Art de vivre : l’incontournable rendez-vous au café

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Nombre de sites et d’applis proposent des rencontres virtuelles… à concrétiser dans le monde réel. Et elles se font presque toujours au bistrot. Ce lieu trouve ainsi un nouveau public, sensible au cadre de ses dates. Quelles sont les attentes ? Comment mieux accueillir ? Voici quelques témoignages vécus.

rendez-vous café
Les tables des cafés ont connu tant d’émois amoureux. Crédit P. Bourgault.

« On se voit où ? » Lorsque la conversation sur écran prend cette tournure, c’est bon signe. Les suggestions de Google abondent : parc, cinéma, musée, pique-nique, activité sportive… et, bien sûr, un café. Dans leur livre Paris 100 bars pour se donner rendez-vous (Éditions Parigramme), Bastien et Maïlys de Sèze les explorent sous l’angle du date (premier rendez-vous). L’idée étant de trouver un lieu qui reflète votre personnalité – ou plus astucieusement, de laisser choisir l’autre et se révéler : « Dis-moi dans quel café tu m’emmènes, je te dirai qui tu es ! », confie Gwenaëlle.

Lors d’une enquête effectuée sur Facebook fin août, les réponses dessinent le bistrot idéal. Cathy : « Une lumière tamisée et chaude, un décor soigné, du genre pub. Un beau lieu sera un bon endroit pour une rencontre. » Pour Olivier : « Une ambiance sonore paisible pour parler sans crier, saisir les nuances de la voix. De l’intimité, pour ne pas être écoutés par les voisins. » Gwenaëlle : « Un bistrot qui ne vous met pas dehors dès votre verre terminé. » Béatrice : « La luminosité du lieu, pas trop tamisée ni violente. Pas de musique trop forte, ni le passage incessant des serveurs. Une arrière-salle est parfaite ; isolés, mais pas trop ! »

Plusieurs femmes, telles Aline, apprécient l’aile protectrice du bistrot : « J’évite les parcs, les cinémas, je préfère un lieu où il y a du monde, car on peut être déçue et tomber sur des hommes trop entreprenants. » De même, Lulu : « Ayant travaillé dans la lutte contre les violences, je privilégie un espace public neutre et sécurisant, comme un café, où il est possible de quitter une conversation. » Béatrice observe les comportements : « Si l’inconnu est désagréable vis-à-vis du serveur, je juge le test non concluant et je lève le camp ! »

Au bonheur des terrasses

« Une terrasse dans un endroit calme répond à mon besoin d’intimité car, en intérieur, entre les convives, les bruits de vaisselle, la musique d’ambiance et les matériaux qui favorisent la réverbération sonore, l’acoustique est souvent agressive », estime Olivier. Selon Annie, « un café avec terrasse, c’est agréable et romantique ; encore mieux, le rooftop perché sur un toit, avec vue. » Le date redonne un rôle au bistrot, qui reste le meilleur choix de rendez-vous – sauf pour les rencontres pressées, comme le résume Chloé : « On se retrouve directement chez l’un ou l’autre, on ne perd pas de temps au café ! » Le café serait-il devenu un lieu inutile, ringardisé par Tinder ? « Pas du tout, rassure-t-elle, on y va ensuite, si tout s’est bien passé ! »

Le bistrot nous raconte

Pour un rendez-vous d’affaires, une adresse tranquille avec wifi et prise électrique suffit. Elle sera plus ou moins chic, selon l’impression que l’on veut donner et le budget. Un rendez-vous amoureux suivra des critères de choix plus affectifs : Pascale aime « un bar avec du mobilier hétéroclite, où l’on choisit l’endroit qui nous correspond pour s’y sentir bien. » Félix Le Gavroche, musicien et tourneur de limonaire, clame : « J’adore les bouis-bouis, les bons vieux bistrots. Les adresses chics, c’est pas pour ma pomme ! Et je choisis d’ailleurs mes rencontres en fonction… » Prévoyante, Valérie conseille « un café loin du domicile des amants, en centre-ville, anonyme ». De même, Aline préfère « un lieu où l’on ne me connaît pas. Ou au contraire que je connais bien : cela dépend des circonstances. »

Ceux qui redoutent le silence dans la conversation apprécieront une soirée au bar-concert pour partager des goûts musicaux, ou aller rire dans un bar d’humoristes car « date qui rit, à moitié dans ton lit », suggère la sagesse populaire. Et la carte guide aussi la rencontre. Pour Béatrice, « la boisson commandée traduit l’état d’esprit ; un verre de vin libère la parole, à l’inverse, une tisane annonce qu’on va bientôt rentrer dormir ». Un café peut signifier le contraire, une envie de prolonger la soirée.

De l’autre côté du bar

Comment répondre à cette nouvelle clientèle des dates ? En satisfaisant ses souhaits de discrétion et d’intimité. Bien sûr, en évitant l’humour potache qui rendit célèbre La Vieille Trousse (Paris, 5e), à Saint-Germain-des-Prés, où la taulière faisait mine de séparer les arrivants : « Je ne vais pas te laisser avec lui, je vais te mettre avec le monsieur qui est seul là-bas ! », témoigne Roland, un fidèle client. L’humour d’une époque, aux antipodes des bonnes manières de l’école hôtelière, qui subsiste au Bangkok Thailand (13e) où le patron accueille encore les couples, même ceux qu’il ne connaît pas, avec : « La précédente, elle était moins bien ! » Sa blague récurrente, annoncée dans les guides tels Paris, bars et restos insolites (Éditions Jonglez). Un humour que Pierre Hantz (Le Vaudésir, Paris 14e ) n’oserait qu’entre amis : « Il faut éviter toute familiarité, toute intrusion, pour que les clients reviennent en confiance. En général, la personne s’installe dans ma courette ou la petite salle derrière le bar, au fond. Si elle précise qu’elle attend quelqu’un, je conseille de vérifier si la personne n’est pas déjà là… Je demande si je dois guetter l’arrivée, des détails, homme ou femme, couleur de cheveux… Je propose le journal, qui est souvent accepté. » Une complicité s’établit, un secret partagé.

Conseil d’experts

Selon Romain Vidal (Le Sully, 4e), « chacun a sa place dans un bistrot, pour un rendez-vous galant, d’amitiés ou professionnel. Du lycéen aux seniors, du jeune couple aux amants. C’est le salon qui manque aux petits appartements parisiens. On est davantage ouverts que les autres. » En effet, la plage horaire est plus large que dans tout autre commerce.

En 60 ans d’expérience, Marcel Benezet (Extérieur Quai, 10e) a vu la clientèle évoluer : « Le bistrot de papa, c’est fi ni. Aujourd’hui, j’accueille des télétravailleurs, des gens qui attendent quelqu’un… » Parfois, ils repartent sans rien commander, tellement ils sont pressés, ou au contraire parce que le premier regard, derrière la vitre, n’a pas séduit. Marcel devine tout. « On veut qu’ils se sentent bien et certains restent dîner. Il faut montrer sa complicité, tout en se gardant à l’écart, et sans que cela se voie. Certains deviennent des clients fidèles. Je surveille aussi les pickpockets qui prétendent attendre quelqu’un – ils s’assoient trop près des autres. »

Experte en coaching amoureux, Bénédicte Ann conseille les célibataires, organise des « Cafés de l’amour » qui réunissent une centaine de personnes et écrit des livres tels : C’est décidé, j’arrête d’être célib (Éditions Albin Michel). « Au café, on ne risque rien. Tout le monde s’y retrouve – même ceux qui proposent une balade au musée ou au cinéma. Pour une première fois, je suggère à la femme de commander un café, pas onéreux, elle n’aura aucun scrupule à filer si la rencontre ne convient pas. L’invitation au restaurant engage davantage. » En effet, un date peut se décommander faute de moyens financiers, et le low key dating consiste à dénicher des sorties bon marché. « Mes conseils aux bars pour donner envie de rester : pas trop de musique, d’écrans… Si possible, des tables séparées. Les terrasses sont un fantasme romantique et un espace de drague. À l’intérieur, la banquette est appréciée pour s’asseoir côte à côte. » Concurrencé par les applis, le bistrot reste le lieu des émois amoureux – certains se nomment d’ailleurs toujours Au Rendez-Vous !

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