Les « food tours » de Paris

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Alliant culture et gastronomie, cette nouvelle façon de découvrir la capitale, un quartier, et ses trésors culinaires se développe. Mais les touristes étrangers ne sont pas les seuls concernés car de nouveaux formats s’ouvrent aux Franciliens. Un intéressant potentiel économique pour les restaurateurs.

food tour
Image d'illustration. Crédit : DR.

Lorsque l’on cherche des visites de Paris autour de la gastronomie sur Airbnb Experiences, le site de réservations d’activités de la plateforme Airbnb, on trouve une centaine de résultats, allant de la dégustation de macarons à la tournée des bars à cocktails. Ou encore des découvertes de fromageries et de pâtisseries pittoresques, dans des quartiers emblématiques de la capitale : Montmartre, Marais, Saint-Germain des Prés, marché d’Aligre… avec des incursions jusqu’à Versailles et en Champagne. Des événements pensés pour les touristes étrangers, qui jouent sur les clichés de l’art de vivre à la française, à la façon de la série Emily in Paris (diffusée sur Netflix).

Apparus il y a quelques années, les food tours, ces visites touristiques sur le thème de la cuisine, se diffusent dans la capitale, avec un regain d’intérêt dans la période de l’après-Covid. Anthony Panuel et Claudia Concha ont créé No Diet Club, un des acteurs référencés sur Airbnb, à la suite d’un séjour à Londres en 2017. «On s’est inspirés d’une Anglaise qui proposait des visites autour des spécialités britanniques. On s’est dit qu’on pouvait adapter le concept autour de la street food [la cuisine de rue, NDLR] pour une cible jeune, relate Anthony Panuel. On est allés voir directement les stands pour leur demander des réductions. En 2018, on a transposé le modèle à Paris, dans le Marais, à Montmartre, sur le canal Saint-Martin. Aujourd’hui, nous sommes présents dans une vingtaine de villes, en France, en Europe et jusqu’à New York.»

Le fait d’être dédiés à la street food, donc à la dégustation en plein air, leur a permis de redémarrer rapidement après les confinements. Le nom « No Diet Club » annonce la couleur : ici, on fait dans le copieux, le gras, le sucré, et il est recommandé de ne pas prendre de petit-déjeuner avant. Avec 142 000 abonnés sur Instagram, la société se positionne comme une agence de communication qui apporte de la visibilité aux établissements. «Tout le monde est gagnant: les restaurants se font connaître sur les réseaux sociaux, les réductions permettent de proposer nos tours autour de 60 € les trois heures au lieu de 80€. Et nous pouvons dégager une marge sans trop de coûts fixes.» Les acteurs internationaux, comme Secret Food Tours présent dans plus de 60 villes, affichent plutôt des tarifs autour de100 € les trois heures. Anthony Panuel reconnaît que l’inflation a rendu les négociations de prix plus difficiles : «Au début on obtenait des dégustations offertes ou à -50%. Aujourd’hui, on est plutôt à –20 ou –30%.» No Diet Club fonctionne avec des guides indépendants choisis pour leur capacité à raconter un quartier dans un style décontracté. «Les Américains adorent être guidés sans avoir à chercher par eux-mêmes, souligne le cofondateur. Avant le Covid, les étrangers représentaient 90% des clients; actuellement, on attire plus de locaux avec des visites conçues pour eux comme le Japan Tour ou le Burger tour

Food tours : des micro-voyage 

L’après-Covid a encouragé de nouvelles façons de voyager, plus locales. Et quoi de mieux que la cuisine pour se dépayser sans quitter sa ville ? Créé par Natacha Sporer et Lola Zerbib, fondatrices de l’agence de design Studio Ravages, Salive se positionne comme un organisateur de «micro-voyages gustatifs». La société propose des visites en autonomie, avec un plan et des étapes à suivre à la façon d’un jeu de piste. «Depuis 2015, on travaillait sur un événement spécialisé sur la street food au Carreau du Temple, mais le Covid a remis en question notre métier, expliquent les jeunes femmes. Plutôt que d’organiser des événements qui coûtent très cher aux petits commerces indépendants, pourquoi ne pas aller directement chez eux ? C’est à cela que doit ressembler l’événementiel gastronomique aujourd’hui.» Les fondatrices ont commencé par faire le tour des restaurants de leur quartier, rue du Faubourg-Saint-Denis (Paris 10e), connu pour son cosmopolitisme. Leur premier parcours s’est appelé «Le quasitour du monde», avec des cuisines de Turquie, de Chine, du Liban, d’Afrique de l’Ouest. Rapidement, deux autres visites se sont ajoutées, «Village Charonne» et «Canal Saint-Martin» .

Les fondatrices mettent l’accent sur le dépaysement avec des balades hors des sentiers battus, où la découverte d’un quartier compte autant que la dégustation. Démonstration avec le parcours «À la Bastille», dans le 11e arrondissement. Le rendez-vous est donné au Café Titon, près du boulevard Voltaire, spécialisé comme son nom ne l’indique pas dans la cuisine allemande. On récupère une pochette en papier contenant un plan et ses explications, des couverts en bois et cinq tickets à remettre à chaque commerçant. On repart avec une portion de curry wurst et des frites (une version vegan est proposée), à déguster dans le jardin public voisin. L’expérience est plus agréable au printemps que par un temps glacial de janvier, mais la saveur épicée de la sauce au curry réchauffe l’organisme.

Les étapes suivantes, via les rues commerçantes du village Paul-Bert, mènent entre Pérou et Bolivie chez Tambo, aux délicieuses empanadas fourrées d’épinard et de plantain. Mais aussi en Chine chez Madame Guan, spécialisée dans les crêpes roulées, les  jianbing, ou encore en Italie chez le fabricant de mozzarella Nanina, et enfin au Proche-Orient à La Sabicherie, pour le dessert. Facturé 35 €, le parcours est prépayé en ligne et confirmé la veille au restaurateur, qui peut anticiper ses commandes. « Chaque portion est pensée avec le restaurant pour refléter au mieux sa cuisine, pour être facile à manger à l’extérieur et pour rester accessible en termes de prix, précise Natacha Sporer. L’avantage est que nos visites ont lieu aux créneaux où les restaurants ont moins de clients, comme le samedi midi.» Salive réalise environ une marge de 40% sur chaque parcours, en économisant le coût d’un guide et en amortissant la réalisation du matériel de visite. Particulièrement ludique et abordable, le concept séduit pour des cadeaux de Noël, des anniversaires, des enterrements de vie de jeune fille ou des événements d’entreprises. À la fin de 2023, les entrepreneuses ont vendu 300 bons cadeaux. «Cela fait un an qu’on travaille ensemble et cela nous apporte une clientèle du quartier qui ne nous connaissait pas, témoigne Sara Arguedas, cofondatrice de Tambo. Certains reviennent après nous avoir découverts sur le tour.» Chez Nanina, fromagerie artisanale où l’on a envie de tout goûter, la responsable Claudia Picciulo salue un concept «qui permet de faire vivre le quartier» . Soucieuses de garder leur proximité avec les professionnels, les créatrices de Salive sont prudentes sur leur développement, mais ont en projet un parcours en Seine-Saint-Denis.

Food Tours, loin des touristes

D’autres formats existent sur le créneau lucratif de la gastronomie, comme Le Food Trip, un guide papier listant 30 commerces où l’on peut passer déguster une spécialité et faire tamponner une preuve de son passage. Sur le thème des voyages culinaires, Jody Danasse a fait parler d’elle dans les médias avec ses food tours dans le quartier tamoul de Paris, à La Chapelle (Paris 18e et 10e ). Elle-même issue d’une famille originaire du Tamil Nadu, frustrée de constater que sa culture était méconnue parmi la profusion de restaurants indiens de la capitale, elle a créé son propre parcours en 2018. «Je sélectionne des petites portions qui sont rarement proposées aux touristes, car les restaurants préfèrent faire de la marge avec des repas complets qui ne reflètent pas la cuisine authentique, précise-t-elle. Je privilégie les petits groupes de 6-7 personnes pour éviter le côté voyeurisme. C’est un quartier ethnique sur lequel il est facile de faire du buzz, mais ce n’est pas respectueux pour les commerçants.» Guidés par Jody Danasse, qui cherche à recruter des guides pour faire face à la demande, les participants repartent avec un lexique illustré par ses soins, afin de retrouver les ingrédients consommés : «Certains y retournent le soirmême!» À 35 € boissons comprises, c’est une jolie mise en bouche pour une cuisine qui change des grands classiques culinaires.

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