Covid-19 : négocier son loyer pendant le confinement
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Que ce soit par la loi ou la négociation, les restaurateurs disposent d’outils et d’arguments pour négocier le loyer à la baisse ou bien son report, surtout en cette période de confinement qui coupe toute activité.
Le paiement des loyers reste un problème majeur pour la profession en ces temps de crise sanitaire. C’est ce que dévoile l’enquête menée au mois d’octobre auprès de 1 420 professionnels par le GNI. Il en ressort qu’un professionnel sur deux n’est pas à jour de ses loyers, et la dette est importante puisqu’elle représente au moins 3 mois de loyers.
« Or le loyer, après le personnel, c’est le plus grand poste de dépenses des professionnels, un poste qui représente des milliers d’euros et se situe entre 8 et 15 % du chiffre d’affaires HT », explique Didier Chenet, Président du GNI. Cela impacte fortement la relation avec le bailleur pour un restaurateur sur quatre. Ces derniers ne semblent pas coopératifs alors que 80 % des professionnels (et même 90 % à Paris) ont tenté d’entamer le dialogue. En effet, 55 % d’entre eux n’ont obtenu ni annulation ni report, seuls 27% en ont bénéficié, le plus souvent de 2 à 3 mois, et 18 % d’une remise de loyer, le plus souvent limitée à un mois.
Les aides de l’État ne couvrent pas l’ensemble des charges pour 95 % des professionnels interrogés, le reste à charge se chiffrant à plus de 5 000 € par mois pour 2 professionnels sur 3. « On est loin du “zéro recette, zéro charge” annoncé par le gouvernement », commente Didier Chenet. Pour lui, des solutions existent via « le Fonds de Solidarité ou un crédit d’impôt dont pourraient bénéficier les bailleurs qui accepteraient d’annuler ces loyers. Nous y travaillons avec le gouvernement ».
D’autant plus que les restaurateurs se retrouvent à payer des loyers d’hier, dans un contexte économique et social qui n’a plus rien à voir. Le problème était jusqu’ici d’autant plus aigu que les villes visées par le couvre-feu étaient aussi celles où les loyers commerciaux sont les plus élevés (Paris, Lyon, Marseille…). Dans ces conditions, trouver un arrangement avec son bailleur, que ce soit sur le montant du loyer ou les échéances de paiement, devient un impératif majeur pour la plupart des exploitants. Baptiste Robelin, avocat associé du cabinet NovLaw, liste des arguments à faire valoir pour négocier au mieux votre loyer pendant le couvre-feu.
Dossier dépôts de bilan et reprise à la barre :
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Sauver son locataire actuel plutôt que de se trouver avec un local vide
Dans le contexte actuel, il est essentiel de rappeler aux bailleurs qu’ils ont un réel intérêt à tout faire pour sauver leurs locataires en place. Sans effort significatif de leur part, nombre de restaurateurs seront contraints d’initier une procédure collective (redressement, liquidation judiciaire…), gelant les arriérés locatifs que les bailleurs risquent fort de ne jamais recouvrer.
Par ailleurs, un accord équilibré, permettant au locataire de passer le plus dur de la crise, devrait permettre aux bailleurs de recouvrer, à terme, tout ou partie des dettes locatives qui auraient pu s’accumuler. Cela leur garantira surtout le maintien de locataires avec des niveaux de loyer fixés avant la crise, ce qui constitue à n’en pas douter une bonne opération dans le contexte actuel.
Pour infléchir la décision, il peut être utile de leur rappeler l’existence de mesures fiscales spécifiques mises en place par le Gouvernement, offrant aux bailleurs la possibilité de défiscaliser les abandons de loyer consentis entre le 15 avril 2020 et le 31 décembre 2020 (article 14B du CGI introduit par la Loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020).
Mise en place d’une « clause de retour à meilleure fortune »
Plutôt que de proposer des abandons purs et simples de loyer, il peut être préférable de proposer au bailleur « une clause de retour à meilleure fortune ». Ce type de clause stipule que le bailleur consent à abandonner une partie du loyer aujourd’hui, tout en ayant la possibilité, dans le futur, de réclamer de nouveau cette dette si la situation du locataire s’améliore.
Il est logiquement plus simple de convaincre le bailleur d’abandonner une partie de sa créance, s’il sait qu’il aura un espoir de la recouvrer après la crise. Les conditions de ce retour à meilleure fortune (période, conditions de remboursement, etc.) doivent être parfaitement encadrées, pour ne pas générer un effet report, et se trouver insupportables pour l’exploitant lors de la reprise d’activité.
Proposer la mise en place temporaire de loyers variables
Avec la baisse d’activité subie par les restaurateurs, il peut être intéressant pour un restaurateur de proposer à son bailleur de mettre en place – de manière temporaire – un loyer variable, indexé sur le chiffre d’affaires. Ce type d’accord constitue un vrai partage de valeurs entre bailleurs et locataires, un accord gagnant/gagnant.
Proposer au bailleur de devenir associé à l’entreprise ou lui consentir des avantages en nature
Toujours dans l’idée d’un partage de valeurs, vous pouvez envisager d’associer pleinement le bailleur à l’exploitation de son locataire, en lui proposant d’en devenir associé : convertir une partie de la dette locative en prise de participation au capital. Autre idée originale : celle de proposer au bailleur de convertir une partie de la dette locative en avantage en nature (par exemple en consentant des nuitées d’hôtels ou des repas au bailleur et à sa famille). Attention toutefois au traitement fiscal de ce type d’accords, considérés comme des produits constatés d’avance, qu’il faudra anticiper au bilan et traiter notamment sur le plan de la TVA.
Demander la révision triennale du loyer à la baisse
On pense généralement, à tort, que la révision triennale du loyer du bail commercial prévue par le Code de commerce n’est ouverte qu’au bailleur, pour solliciter des augmentations de loyer tous les trois ans. Or cette faculté légale de révision triennale est en réalité ouverte également au locataire. Les conditions sont réunies car l’on ne prévoit pas de retour de la fréquentation touristique avant plusieurs années et l’accélération des habitudes de télétravail risquent d’affecter durablement le dynamisme de certains centres d’affaires.
Accentuer la pression sur le bailleur en sollicitant l’ouverture d’une conciliation
Si le bailleur n’est sensible à aucun argument, il est possible de le mettre sous pression en demandant au tribunal de commerce l’ouverture d’une procédure de conciliation. L’objectif de cette procédure est de parvenir à un accord amiable entre l’entreprise et ses principaux créanciers, pour résoudre les difficultés rencontrées. Le conciliateur désigné par le tribunal est bien souvent un administrateur judiciaire, et il s’avère généralement un négociateur persuasif aux côtés de l’avocat du locataire. Attention toutefois : cette procédure n’est pas permise pour les entreprises en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours.
Ne pas craindre les procédures judiciaires
Enfin, en cette période de crise, il ne faut pas craindre le passage par une procédure judiciaire. Ceux qui l’ont vécue le savent : ce n’est pas parce que le bailleur délivre un commandement de payer, voire assigne son locataire, que ce dernier se trouve condamné à être expulsé. Il est naturellement possible de se défendre dans ces procédures et notamment de solliciter des délais (jusqu’à deux ans) pour apurer la dette locative. Or les magistrats se montrent généralement enclins à consentir ces délais dans le contexte des difficultés actuelles. On ajoutera que les magistrats ordonnent le plus souvent aux parties, dans le cadre de ces procédures, de rencontrer un médiateur/conciliateur judiciaire : ces discussions sous la protection du tribunal sont souvent l’occasion de parvenir à un accord équilibré entre les parties.