Jours fériés, la fausse bonne idée de la suppression
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En voulant supprimer deux jours fériés, l’ex Premier ministre François Bayrou a cristallisé les mécontentements, ce qui a précipité sa chute. Aussi, le projet a vite été abandonné après son départ. Chez les restaurateurs, les avis sont partagés. Si quelques-uns soutiennent le fait de travailler plus, une majorité – chiffres à l’appui – estime que ce serait néfaste pour le tourisme.
La suppression de deux jours fériés, qui figurait dans le projet de budget 2026 de l’ancien Premier ministre François Bayrou, apparaissait comme la mesure la plus impopulaire de ce plan d’économies. Dans la foulée de l’annonce, mi-juillet, un sondage Toluna – Harris Interactive pour RTL indiquait que 70 % des Français étaient globalement opposés à cette mesure, dont 47 % « tout à fait opposés ». À la fin d’août, le taux de mécontents grimpait à 84 % selon un sondage Odoxa/Le Parisien. Le slogan « travailler plus sans gagner plus », brandi cet été par les syndicats avait fait son chemin dans les esprits. Contrairement à l’idée reçue, les Français ne sont pas particulièrement gâtés par le nombre de jours fériés.
En effet, avec 11 jours octroyés annuellement, ils sont en dessous de la moyenne de l’UE (12,07). Précisons que ce total théorique englobe le lundi de Pentecôte, déjà supprimé en théorie. Certains pays comme l’Espagne affichent 14 jours fériés. Si l’Allemagne accorde officiellement 9 jours au niveau fédéral, les Landers ont mis en place des journées chômées spécifiques supplémentaires (les salariés du Bade Wurtemberg bénéficient de 12 jours fériés). En réalité, c’est la somme annuelle des congés légaux et des jours fériés qui permet de mieux mesurer l’engagement global des salariés. En la matière, la France, avec un cumul de 36 jours, se situe au-dessus de la moyenne de l’UE (33,11).
Dans ce cas, la suppression de 2 jours fériés ramènerait effectivement notre pays dans une position intermédiaire. Sur la base des estimations du Sénat, Matignon assurait que cette baisse du nombre de jours fériés rapporterait 4,2 Md€ dans les caisses de l’État. Mais les modalités de ce financement restaient très vagues. François Bayrou avait déclaré qu’en contrepartie « de la richesse créée, de la production créée par cette journée de travail, les entreprises devront s’acquitter d’une contribution ». Il revenait donc au Parlement de fixer les modalités de cette contrepartie entrepreneuriale. Cette question est essentielle.
Dans ce cas de figure, les restaurateurs dépendant du tourisme auraient perdu mécaniquement des recettes et devraient parallèlement supporter une hausse de leur masse salariale. Pour un ordre d’idées, la journée de solidarité instituée avec la suppression du lundi de Pentecôte, en 2004, a permis l’année passée de verser 3,5 Md€ dans la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Cette manne est générée par les employeurs qui versent à l’État 0,3 % de leur masse salariale annuelle, l’équivalent d’une journée de salaire.
La contribution passe mal
Les syndicats professionnels se sont montrés hostiles à toute contribution totale ou partielle. À l’Umih, Éric Abihssira, vice-président, estime que le « versement d’une contrepartie est inenvisageable. Les bas de bilan de nos entreprises sont actuellement très dégradés. Il est inconcevable de demander un effort supplémentaire à la branche ». Frank Delvau, président de l’Umih Paris Île-de-France est sur la même longueur d’ondes et assure que « la profession ne pourra pas supporter un nouveau prélèvement, alors que 23 restaurants ferment chaque jour en France ». Pascal Mousset, président du GHR Paris-Île-de-France, ne veut pas non plus en entendre parler : « Nous allons déjà contribuer à alimenter le budget de l’État en générant des impôts et de la TVA supplémentaires. Les restaurateurs qui se débattent dans des difficultés importantes ne seront pas en mesure de faire de nouveaux sacrifices… »
Le clivage entre les professionnels partisans et ceux hostiles à la mesure n’épouse pas les frontières des syndicats nationaux. Il oppose plutôt Paris et les grandes villes aux départements qui comptent fortement sur le tourisme. Le Parisien Frank Delvau approuve le principe général de la mesure : « Nous ne pouvons pas toujours être dans la protestation quand on voit l’urgence du redressement des finances publiques. » Pascal Mousset, qui contrôle plusieurs restaurants à Paris, a mis les choses au clair sous la forme d’un vote favorable dans son instance régionale. « Le fait de remettre la valeur travail au sein du débat me paraît important, se justifie-t-il. Si on souhaite vivre dans un pays aux finances saines, cette évolution me paraît positive. » Le chef d’entreprise voit là l’occasion de redynamiser l’activité des CHR au mois de mai, période truffée de jours fériés : « Dans la restauration, cela devient compliqué, notamment dans les quartiers d’affaires où beaucoup de professionnels ferment en mai, faute de clients. »
Le dirigeant syndical francilien reconnaît cependant que ses collègues établis dans des zones touristiques ne nourrissent sans doute pas le même point de vue. Sa présidente nationale, Catherine Quérard, professionnelle en Loire-Atlantique, se montre en effet beaucoup plus mesurée. Dans un communiqué, elle estime que « le gouvernement [désormais renversé, NDLR] annonce des gains de productivité, mais dans notre secteur, il n’y aura ni heure travaillée en plus ni recette en plus. Au contraire, la suppression de deux jours fériés, c’est l’assurance d’accueillir moins de clients et de payer une taxe supplémentaire ». La présidente du GHR a fait ses comptes et met en avant une étude de Sunday, indiquant que le chiffre d’affaires d’un restaurant augmente de 28 % les jours fériés.
« La profession ne pourra pas supporter un nouveau prélèvement. »
La convention collection en question
D’un point de vue plus patronal, Catherine Quérard soulignait dans un éditorial : « Dans notre secteur, la durée conventionnelle du travail est déjà de 39 h par semaine, bien au-delà de la norme. Les entreprises sont ouvertes quand d’autres ferment… Ce ne sont pas des jours “non travaillés” dans l’hôtellerie restauration. » Dans cette profession, la convention collective permet d’ouvrir les restaurants 365 j/365 avec un statut particulier pour les 11 jours fériés théoriques. Il faut distinguer le 1er mai, date spéciale, où les salariés présents sur le lieu de travail bénéficient d’un double salaire. Les 10 autres jours se déclinent en 6 jours garantis et 4 jours non garantis, pendant lesquels les journées travaillées, voire non travaillées, peuvent donner lieu à des compensations différentes.
Si la suppression des jours fériés avait abouti, il aurait fallu réunir les partenaires sociaux pour renégocier ces conditions. Lui aussi critique, Éric Abihssira, vice-président de l’Umih et hôtelier-restaurateur à Nice (Alpes-Maritimes), était vent debout contre le choix des jours concernés et notamment le « lundi de Pâques qui marque le départ de la saison touristique. Supprimer cette fête religieuse n’est pas approprié, même si nous vivons dans un pays laïc. Je déplore qu’il n’y ait aucune concertation préalable avec les professionnels. Il n’y a même pas eu d’étude d’impact pour montrer le résultat économique en termes de gains et de pertes ». Une saison qui démarre plus rapidement et un mois de mai moins favorable aux escapades n’avait pas de quoi réjouir les professionnels du tourisme. A contrario, les restaurateurs qui misent sur une clientèle d’affaires et de bureaux auraient pu tirer quelques maigres bénéfices. Leur clientèle pourrait être au rendez-vous durant ces deux jours devenus ouvrés. Mais dans les CHR, il n’y a pas de débat. La suppression de ces jours fériés n’aurait généré qu’un déplacement de clientèle, sans une véritable hausse du CA global.
Le précédent du lundi de Pentecôte
En juin 2004, sous l’impulsion de Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, le Parlement a exclu le lundi de Pentecôte de la liste des jours fériés, afin d’alimenter un fonds destiné à la vieillesse. Il est largement soutenu à l’époque (81% des Français y sont favorables selon un sondage TNS Sofres). Pourtant, très rapidement, le principe de cette journée de solidarité va se déliter. Les syndicats de salariés font part de leur opposition et les professionnels du tourisme, qui utilisaient ces trois jours bien placés pour organiser des événements, montent au créneau. Durant la première Pentecôte non fériée, en 2005, le pays continue de fonctionner au ralenti. Le choix de la journée de solidarité est finalement laissé, en 2006, à l’appréciation des employeurs. Deux ans plus tard, le lundi de Pendecôte redevient chômé. Ce sont alors aux partenaires sociaux de déterminer la manière d’organiser la journée de solidarité. On estime aujourd’hui que deux salariés sur trois ne travaillent pas durant ce lundi de mai ou de juin.
L’avis des professionnels
«Les jours fériés nous permettent de bénéficier de week-end à rallonge. Dès l’annonce de la suppression des jours fériés, je suis allé examiner les chiffres de mon établissement pour constater que cette mesure induirait une baisse globale de l’ordre de 5 % de mon chiffre d’affaires. Le week-end de Pâques reste le starter de la saison touristique, le moment où on commence à embaucher le personnel saisonnier. Certains estiment qu’il serait plus avisé de supprimer le 11 novembre. Mais c’est une date stratégique ici avec le marathon de la Baule, qui nous apporte un peu de trésorerie en fin de saison. Au Pouliguen, je suis ouvert à l’année, mais il faut bien comprendre qu’entre novembre et mars mon entreprise mange de la trésorerie, comme la plupart des restaurants touristiques qui bénéficient généralement durant de cette période d’une ligne de découvert de 12000 à 15000 € auprès de leur banque. À la limite, si on devait vrai- ment supprimer un jour férié, supprimons le 15 août. Il y a tellement de monde ce jour-là que l’effet serait indolore. »
«J’étais plutôt favorable à cette mesure, notamment pour le 8 mai, où deux de mes restaurants, les moins touristiques, sont très perturbés dans leur activité. Le mois de mai, c’est un peu la loterie en fonction du positionnement des ponts. Souvent, nous préférons fermer. Le lundi de Pâques est moins important, car nous sommes généralement fermés le lundi. Je trouverais juste aussi que les Français travaillent certains jours fériés. Cela les rapprocherait des conditions générales des salariés de la restauration qui doivent souvent travailler ces jours-là. Pour se prononcer, il faut aussi connaître la contribution qui aurait été demandée aux entreprises. Chaque année, nos charges augmentent. Il faudrait arrêter de mettre les entreprises de restauration à contribution. Notre économie est très fragilisée. Mais surtout, notre profession est très consommatrice de main-d’œuvre et le coût de celle-ci augmente vertigineusement, ce qui fait que de moins en moins de Français peuvent s’offrir les services de la restauration traditionnelle. Une réflexion sur la réduction des charges s’impose aujourd’hui dans ce métier. »