplicité, de fruits qu’elle apprécie manger. “Récemment, j’ai réalisé un pâté en croûte avec de la pintade rôtie et de la mirabelle”, précise cette dernière. Manon Montessuit réalise elle aussi diverses collections qui suivent le fil des saisons. “Les produits de saison se marient naturellement très bien entre eux. Je propose également des recettes entièrement végétariennes. En ce moment, je fais un pâté en croûte avec du butternut, des noisettes torréfiées et un insert bleu d’Auvergne AOP”, explique cette dernière avant de conclure : “Il faut faire évoluer les produits, on a pas le choix. Je ne comprends pas pourquoi les gens veulent à tout prix rester sur leurs traditions et leurs produits d’antan très nitrités…”
Comme une oeuvre d’art
Le pâté en croûte c’est bien sûr d’abord un goût. Celui de la sapidité des viandes mélangées à l’onctuosité d’une gelée elle-même associée au croustillant d’une pâte feuilletée élégamment dorée. Cependant, le pâté en croûte, c’est aussi un style à ne pas négliger. Celui d’une croûte, ou pâte, parée de multiples décorations. Que ce soit des fleurs, des feuilles, des fruits ou de simples entailles à la manière d’un boulanger sur une boule de pain de campagne, le pâté en croûte, s’il est bien exécuté, a quelque chose du chef d’œuvre. Ses divers apparats, ultime consécration de cette recette, lorsqu’ils sont bien exécutés, permettent de faire de plat emblématique l’une des rares charcuteries que l’on pourrait qualifier de “visuelle” et d’“artistique”. “C’est la partie que j’aime le plus. Sa sensualité, le pâté en croûte la doit à la matière pâte. Il faut un certain doigté, c’est quelque chose qui touche au domaine de la pâtisserie”, déclare Émeline Aubry, membre du collège culinaire de France, cheffe et surtout, reine dans ce domaine.
Consultante dans une première vie puis DJ dans une autre, elle est aujourd’hui devenue l’une des personnalités qui compte le plus dans la sphère du pâté en croûte. “Il y a 11 ans, j’ai voulu me reconvertir dans quelque chose de plus créatif et manuel. La cuisine s’est alors imposée. D’une certaine manière, je perpétue l’histoire familiale puisque ma grand-mère était elle-même cheffe”, explique-t-elle.Arrivée finaliste lors des mondiaux l’an dernier, Émeline Aubry a, en la matière, sa spécificité. Elle est l’artiste du pâté en croûte. Et il n’y a qu’à explorer ses réseaux sociaux pour s’en rendre compte. Sur ses photos, cette recette médiévale revêt ses meilleurs atours. Les pâtés en croûte semblent sertis de mille pierreries, nous rappelant ainsi certaines œuvres du peintre Gustave Moreau.
“Je n’en avais jamais fait avant le covid. Très vite, je me rends compte que c’est ultra technique”, affirme-t-elle. Celle qui dit avoir “une petite fibre créative”, se prête immédiatement au jeu du pâté en croûte. “Cela coche toutes les cases. C’est intellectuellement stimulant car technique et créatif et j’ai pour ma part mis au point des techniques de décorations particulières en détournant des outils”, explique Emeline Aubry. “J’ai voulu faire quelque chose qui me faisait penser aux toiles de mon ex mari qui est artiste peintre. À une époque, il faisait des tableaux en utilisant la technique de la sérigraphie, cela ressemblait à de la dentelle. J’ai voulu trouver un moyen technique pour développer cela sur mes pâtés en croûte”, confie la cheffe. Dès lors, s’ensuit beaucoup de réflexion.
En détournant des produits elle est parvenue à mettre au point des techniques de décoration très singulières, sa signature qu’elle couple avec une grande importance donné aux produits utilisés dans la confection de ses pâtés en croûte. “Depuis le début, mon objectif c’est d’être la première femme à remporter le Championnat du Monde de Pâté Croûte. Je suis actuellement 3e», détaille-t-elle. Tous les pâtés en croûte qu’elle réalise sont finalement ses entraînements. Elle les vend le samedi sur le marché de Mortagne dans le Perche et les envoie partout en France grâce à son site web.
Si le peintre Claude Monet ne chasse pas, il aime toutefois organiser des piques-niques en forêt avec ses amis. Lors de ces moments champêtres, le chef de fil des impressionnistes a pour habitude de disposer sur la table du pâté en croûte et des terrines de gibier. D’ailleurs, il ne manque pas d’en peindre un sur la nappe blanche de son Déjeuner sur l’herbe (1866). Facile à transporter lors des repas pris à l’extérieur, ce dernier, très alléchant, trône fièrement au premier plan du tableau.