Une brasserie dans une église

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À Rouen, l’église Saint-Nicaise est investie pour des événements festifs. D’ici à 2027, elle prévoit de recevoir à l’année deux bars, deux restaurants et une microbrasserie. Un lieu emblématique qui permet de faire rayonner dans la région des bières aux accents vikings.

Brasserie Ragnar
La Brasserie Ragnar à Rouen (76) a pris place dans une église désanctuarisée. Crédit : DR

Durant la Coupe du monde de rugby, l’église Saint-Nicaise a représenté l’un des principaux lieux de diffusion des matchs dans la ville de Rouen. Assis sur des chaises hautes, face à des tonneaux faisant office de tables, les convives prenaient place devant des écrans géants. À l’extérieur, un Biergarten offrant 150 places assises accueillait aussi le public. Depuis 2020, cet édifice religieux s’affirme comme un des spots les plus courus durant les beaux jours. Il faut dire que Rouen, surnommé la « Ville aux cent clochers », ne manque pas d’églises. Saint-Nicaise, qui porte le nom d’un évêque de Reims supplicié au Ve siècle, a vu le jour en 1288. Reconstruite au XVIe siècle, elle a été partiellement détruite par un incendie en 1934. La partie en façade fut alors reconstruite en béton et dans un style Arts déco. Malheureusement, le béton n’a pas traversé les siècles avec l’aisance de la pierre.

L’édifice, devenu dangereux, a été fermé en 2002, puis désacralisé par le diocèse en 2016. Trois ans plus tard, Saint-Nicaise entreprend une renaissance inattendue sous l’impulsion de Ragnar, une jeune microbrasserie d’Oissel qui met en avant l’identité viking de la Seine-Maritime. Créée en 2019 par Pierre-Marie Soulat, diplômé de l’Essec, Pierre Pacaut, maître brasseur, et Benoît Rousset, l’entreprise a connu des débuts mouvementés. « Nous n’avions pas accès au PGE quand nous avons vraiment démarré en mars 2020, le pays était confiné, rappelle Pierre-Marie Soulat. Ce qui nous a sauvés, c’est Saint-Nicaise. Nous avions candidaté dès le départ pour la reprise et en décembre 2019, la mairie de Rouen nous en a confié les clés moyennant 1 euro symbolique. Dès la réouverture des bars, nous avons pu faire fonctionner ce nouveau lieu qui a connu un franc succès. Cela nous a permis d’écouler nos stocks et de reconstituer notre trésorerie. »

Un projet audacieux

Grâce à ce lieu en vue, la brasserie Ragnar est rapidement devenue incontournable dans le paysage haut-normand. L’occupation de l’église a aussi un prix puisque les trois associés se sont engagés à long terme pour trouver les moyens de rénover l’édifice moyennant un investissement estimé à 12 M€ (8 M€ pour l’immobilier et 4 M€ pour l’exploitation). Régulièrement, 10 % du chiffre d’affaires est ainsi investi dans cette rénovation. Les trois associés ont pour l’instant sécurisé l’édifice, l’électricité et refait les huisseries. Mais dès 2027, l’église accueillera deux bars, un bar-brasserie et un restaurant à vocation gastronomique, qui prendra place dans la surface autrefois occupée par les grandes orgues. Des microbrasseries seront installées pour permettre de chauffer les lieux durant l’hiver, et d’en finir avec le fonctionnement saisonnier. Cette implantation brassicole permettra essentiellement d’alimenter la bras- serie. Mais les trois associés ont d’autres projets. Depuis un an, ils disposent d’une brasserie plus 2
vaste dans un local de 5 000 m . Elle devrait bientôt être équipée d’un matériel de brassage plus performant. Cette brasserie alimente trois marchés, celui de Ragnar, de Rollon – marque dévolue au CHR – et d’Oko, pour le marché bio. « En réalité, au-delà du métier de brasseur, nous développons trois autres activités, détaille Pierre-Marie Soulat. Nous sommes franchiseurs. Il existe déjà un pub Rollon en centre-ville salué par le Gault & Millau pour ses børgers normands et un projet de Ragnar steak house est à l’étude. Nous animons des événements salons, foires, concerts et tablées de chefs. Enfin nous avons l’objectif de devenir distributeurs de boissons. » Pierre-Marie Soulat mise d’abord sur son implantation locale dans les deux départements hauts-normands, qui absorbent la quasi-totalité des 4 000 hl de bière produits annuellement par la brasserie. Le groupe réalise déjà un CA de 1 M€ et connaît une croissance de 30 % par an. Les effectifs (10 personnes) devraient doubler. Les débuts semblent prometteurs pour une entreprise qui a démarré avec 50 000 € et qui n’a pas encore procédé à des levées de fonds. « Nous avons créé des blocs qui séparément n’ont pas de sens, estime Pierre-Marie Soulat. Mais l’église sert d’agrégateur à la brasserie et légitime son ancrage normand. »

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