La valeur n’attend plus le nombre des années

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Le vieillissement de l’alcool n’est plus le seul critère de qualité pour les whiskys. La nature du fût mais aussi la distillation permettent désormais de proposer des alcools jeunes et originaux qui séduisent les consommateurs et donnent un nouvel élan au marché.

En se réinventant, le whisky ne cesse de nous étonner. Le Whisky Live, salon organisé par LMDW (La maison du whisky), nous offre chaque année de nouveaux exemples de l’évolution de ce spiritueux pour lequel, il y a quelques années encore, tout tournait autour de l’Écosse et de ses single malts. Ces derniers n’échappent pas au vent d’innovation qui secoue le marché. On a ainsi plus voir la très honorable maison Glenfiddish présenter récemment son Experimental Serie, une collection de quatre bouteilles réalisées avec des single malts de 12 à 21 ans, vieillis durant les trois dernières années dans des fûts de bière IPA, des fûts de vin de glace (Winter Storm) ou des fûts de rhum des Caraïbes (Fire & Cane). La dernière de ces créations, sobrement appelée Project XX, résulte de l’assemblage de 20 fûts sélectionnés par 20 experts du whisky. Glenfiddish souhaite aller « au-delà des frontières du whisky ». Chivas a trouvé un autre moyen pour faire voyager les consommateurs. Depuis 2013, Chivas Regal fait vieillir son blend dans des fûts de chêne japonais Mizunara pour produire Chivas Regal Mizunara. D’abord imaginé par le groupe Pernod-Ricard pour conquérir le marché japonais, ce produit est présent depuis deux ans sur le marché français.

Au bonheur des anges

La planète whisky rencontre aujourd’hui peu de limites. Beaucoup de pays sont passés du côté des fabricants. L’Inde s’affirme comme le plus grand producteur mondial et, si la qualité de beaucoup de productions est parfois discutable, il faut rappeler que certaines marques, comme Amrut, s’affirment sans rougir comme des producteurs avec lesquels il faut compter. LMDW présentait récemment Amrut Bourbon Cask, un single malt vieilli en fût de bourbon et proposé au prix de 129 euros. Aucune mention d’âge ne figure sur la bouteille car le climat indien a l’avantage de faire vieillir rapidement les alcools et de faire le bonheur des anges, comme l’explique François Piriou, conseiller chez LMDH : « En Écosse, l’évaporation dans le fût représente annuellement 2 à 3 %. En Inde, elle peut aller jusqu’à 12 %. »

Lot 40, le rye whisky du canadien Hiram Walker

Même sous des latitudes plus tempérées, comme au Japon, la valeur n’attend plus forcément le nombre des années. Les single malts de la petite distillerie artisanale Chichibu s’arrachent à prix d’or. Ichiro’s Malt, signé par le maître de chais, est proposé à 199 euros la bouteille. Pourtant, la maison a été fondée en 2008 et les whiskys qui composent ce précieux assemblage ont entre 9 et 7 ans d’âge. Les malts les plus accessibles de la maison ont entre 4 et 5 ans d’âge.

L’Experimental Serie de Glenfiddish

Des distillations plus pointues

Mondialement la demande s’accroît. Pour les producteurs, la tentation de s’affranchir d’un long vieillissement est forte. Grâce à des méthodes de distillation pointues, beaucoup de distillateurs, comme Chichibu, parviennent à créer des whiskys remarquables en jouant sur d’autres paramètres.

Les exemples sont également nombreux outre-Atlantique à l’image de Lot 40, un rye whisky exclusivement réalisé à base de seigle et produit par la distillerie canadienne Hiram Walker, filiale de Pernod-Ricard. Le Dr Don Liver-more, le maître de chais, a choisi de le faire transiter par un alambic à colonnes avant de passer par un pot still. La maturation s’effectue ensuite dans des fûts de chêne américain neufs. Aux États-Unis, après avoir créé la distillerie Smooth Amber en 2009, John Little a mis moins de dix ans à en faire une maison réputée grâce à des whiskys jeunes en jouant sur l’origine des céréales et en misant sur une distillation alternant l’alambic à colonnes et à repasse. Il obtient ainsi beaucoup de succès avec ses cuvées, comme Contradiction, qui associe bourbon sélectionné par John Little chez un autre producteur et un bourbon distillé par Smooth Ambler en Virginie-Occidentale. Ces possibilités de combinaisons infinies d’origine, de distillation et de vieillissement permettent de diversifier l’offre de produits. Les producteurs français, dont la création de l’activité est somme toute assez récente, utilisent ces possibilités à défaut de pouvoir mettre sur le marché de vieux alcools. Si la distillerie des Menhirs, à Plomerin (Finistère), qui réalise la marque Eddu, propose une cuvée Diamant de 15 ans d’âge, un record en France, où la majorité des bouteilles de la maison sont issues d’alcools plus jeunes. Mais surtout, le distillateur breton a su varier ses produits depuis le lancement, en 1999, d’un premier whisky au blé noir.

Smooth Ambler mise sur une distillation combinant alambics à colonnes et à repasse.

Désormais, il travaille l’orge, mais réalise également des cuvées comme Silver original, un alcool vieilli cinq ans en fûts de chêne de cognac. Autre distillateur breton, Armorik, à Lannion (Côtes-d’Armor), vient de présenter pour célébrer ses vingt ans, son plus vieux whisky, un single malt de 10 ans d’âge, édité à 2 000 exemplaires. La maison parvient à tirer son épingle du jeu avec des alcools beaucoup plus jeunes. La gamme, destinée au réseau traditionnel, décline une série de single malts vieillis dans des fûts de sherry, de bourbon (Classic) ou de chêne breton neufs (Derven).

Le 10 ans d’âge d’Armorik

À côté de ces acteurs installés en France depuis une vingtaine d’années, on remarque une nouvelle génération de distilleries artisanales qui proposent des whiskys jeunes et attractifs. On peut citer à cet égard l’aveyronnais Twelve, à Laguiole. Mais l’exemple le plus étonnant est celui du domaine des Hautes Glaces, une ferme distillerie créée en 2009 à Saint-Jean-d’Hérans (Isère), qui produit différentes eaux-de-vie mais aussi des whiskys qui dépassent à peine l’âge minimum légal de trois ans de vieillissement. Tout est réalisé à partir de céréales bio produites et maltées dans l’exploitation. Passée en 2017 sous le contrôle de Rémy-Cointreau, cette distillerie est notamment connue pour sa cuvée Les Moissons, qui bénéficie de notes exceptionnelles auprès des experts. Comme quoi, les amateurs de whisky ne doivent pas forcément aller chercher le bonheur dans l’Islay écossais, un simple détour dans les montagnes de la région Auvergne – Rhône-Alpes suffit parfois.

La cuvée Les Moissons du Domaine des hautes glaces.

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