Discothèques : le grand sommeil de la nuit
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Après un an et demi de fermeture due à la pandémie, les discothèques ont à nouveau baissé le rideau depuis le 10 décembre 2021. Une situation discriminante selon les représentants de ces établissements, qui pourraient payer très cher ce nouveau coup d’arrêt.
Avant les premières fermetures, l’activité de la nuit était en forte « progression. Nous n’étions pas loin de 20 % de croissance, concède Thierry Fontaine, président de l’Umih Nuit, organisme représentant plus de 1 200 établissements du secteur. Mais avec les conséquences de la crise sanitaire, les discothèques se trouvent dans une situation alarmante. Parmi les 1 600 clubs que l’on comptait en France en 2019, entre 250 et 300 clubs auraient déjà mis la clef sous la porte (liquidations judiciaires ou autres).
Les discothèques « ciblées » injustement ?
« Nous vivons une crise de confiance des établissements de nuit. Aujourd’hui, on cible notre métier en fermant les discothèques alors que nous procédons à un contrôle du passe sanitaire avec la présentation d’un justificatif d’identité, ce qui n’est pasle cas dans les autres établissements, remarque Thierry Fontaine. Dans une discothèque, il y a aussi une obligation de ventilation. Nous rejetons l’air vicié toutes les six à sept minutes, ce qui n’est pas le cas non plus dans une fête privée ou ailleurs. »
L’incompréhension et surtout le sentiment d’injustice sont forts pour les représentants des clubs de nuit, évoluant actuellement dans une deuxième période d’obligation de fermeture de trois semaines qui devrait s’étendre jusqu’au 24 janvier (au minimum). « Une fois encore, les discothèques sont une variable d’ajustement du gouvernement face à la crise sanitaire, un secteur déjà lourdement pénalisé après 16 mois de fermeture entre mars 2020 et juillet 2021. Cette décision a été prise sans concertation préalable avec le secteur », regrette pour sa part le Syndicat national des entreprises gaies (SNEG).
« On nous propose moins d’aides aujourd’hui »
Le mois dernier, le ministère de l’Économie et des Finances a présenté les nouvelles aides destinées aux discothèques et aux clubs. Ils bénéficieront d’un « dispositif coûts fixes », à hauteur de 100 % des charges durant la période de fermeture. Le dispositif dérogatoire de « l’activité partielle sans reste à charge pour les employeurs » est également reconduit pour les entreprises closes durant cette séquence. De plus, les clubs pourront continuer à bénéficier des PGE (prêts garantis par l’État) jusqu’à juin 2022, des plans d’apurement des cotisations sociales ainsi que de l’aide « fermeture » (pour les entreprises qui ont atteint le plafond de l’aide « coûts fixes », interdites d’accueil en 2021 ou qui ont perdu au moins 80 % de leur chiffre d’affaires [CA] durant cette période).
« Les discothèques sont les présumés coupables idéaux et personne ne viendra à leur rescousse. »
Mais selon Thierry Fontaine, ces nouvelles mesures « sont moins massives » que lors de la précédente fermeture. Grâce au fonds de solidarité, « nous avions 20 % de notre chiffre d’affaires. Mais on nous propose moins d’aides aujourd’hui, car le mois de décembre représente 20 % de notre CA annuel. Nous avons aussi des PGE à rembourser à partir du mois d’avril. Chaque établissement va devoir le négocier au cas par cas. Le soutien était bien jusqu’ici mais ça sera plus compliqué désormais. Lorsque vous ciblez un métier comme le nôtre, les banques vont se montrer prudentes », s’inquiète le président de l’Umih Nuit.
Un dispositif coûts fixes pas assez réaliste
« Le dispositif coûts fixes ne tient pas compte de la réalité de notre activité. Personnellement, je fais toutes mes meilleures soirées en décembre, confie Pierre Delabasserue. Il est propriétaire du Pamela club (ex-Dandy), rue Mazarine (Paris 6e). Les mois de décembre, janvier et février sont ceux qui paient le reste de l’année. J’avais une stratégie cet été : j’ai refait des travaux et toute l’identité de mon club. Maintenant je n’ai plus de fonds, l’aide coûts fixes me servira a minima. Ils vont devoir améliorer les aides pour soutenir notre micro-économie. »
Afin de ne pas « se retrouver tout nu à la fin de l’exercice », l’Umih Nuit demande donc à l’État que le secteur soit aidé à hauteur de « 30 % du chiffre d’affaires des trois meilleurs mois de l’année », et que les salaires des dirigeants de clubs et leurs charges sociales soient subventionnés.
Un secteur des discothèques en mutation depuis 10 ans
Outre l’interruption de l’activité engendrée par la Covid-19, le monde de la nuit parisienne a connu des changements cette dernière décennie. Ces bouleversements n’ont pas été favorables aux discothèques et aux clubs. Le « phénomène berlinois pousse les gens vers la banlieue, à Pantin ou à Montreuil notamment. Là où des soirées sont organisées dans des friches ou des hangars. L’offre s’est diversifiée entre 2012 et 2019 avec des nouveaux lieux qui n’étaient pas exploités par la nuit parisienne. Il a fallu revoir le business model », expose Pierre Delabasserue, à la tête de différentes enseignes depuis 2011. La nuit « se consomme différemment, les comportements ont changé. Il y a les concerts, les bars dansants musicaux. Des modèles qui se déclinent avec les attentes des clients », abonde Christophe Blanchet, député (Modem) du Calvados et ancien patron de boîtes de nuit.
« Tous les établissements de type P [clubs et salles de danse, NDLR] sont aujourd’hui fermés, mais ce n’est pas le cas pour ceux de type N [restaurants, débits de boissons, bars à ambiance musicale ou BAM, NDLR] . Les discothèques sont les présumés coupables idéaux et personne ne viendra à leur rescousse. Je comprends le message envoyé par le gouvernement. Pour autant je défends la jeunesse de France qui a besoin de vivre. Cette jeunesse, les 18-39 ans, qui se prive depuis deux ans de s’amuser et de se rencontrer. Il y a urgence d’adapter les conditions en fonction des chiffres, s’ils évoluent, pour que ces moments festifs ne soient pas discriminatoires. »
La question des nuisances sonores
Au-delà du contexte sanitaire actuel, la gestion des nuisances sonores est également un sujet difficile à gérer dans plusieurs quartiers de la capitale, comme dans les centres-villes. Une donnée supplémentaire à prendre en compte pour les propriétaires de clubs.
« Les riverains s’approprient Paris. On essaie de trouver un juste milieu mais c’est compliqué. J’ai dû investir dans des “ chuteurs ”, des personnes chargées habituellement de la sécurité qui demandent aux gens de faire moins de bruit en quittant nos lieux », témoigne le directeur du Pamela club. L’activité des discothèques parisiennes, déjà sujette à une économie fragile, est aujourd’hui dans une impasse que la nouvelle vague de coronavirus, et son variant Omicron, renforce davantage.
Pour aller plus loin
La Sacem solidaire
Une boîte de nuit ne peut jouer de la musique sans avoir demandé une autorisation, ni établi un contrat avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem). À la suite de l’annonce de fermeture des discothèques, la Sacem a rapidement apporté son aide à ses clients du monde de la nuit. « Pour vous soutenir dans cette nouvelle période difficile, nous réactivons dès à présent nos mesures d’accompagnement pour les établissements frappés par cette fermeture administrative. Jusqu’à sa levée, nous suspendons toute facturation des droits d’auteur, nous suspendons tous les prélèvements automatisés sur comptes bancaires, nous suspendons les pénalités (pour non-paiement dans les délais). Vous n’avez aucune démarche à effectuer. Nous reviendrons vers vous en fin de période de fermeture administrative pour vous expliquer en détail comment nous organiserons la reprise », a détaillé Stéphane Vasseur, directeur du réseau Sacem.
Les clubs sont-ils des clusters ?
La décision gouvernementale de fermeture des discothèques s’appuie en partie sur une étude de l’Institut Pasteur, réalisée du 23 mai au 13 août 2021, concluant que les clubs étaient « des lieux à haut risque de transmission », car clos et mal ventilés. À l’inverse, les premiers enseignements de l’étude ITOC (Indoor Clubbing Transmission of Covid-19) de l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes, effectuée dans le cadre d’une soirée avec des personnes vaccinées à La Machine du Moulin Rouge, le 17 octobre 2021, montrent « qu’il n’y a eu ni cluster ni aucun élément prouvant une surcontamination des participants pendant cette soirée-test », indiquait Le Monde, le 26 décembre. Les résultats détaillés de cette étude feront bientôt l’objet d’une publication scientifique.