La guerre du laguiole bat son plein

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L’association CLAA (Couteau Laguiole Aubrac Auvergne) s’apprête à déposer auprès de l’Inpi un dossier de demande IGPIA (indication géographique appliquée aux produits industriels et artisanaux) pour le « Couteau Laguiole. » L’association réunit une quarantaine d’entreprises majoritairement installées à Thiers, mais aussi quelques structures de la coutellerie laguiolaise dont ni les noms ni le nombre n’ont été dévoilés. Cette démarche fait suite au dépôt en fin d’année d’un autre dossier de demande d’IGPIA, également déposé pour le couteau de Laguiole mais soutenu par sept entreprises laguiolaises dont Forges de Laguiole, la coutellerie de Laguiole, ou Laguiole en Aubrac.

Ces deux dossiers sont en rivalité. D’un côté, CLAA défend l’idée d’une IGPA liée au Massif central concernant à la fois les couteaux pliables, les couteaux de table et les dérivés concernant les arts de la table. De l’autre côté, les Laguiolais privilégient le principe d’une indication strictement liée à l’Aubrac et protégeant uniquement les couteaux pliables.

Cela fait six ans que dure ce conflit qui a refroidi sensiblement les relations entre les deux bassins couteliers où les échanges étaient et restent toujours nombreux. En effet le 3 juin 2015, à Bercy, Carole Delga, secrétaire d’État, notamment chargée de l’Artisanat présentait à Bercy la nouvelle IGPIA, une IGP, réservée aux fabrications non alimentaires. L’association CLAA était déjà présente dans la salle. Son président, le Thiernois Aubry Verdier, accompagné de confrères laguiolais, présentait dans une vitrine des couteaux de Laguiole. Le plus populaire des couteaux de poche français faisait figure de candidat potentiel à cette reconnaissance. Mais à Laguiole, nombre de couteliers réunis autour de Thierry Moysset, alors patron des Forges de Laguiole, contestaient déjà cette IGPIA élargie et souhaitaient la restreindre au bassin à l’Aubrac dans une logique purement géographique.

À 200 km de là, à Thiers, les couteliers tiraient argument de l’histoire. Ils n’entendaient pas se faire déposséder de leur légitimité sur ce couteau où ils ont largement contribué à asseoir la notoriété. Les Auvergnats mettent en avant la loi de l’IGPIA qui n’exclut pas d’intégrer un large bassin de fabrication. Par ailleurs, ils estiment que les notions de tradition et d’antériorité jouent en leur faveur. Comme l’explique Aubry Verdier : « Si dès 1868 on retrouve des traces de fabrication de laguioles à Thiers et en Aveyron, avant la Première Guerre mondiale, au plus fort de l’activité, il n’y avait que 35 ouvriers couteliers à Laguiole ; c’était largement insuffisant pour répondre à la demande. À mon sens, Thiers assurait déjà la grande majorité de la production. Ensuite, la production aveyronnaise a décliné pour tomber en désuétude dans les années 1950 et tout a basculé à Thiers. Elle a repris en 1985, en Aveyron grâce au savoir-faire thiernois et aux machines thier-noises. Aujourd’hui encore, les couteliers thiernois fournissent de nombreuses pièces et services aux Laguiolais. »

La fabrication du couteau aveyronnais pèse dans l’économie locale de la capitale du couteau.

« Certains acteurs de la sous-préfecture du Puy-de-Dôme, indique Aubry Verdier, réalisent 80 % de leur CA à l’export avec le laguiole. Vous imaginez que nous pourrions vendre de la même façon dans un salon étranger si nous étions privés de l’IGPIA? Nous sommes tous conscients qu’il faut protéger nos fabrications de qualité, mais nous ne souhaitons pas d’une indication restreinte qui crée une énorme distorsion de concurrence. »

Le président du CLAA sait que son dossier est solide et que le dossier purement laguiolais présente une lacune d’antériorité et de tradition. Il ne presse pas le rythme et a laissé ses adversaires déposer leur demande avant de leur emboîter le pas. La balle est dans le camp de l’INPI qui va avoir du mal à trancher. Aubry Verdier estime « impensable » que le dossier laguiolais soit validé en l’état. Il craint également que l’INPI renonce finalement : « Il y a un risque énorme qu’au final, il n’y ait pas d’IGPIA du tout. » Les deux partis sont donc condamnés à s’entendre ou à tout perdre.

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