Roland Héguy, président de l’Umih : « Nous sommes devant un mur »
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À quelques jours du 69e congrès de l’Umih qui se tiendra à Strasbourg, du 22 au 25 novembre, Roland Héguy, président de l’Umih, revient sur les conséquences de la crise sanitaire et évoque les profondes difficultés que traverse le secteur, confronté à une pénurie de main-d’œuvre sans précédent.
Le 69e congrès de l’Umih qui se tiendra à Strasbourg, du 22 au 25 novembre. À quelques jours de cet événement, annulé l’année passée à cause de la crise sanitaire, Roland Héguy, président de l’Umih, revient, pour l’Auvergnat de Paris, sur une année marquée par les fermetures et les problèmes de recrutement dans le secteur de la restauration.
Vous allez retrouver vos adhérents dans un congrès après l’annulationde celui de Tours l’année passée.Cette crise sanitaire vous a-t-elle éloignéde votre base ?
Les nouvelles technologies nous ont été très utiles, elles ont permis de maintenir le contact, et le contact est indispensable, il fait partie de l’ADN de nos métiers. Depuis mars 2020, nous n’avons cessé de travailler avec nos présidents de département, le Gouvernement, avec les présidents des différents syndicats. Nous avons finalement réalisé un très gros travail et nous avons obtenu des résultats que beaucoup de secteurs nous envient. Nous rendions compte notamment à nos adhérents de l’évolution des décisions. Il faut reconnaître que dans un premier temps nous avons dû faire face à beaucoup d’inquiétudes exprimées par nos adhérents. Nous obtenions des réponses et des solutions, mais rien n’était formalisé concrètement.
Quels enseignements avez-voustirés de cette période ?
Pour moi, à l’avenir, le chef d’entreprise comme les clients seront différents. Le client a de nouvelles exigences, il aspire à de la qualité, de la simplicité, mais aussi de la sobriété. La qualité est un mot très fort. Quel que soit l’établissement, c’est un objectif indispensable vers lequel il faut tendre. Elle est fondamentale dans tous les domaines. Le client a découvert que la France était belle et qu’il la connaissait mal. Il a compris qu’on pouvait trouver de belles petites tables dans la France éloignée, des hôtels sympathiques et chaleureux. Il apprécie l’authenticité à sa juste valeur et ce constat vaut aussi pour le luxe. Même dans ce secteur, le mot « sobriété » prend aujourd’hui toute sa noblesse. Dans le tourisme d’affaires, il en va de même. Au-delà de la partie travail, il ne faut pas négliger l’importance de l’authenticité dans l’expérience client.
Êtes-vous inquiet pour les moisqui viennent ?
Je reste optimiste à court terme. L’État a été très présent, il n’y a pas eu de faillites en 2020 dans notre secteur car les aides ont été très bien calibrées.
La volonté des clients de revenir dans nos établissements est manifeste. Maintenant, il ne faut pas se manquer. Nous avons deux échéances très importantes : 2023, la Coupe du monde de rugby et 2024, les Jeux olympiques. Il faudra proposer une offre de très bon niveau à ces dizaines de milliers de touristes qui vont venir découvrir la France. La concurrence est terrible, nous sommes déjà descendus à la 3e place des destinations touristiques. Si on souhaite remonter sur la première marche du podium, il faut progresser en termes de qualité et de panier dépenses. Je suis heureux que le président de la République soit conscient de cet enjeu et nous encourage à aller dans ce sens.
L’emploi avait été choisicomme thème des congrès de 2016 et 2018. Aujourd’hui, en sortie de crise sanitaire,ces problèmes de recrutementsont encore plus spectaculaires.Cette situation est-elle insoluble ?
Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet. Chaque branche va formuler des propositions fortes que l’Umih portera à l’occasion du débat présidentiel.
Elles porteront aussi sur la responsabilité sociale de l’entreprise. Les préoccupations sur ce sujet sont diverses. Elles concernent aussi le développement durable, l’alimentation. Auparavant, on évoquait le trajet de la fourche à la fourchette alors qu’aujourd’hui les préoccupations s’étendent de la terre à la poubelle.
Quels seront les temps fortsde ce congrès ?
Nous aurons des tables rondes autour de l’emploi, de la fidélisation et de la formation. C’est un enjeu majeur aujourd’hui. Il nous manque 30 % de salariés dans notre métier. Avant la crise sanitaire, on peut estimer que le déficit de personnel était de 15 %. Ça a doublé avec le confinement. Que ce soit dans les écoles, les CFA, on s’aperçoit que 18 mois après l’entrée des élèves dans l’entreprise, une grande majorité d’entre eux ont quitté le secteur. Tout cet argent en formation investi en pure perte, c’est dramatique !
Des restaurants refusent des clients tous les jours et cet état de fait risque aussi de bloquer les transmissions d’entreprise dans notre secteur. Déjà, des affaires viables ne trouvent pas de repreneurs. Cela me désole de voir autant de richesses partir en déshérence. Il faut réagir avec vigueur et nous n’avons pas eu peur de dire certaines vérités, même si cela a provoqué un tollé. Il faut améliorer les conditions de travail, valoriser notre métier, valoriser nos salariés. Si l’Umih ne le fait pas, qui va le faire ?
Approuvez-vous les déclarations faites au Parisien par Thierry Grégoire, président des saisonniers de l’Umih qui préconisait une hausse des salaires de 9 %et l’instauration d’un 13e mois ?
J’ai toujours soutenu mes présidents de branche, c’est ma façon de travailler et d’avancer ensemble. Nous sommes devant un mur et si nous ne réagissons pas assez rapidement, on court à la catastrophe. Il faut toutefois nuancer les chiffres que vous avancez puisque Thierry Grégoire évoquait une fourchette de 6 % à 9 % comme base de négociation des minima conventionnels et non des salaires. Je rappelle que nous sommes en retard de 6 % sur la grille des salaires qui n’a pas été révisée depuis 2018.
Il faut aussi considérer que le salaire n’est pas le seul point d’achoppement. J’ai pu le vérifier personnellement : même si on consent à des substantielles augmentations sans régler des problèmes aigus comme celui de la coupure, des week-ends, la fidélisation n’est pas assurée. Il faudra aussi mettre sur la table le plan d’épargne salariale, la prévoyance, l’assurance santé, l’intéressement et la participation. Il faut aussi évoquer les chèques-vacances et les titres-restaurants. Nos salariés n’ont pas accès à cette dernière opportunité. C’est un cas quasi unique en Europe.
Pensez-vous que votre base vous suivra unanimement dans ces concessions ?
Il y a un obstacle que nous ne pourrons pas surmonter sans évoluer : c’est le coût du travail. Il faut que l’État s’interroge sérieusement sur le sujet. Baisser les charges représente le seul moyen de faire baisser le chômage de longue durée, objectif du président Macron. Il y a aussi d’autres leviers. Je vois la nuit dans la rue à Paris des livreurs. Ils travaillent dans des conditions incroyables où rien n’est respecté, ni la chaîne du froid, ni la législation sociale. Ces jeunes, nous sommes prêts à les accueillir dans nos établissements où ils percevront un bien meilleur salaire et auront de meilleures conditions de travail.
Mon propos pourra peut-être paraître choquant à certains, mais nous sommes devant un mur et il nous faut trouver des solutions. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls métiers à tenir ce discours. Beaucoup de secteurs comme le bâtiment ou les transports connaissent cette pénurie de main-d’œuvre.
Vos propos ne vous paraissentpas aller à contre-courant à partirdu moment où de nombreux hommes politiques appellent à lutter contre l’immigration ?
Nous ne nous laissons pas enfermer par des postures ! Nous sommes pragmatiques. Contrairement à l’idée reçue, toutes les cases de l’échiquier politique sont représentées dans l’Umih. La photographie de nos adhérents correspond à celle de la France. Nous partons d’un constat : nous avons besoin d’hommes et de femmes qui veulent travailler. C’est le rôle du président d’une organisation syndicale professionnelle patronale de dire « on a une très belle voiture, à nous de trouver du carburant pour la faire fonctionner ». Nous avons plusieurs exemples d’adhérents qui emploient des réfugiés en situation régulière dans leur hôtel, dans leur restaurant qui répondent parfaitement aux besoins de l’entreprise.
Y a-t-il d’autres axesde revendications syndicales ?
Dans deux ou trois ans, pour l’organisation des JO à Paris, il faut être au top et pour cela nous avons besoin d’investir. Il nous faut de la respiration. Or, beaucoup d’entreprises sont aujourd’hui dans l’impossibilité de rembourser le PGE dans les quatre ans. C’est la raison pour laquelle nous demandons avec insistance au Gouvernement d’accepter de lisser ce remboursement sur 12 ans.
Le rapprochement syndicalévoqué il y a quelques mois est-il toujours d’actualité ?
Certainement, j’en parle régulièrement avec Didier Chenet. Je rappelle aussi que nous sommes quatre organisations syndicales autour de la table, avec la même volonté d’aboutir à cette maison commune. Les échanges sont aussi permanents avec le directoire et le conseil d’administration de l’Umih. Plutôt que de parler de branches, je voudrais désormais parler de métiers. Il faut rester près des réalités économiques des métiers. Un franchisé hôtelier ou restaurateur rencontre les mêmes problèmes qu’un indépendant. C’est le même métier.