La restauration rapide se réinvente

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La pizza et de nombreux produits italiens sont des succès de la restauration traditionnelle. À l’inverse, certaines spécialités populaires en Italie (pizza al taglio, arancini) n’ont pas encore trouvé une large clientèle en France. Mais l’innovation des professionnels et l’arrivée d’une nouvelle demande pourraient changer le visage de la restauration rapide italienne.

Alberto Calabria, pizzaïolo à la tête de l'enseigne Pizz-Art (Paris 11e) @Jeremy Denoyer.
Alberto Calabria, pizzaïolo à la tête de l'enseigne Pizz-Art (Paris 11e) @Jeremy Denoyer.

La gastronomie italienne est plébiscitée en France. Derrière la cuisine française, la transalpine apparaît souvent à nos yeux comme un second choix naturel. « 94 % des Français déclarent apprécier cette cuisine, qui est également identifiée, après la gastronomie française, comme la cuisine la plus savoureuse (24 %) », d’après une enquête de Harris Interactive en septembre 2019.

À Paris, la restauration italienne n’a fait que prendre de l’ampleur ces dernières années. Exemple manifeste, l’ascension du groupe Big Mamma. Depuis l’ouverture du restaurant East Mamma (Paris 11e) en 2015, la pizza napolitaine, la burrata, les verres de spritz et la panna cotta sont devenus des produits à la mode. La société de Victor Lugger et Tigrane Seydoux concentre désormais huit enseignes dans la capitale. La clientèle ne rechigne pas à attendre de très longues minutes devant ces restaurants, afin de se délecter d’antipasti et de spécialités en provenance de toute l’Italie.

La street-food italienne peine à se faire une place

Pour autant, si la restauration italienne se prête bien à des déclinaisons simples et rapides, la street-food italienne en revanche n’a pas encore investi nos habitudes de consommation. « La pizza que l’on plie et que l’on mange dans la rue n’existe pas vraiment chez nous. Nous avions eu des bars à pâtes, mais ils sont tombés les uns après les autres. La restauration rapide italienne, lorsqu’elle existe, reste très confidentielle et très parisienne, remarque Bernard Boutboul, président de Gira. Les premiers concepts de street-food italienne sont nés aux États-Unis. Les Américains et les Anglo-Saxons sont beaucoup plus nomades que nous. Ils mangent dans leurs voitures : c’est une pratique courante qui est extrêmement rare chez nous. »

Le président de l’entreprise de conseil spécialisée dans la restauration reconnaît que « de beaux concepts » de cuisine rapide italienne ont vu le jour. Mais ces derniers, proposant des arancini ou de la pizza al taglio (rectangulaire à la découpe), fonctionnent moins que la restauration traditionnelle. « En France, on ne conçoit pas de manger une pizza qui ne soit pas ronde », ajoute Bernard Boutboul.

Al taglio : une pizza encore méconnue

« Cela nous arrive souvent que les gens cherchent la pizza ronde. Nous proposons de la pizza romaine, avec une pâte boulangère, depuis huit ans. Au début c’était très compliqué, ce format reste bizarre pour les Français », témoigne Alberto Calabria, propriétaire de la petite enseigne Pizz-Art (Paris 11e), proposant essentiellement des pizzas al taglio sur sa carte. Ce type de pizza recommande un travail important de la pâte, dont la maturation s’effectue au minimum pendant deux jours. La pizza al taglio – plus épaise que la pizza napolitaine, très en vogue aujourd’hui – est cuite environ 15 minutes sur des plaques à 300 °, avant d’être réchauffée pour la dégustation. « Je pense que ce format peut se développer, il est pratique. Le concept permet de prendre plusieurs parts et de tester des goûts différents », estime Alberto Calabria.

Peu exposée et faiblement considérée en France, la pizza al taglio est pourtant célèbre dans la culture populaire italienne. « On passe à la rosticceria (traiteur) pour en prendre une part ou manger un arancino à 10 h, témoigne Gerlando Paci, originaire de Sicile. Nous proposons des pizzas à la part dans nos restaurants. Les gens aiment pouvoir manger un petit bout de pizza. Cela répond à leur attente lorsqu’ils sont pressés ou n’ont pas trop faim. Les gens vont de plus en plus vite, ils n’ont jamais le temps. Je pense qu’il y a des parts de marché à gagner avec la restauration rapide. » À la tête des restaurants Golosino (Paris 5e et Levallois-Perret), Gerlando Paci pourrait aussi bientôt présenter une nouvelle gamme de spécialités street-food de la région des Pouilles, dont est originaire l’un de ses pizzaïolos.

Risotto, arancini : l’offre « fast slow food »

La perception des Français à l’égard de la cuisine italienne est pleine de déférence. En avançant une offre rapide, les restaurateurs doivent s’adapter à cette donnée car « le client est roi », rappelle Gerlando Paci. « Même si nous proposons des produits de street-food, les gens sont exigeants. Ils veulent du bon, du frais et de la qualité. J’appelle cela du “ fast slow food ”. »

Autour de l’année 2016, Mathieu Karst s’est lancé dans un concept consacré au risotto. Ce plat, élaboré à partir d’une réduction de bouillon de riz cuit, est souvent considéré comme un mets haut de gamme. Alors proposer des assiettes de risotto dans une enseigne de restauration rapide (vendues entre 8,5 € et 13,5 €) peut sembler « antinomique », reconnaît le fondateur de Cerido. Pourtant, cette petite adresse de la rue de Lancry (Paris 10e ) a su développer une clientèle fidèle ces trois dernières années. Et cela, particulièrement avec la vente à emporter et la livraison. « Le risotto reste un produit de niche mais il y a des vrais aficionados. Nous avons des clients réguliers, constate Mathieu Karst. Certaines personnes viennent deux ou trois fois par semaine. »

« Certaines personnes viennent deux ou trois fois par semaine. »

Une lente évolution

Afin de remédier au manque de notoriété de la cuisine de rue italienne, cela nécessite« tout un apprentissage », considère Gerlando Paci. Lors de l’ouverture de ses enseignes Golosino, le restaurateur italien exposait seulement deux types d’arancini. Désormais, il soumet six ou sept variétés de ces boulettes de riz panées et farcies pour 3,5 € (épinards-ricotta, jambon-mozzarella et chorizo-gorgonzola, etc.) ou 5 € la pièce (truffe).« Il faut évoluer et proposer des produits innovants, tout en gardant la tradition culinaire italienne. Aujourd’hui, les gens vont de plus en plus en voyage et se font uneculture culinaire. Pour ma part, je pense qu’il est important d’apporter le goût sicilien à Paris. »

Si la restauration rapide italienne n’est pas encore bien implantée dans l’Hexagone, le changement pourrait arriver rapidement. « La génération Z, née autour de l’année 2000, va bouleverser beaucoup de choses. Elle acceptera plus facilement de commander un risotto à emporter. Nous avons un problème avec la nourriture en France. Les différentes offres ne fonctionnent pas avec toutes les générations », affirme Bernard Boutboul. « En France, on adore la cuisine italienne. Mais il faut faire comprendre notre cuisine à emporter, cette cuisine de rue que l’on consomme en marchant. Nous proposons des arancini et des stromboli (sortes de cannelloni de pizza). Ce n’était pas facile au début de faire découvrir ces produits aux clients », ajoute Gerlando Paci.

Un créneau s’ouvre pour les restaurateurs

Quant aux chaînes de restauration italienne, elles ne semblent pas vouloir investir le créneau de ces produits consommés sur le pouce. « Nous ne sommes pas contre la restauration rapide mais ce n’est pas notre cœur de métier. Nous faisons des commandes Uber Eats et Deliveroo, mais les gens qui viennent chez nous veulent plutôt manger en terrasse », soutient un responsable d’une enseigne parisienne Fuxia.

Des adresses émergent avec une mono-offre (pizza al-taglio, risotto), toutefois les clients cibles de cette restauration rapide – consommée dans la rue ou sur place – n’ont pas encore atteint un pouvoir d’achat suffisant. Cette fast food italienne n’est pas entrée dans nos modes de consommation. Mais les professionnels de la restauration « italianisée » devraient « réfléchir tout doucement » à cette évolution dans les années à venir, estime le président de Gira.

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