Le déclic du vin en canette

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Pratique, « cool », mais aussi novateur, le vin en canette cherche à séduire les professionnels du secteur CHR. Quand certains voient cela comme une hérésie, d’autres le préfèrent sous cette forme. Rencontre avec les acteurs qui tentent de faire bouger les codes.

Roses, vertes, jaunes, plusieurs dizaines de canettes sont empilées sur le zinc du restaurant Santosha à Biarritz (64).

À peine entré dans l’établissement, cet assemblage de contenants en aluminium de toutes les couleurs s’impose aux clients.

Graphiques, esthétiques, elles attirent l’œil et la curiosité. Mais que contiennent-elles ? Ni bière ni soda nouvelle génération, comme le kombucha ou l’eau pétillante au CBD. Ces canettes de la marque Uchronic accueillent en leur sein la boisson préférée des Français : du vin. «Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. » Une citation de Musset qui proposait de porter la coupe aux lèvres. Presque 200 ans plus tard, quand il s’agit de consommer du vin, la bouteille reste la norme, mais une nouvelle tendance cherche à se faire une place dans l’Hexagone, le vin en canette. « Les gens ne sont pas encore bien habitués à voir cela », commente Ethan Dunn, gérant du Santosha, qui est confronté régulièrement aux questions de ses clients. Il propose depuis quelques mois du vin dans ce contenant qui suscite l’étonnement. Américain d’origine et ancien sommelier à New York, il se réjouit d’avoir pu trouver ce concept en France, déjà bien implanté aux États-Unis. « Le packaging est beau et nous avons de très bons retours », abonde-t-il, tout sourire derrière son bar.

Démocratiser le vin

Uchronic est une jeune marque française née dans l’Hérault (34) et portée par Benjamin Furlan. Le Montpelliérain fait partie de ces entrepreneurs qui ont décidé de bousculer quelque peu le marché du vin et surtout son mode de consommation. Une histoire bien ficelée, celle d’un trentenaire habitant en ville, habitué à goûter la cuisine du monde présentée au gré des ruelles du centre-ville, qui du jour au lendemain s’est retrouvé confiné dans son appartement avec sa femme enceinte. Il décide alors de s’intéresser à la vente à emporter. « J’ai remarqué que le vin était absent de ce mode de consommation, raconte-t-il. Il était possible de commander avec son repas des bières, mais surtout des sodas. Comme si le groupe Coca-Cola était finalement devenu le numéro un de l’accord mets et boissons. » Il ne faudra pas très longtemps à ce Mosellan d’origine, qui a grandi auprès d’une mère sommelière, d’un père cuisinier, et ayant des formations dans l’innovation, la biologie et la chimie pour réunir toutes ses compétences et créer la marque Uchronic, avec comme seule ambition celle de « remettre le vin à sa place ». « J’ai voulu adapter le vin au marché et la canette est arrivée naturellement »,explique-t-il. Il n’est pas le premier à tenter l’expérience en France, puisque Cédric Segal a fondé la marque Winestar en 2013.

« L’idée est de démocratiser le vin et de proposer des contenants plus adaptés au monde moderne », justifie-t-il. Une initiative qu’il a rapportée au cours de ses voyages, notamment en Asie et dans les pays anglo-saxons, où l’idée même de consommer du vin en canette semble s’être démocratisée depuis longtemps. « Cela fonctionne très bien en Australie ou aux États-Unis, pourquoi pas en France ? », s’interroge-t-il. En 2018, sur le marché du vin outre-Atlantique, 900 références étaient déjà présentées en format canette. Un phénomène en pleine expansion, selon l’institut de recherche américain WIC Research.

« L’idée est de démocratiser le vin et de proposer des contenants plus adaptés au monde moderne. » – Cédric Segal, président de Winestar

Rompre avec les codes

Si ce format de consommation semble encore avoir du mal à s’implanter en France et reste confidentiel, il commence à gagner du terrain. Cédric Segal, comme Benjamin Furlan espèrent convaincre de plus en plus de professionnels du bien-fondé de leurs produits dans la restauration. Toutefois, la première difficulté que rencontrent les deux entrepreneurs est celle de devoir justifier que le vin peut être tout aussi bon en canette qu’en bouteille et que le contenant en aluminium n’en modifie pas le goût intrinsèque. Ils ont tous deux recours à des canettes possédant un revêtement alimentaire afin que le contenu ne soit pas en contact avec l’aluminium et utilisent l’azote liquide pour chasser le CO et ainsi empêcher l’altération de leur précieux breuvage. Par ailleurs, selon une étude de l’université de Southampton, les canettes en aluminium ont un impact environnemental moindre que les bouteilles en verre. En effet, le recyclage d’une tonne d’aluminium permettrait d’économiser 96 % d’énergie contre seulement 26 % pour le verre. Mais au-delà de cet argumentaire en faveur du contenant, c’est à la difficulté de changer les codes que se heurtent les acteurs du vin en canette. Ils peuvent cependant s’appuyer sur l’évolution des modes de consommation et notamment le développement de la vente à emporter.

« Les confinements successifs puis l’avènement de la vente à emporter ont été un accélérateur », explique Benjamin Furlan, qui s’est lancé seul en démarchant des restaurateurs à la sortie de leur établissement avec comme unique matériel une machine à encanetter manuelle. Son entreprise continue de grandir. Une croissance qui n’est cependant pas inhérente au seul marché français. C’est pour l’instant à l’export qu’Uchronic fait la majeure partie de son chiffre d’affaires d’après le témoignage de son président, qui cherche à légitimer ses produits auprès du public français. « En France, il est compliqué de convaincre les gens, il y a une forme de réticence à rompre avec les codes traditionnels » , analyse-t-il. Un discours partagé par Cédric Segal. Le président de Winestar confie envoyer 90 % de sa production à l’export, notamment en Asie et en Amérique du Nord, tout en refusant de communiquer ses chiffres de vente en France. « Nous exportons dans des pays qui ne sont pas forcément des producteurs de vin, mais qui sont plus ouverts sur les nouveaux packagings » , souligne-t-il.

Nouvelle manière de consommer

Outre les professionnels, les entrepreneurs doivent aussi tenter de convaincre les clients de se tourner vers ce mode de consommation du vin. Selon une étude de l’entreprise Norstat, publiée en juin 2021, 48 % des 18-24 ans ne sont pas réfractaires à l’idée de boire du vin en canette et ont passé le pas ou songent à le faire. Un chiffre qui monte respectivement à 51 % et 68 % au Royaume-Uni et aux États-Unis. Toujours selon la même base de données, plus l’âge des sondés avance, plus le pourcentage baisse. Seulement 20 % des 55 ans et plus déclarent avoir déjà bu du vin en canette. On apprend également que le rosé est le vin le plus consommé en canette avec 28 % de part de marché, contre 16 % pour le rouge. Ainsi, Benjamin Furlan et Cédric Segal ont bien compris qu’ils ne feraient pas changer les habitudes ni les mentalités d’une frange de la population n’ayant que peu recours à la vente à emporter, et surtout bien trop habituée à consommer en bouteille. « On vise une population plus jeune, entre 18 et 35 ans, qui n’a pas envie de consommer le vin de la même manière que ses aînés, expose Cédric Segal. La Covid a accéléré la vente à emporter et le packaging nomade facile à emporter et à livrer. » Ils mettent donc le packaging nomade en avant. En dehors de la vente à emporter classique, ils souhaitent séduire un public plus enclin à consommer du vin sur le pouce, à l’instar d’une bière ou d’un soda. Pique-niques, bivouacs, afterworks, ce sont dans ces moments de vie là que les acteurs du vin en canette cherchent à insérer leurs produits en proposant des contenants correspondant à un verre ou deux, pour « une expérience de dégustation ». Toujours dans cette recherche de séduire un public jeune, Benjamin Furlan présente huit références de vin bio et monocépage. « Nous voulions un produit cool et pédagogique, à destination de cette jeunesse qui a soif de découvrir le vin. Nous avons fait valider nos assemblages par un panel de jeunes consommateurs », relate-t-il. Une stratégie qui semble porter ses fruits sur le terrain, comme l’expérimente Ethan Dunn dans son établissement biarrot.

« Cela commence à marcher de plus en plus auprès d’un public plutôt jeune et surtout sur le service du midi, rapporte-t-il. Mais les plus âgés ont encore du mal avec le concept. » L’ancien sommelier américain confie vendre ses canettes tout aussi bien dans le cadre de la vente à emporter qu’en consommation sur place. « Cela fait un verre et demi, voire deux, c’est idéal pour une personne seule ou à partager à deux » , ajoute-t-il. Il les vend au prix unitaire de 6 €, soit l’équivalent d’un service au verre pour des canettes de chez Uchronic faisant 250 ml. Lui aussi y trouve son avantage en tant que restaurateur : « Cela m’évite d’ouvrir une bouteille à chaque fois lorsqu’un client veut juste un ou deux verres de vin et de la laisser s’éventer par la suite. La canette apporte un petit quelque chose en plus en termes d’expérience de dégustation. »

Marché porteur

Sur le terrain, quelques vignerons ont senti venir ce marché porteur et sur lequel ils souhaitent se positionner. Comme Anne-Victoire Monrozier, vigneronne dans le Beaujolais qui a découvert le principe du vin en canette lors d’un vino-camp en 2019 sur l’innovation et sur les perspectives futures répondant au thème de « boire du vin en 2020 ». Un contenant qui l’a conquis immédiatement. « Ce qui est fou avec la canette, c’est que tout change dans la perception quand on en touche une, raconte-t-elle.

Cela nous éloigne des codes, comme si la légèreté de la canette donnait de la légèreté au vin, il y a une émotion différente quand on ouvre une canette de vin. » Convaincue de la qualité du contenant, mais concédant que tous les vins ne peuvent pas se mettre en canette, elle décide de tenter l’expérience avec un vin rouge fruité, d’appellation d’origine contrôlée (AOC), le fleurie et produit 4 000 canettes sous le nom de Vicky Wine.

« Les consommateurs attendent quelque chose de léger et frais » , estime-t-elle. Une expérimentation qui a porté ses fruits, Anne-Victoire Monrozier ayant enchaîné par une nouvelle commande de 30 000 unités cette fois-ci. « On remarque qu’il faut peu de temps au consommateur pour être convaincu, note-t-elle. C’est un produit hors normes qui séduit presque immédiatement. »

Elle insiste sur les avantages de la canette notamment auprès des professionnels du secteur CHR en termes de transport et de stockage. « Ce sont des cartons de 24 canettes de 250 ml, ce qui veut dire que pour les mêmes espaces qu’un carton de vin classique c’est comme si vous aviez l’équivalent de huit bouteilles au lieu de six. Cela peut permettre à des restaurateurs qui n’ont pas une grande carte des vins, ou peu d’espace de stockage d’étoffer leur offre comme les food trucks ou les restaurants du midi. C’est également idéal pour les hôtels qui peuvent les proposer dans les minibars des chambres. » Pour la vigneronne, au-delà de la tendance de fond, c’est l’utilité du contenant qui va permettre au vin en canette de s’affirmer. Elle concède cependant que le marché est encore frileux du fait de la méconnaissance et de la rareté du produit. « La conversion va venir des gens qui ne sont pas des amateurs réguliers. Les gens du vin sont dans un moule », conclut-elle, espérant que la canette brise un jour le plafond du verre. 

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