Bière de Noël : la magie continue

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Alors que s’approchent les fêtes de fin d’année, la bière de Noël se révèle un élément indissociable. La plupart des brasseurs, les grands comme les petits, proposent un tel brassin, caractérisé par sa gourmandise et son réconfort. Mais certains décident de s’écarter des schémas traditionnels pour innover.

Bière Noël
Brasserie Licorne a imaginé un verre en forme de botte pour déguster sa référence. Crédit : Brasserie Licorne

Chaque fin d’année, le même rituel. Les sapins, les calendriers de l’Avent et les décorations se côtoient dans un environnement volontairement kitsch. La recherche de réconfort est alors à son paroxysme, face à l’arrivée de l’hiver. Parmi les produits incontournables, la bière de Noël a fait du chemin pour s’installer à la table de fête des Français. Plus qu’un simple brassin de saison, il s’agit d’une habitude désormais solidement ancrée.

« La bière de Noël est devenue une tradition, quasiment un rendez-vous annuel. Les gens apprécient goûter les nouvelles créations », confirme Marie-Emmanuelle Berdah, zythologue et formatrice chez Craftology, entreprise nantaise spécialisée dans la formation et la dégustation de bières artisanales.

Ce rituel est également établi du côté des brasseurs. « Au début, nous n’étions pas nombreux, commente Olivier Amossé, directeur commercial et marketing de Brasserie Licorne, située à Saverne, en Alsace, qui produit depuis une vingtaine d’années un tel brassin. Petit à petit, il s’est démocratisé. Nous nous sommes rendu compte que la demande ne se limitait pas qu’à notre région. Nous constatons depuis cinq ans une accélération assez importante, qui va de pair avec la grande distribution, secteur dans lequel les ventes ont explosé, parce que beaucoup d’acteurs du marché s’y sont intéressés et le consommateur aussi. Cela nous aide donc à faire grandir le marché ».

Un marché dynamique

Une dynamique qui correspond finalement à l’ensemble de la filière brassicole. « Ce que connaît actuellement le marché des CHR avec les microbrasseries, les brasseries artisanales et les ventes en augmentation, correspond à ce qu’il se passe dans la bière de Noël. Il existe une émulsion qui fait que tout le monde profite de ce dynamisme pour tirer les ventes vers le haut », ajoute Olivier Amossé. Preuve de l’engouement, Brasserie Licorne a développé sa gamme en proposant le format de 15 litres, en complément de celui de 30 litres. De plus, les ventes de Licorne de Noël progressent chaque année d’environ 15%.

Néanmoins, l’ancrage traditionnel de la bière ne convient pas forcément à toutes les brasseries, en fonction de leur identité. « Mon sentiment est qu’à un moment il s’agissait d’un événement, avec des calendriers de développement très standardisés, mais il n’y avait pas cette myriade de brasseries artisanales qui bousculent les codes avec un rythme effréné. J’ai plutôt l’impression que la bière de Noël est un produit traditionnel qui va attirer un certain public. Pour les grandes brasseries, il s’agit d’un rendez-vous incontournable. Pour les plus petites, ce brassin ne représente peut-être pas un volume énorme », tempère ainsi Eugénie Mai-Thé, brasseuse en chef de FrogBeer, implantée à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), qui compte dix pubs répartis entre Paris, Bordeaux et Toulouse.

En effet, David Garrigues, fondateur d’Iron Brewery, brasserie fondée en 2016 à Montauban et spécialisée dans les recettes éphémères, annonce produire 3.000 litres de sa recette présentée comme une bière d’hiver, pour une production totale comprise entre 1.200 et 1.300 hl chaque année. « Chez nous, la demande est tout de même moyenne. C’est pour cela que nous n’en brassons que 3.000 litres. Nous avons une demande qui est vraiment éphémère, nos clients vont la chercher une fois. Elle ne sera donc pas une bière régulière pour eux », indique-t-il ainsi, avant de suggérer une raison : « Peut-être parce que le reste de l’année, les ambrées sont peu à la mode. Ce n’est pas du tout notre clientèle. »

La présence continue des groupes

À l’inverse, les groupes brassicoles maintiennent la pression. Du côté de Heineken, la référence Affligem de Noël, lancée en 2005, est aujourd’hui proposée en exclusivité sur le circuit CHR. Sur la période de fin d’année, la bière d’abbaye aux épices et à la cannelle représente sur ce marché presque un tiers des ventes de la marque. Chez Kronenbourg SAS, c’est Grimbergen qui a été choisi. Nommée bière de Noël en GMS, la référence aux notes d’épices et de caramel est qualifiée de bière d’hiver pour le CHR afin de trouver parfaitement sa place dans le programme saisonnier.

En effet, l’univers brassicole regorge de recettes éphémères, en particulier celles qui sont liées à la saisonnalité. « Sur la marque Castelain, le brassin de Noël représente 25% de nos ventes en CHR. Il représente l’un des brassins les plus importants en saisonnalité. Nous avons pris le parti de le proposer exclusivement sur le circuit CHR pour donner la primeur à ce canal de prescription », justifie de son côté Pauline Delille, responsable marketing et communication chez Brasserie Castelain, entreprise familiale implantée à Bénifontaine, dans le Pas-de-Calais.

Un constat partagé par la zythologue Marie-Emmanuelle Berdah : « La bière de Noël a toute sa place, même davantage que celle de printemps. Cette période est synonyme de partage, du fait de goûter des nouveautés ou encore de manger des produits plus riches. »

Le dernier brassin de l’année

La période de Noël et des fêtes de fin d’année, davantage propice aux dépenses et à la notion de plaisir, joue un rôle capital. Le fait que ce soit un rendez-vous immuable, revenant chaque année à la même date, a également un impact. « Le printemps, en termes de météo, arrive certaines fois début avril, d’autres fois le 15 mai. Le consommateur attend que le climat lui donne le signal. Or, pour Noël, c’est
le calendrier qui joue, il arrive toujours au même moment. De plus, à cette période, les gens ont envie de se faire plaisir. Ce qui explique que Noël possède un dynamisme fort que je ne retrouve pas dans la bière de printemps, même si cette dernière est en progression et représente des volumes »
, développe ainsi Olivier Amossé.

Néanmoins, Ninkasi, brasserie lyonnaise artisanale et réseau de restaurants, incarne ici l’exception qui confirme la règle. « La bière de printemps, blanche, brassée aux fleurs d’hibiscus, est notre meilleure bière saisonnière. Celle de Noël correspond à la deuxième meilleure vente, mais elle est en croissance chaque année », souligne Pauline Schmitt, cheffe de produit boissons de la marque.

Malgré la relative jeunesse de la tendance, l’existence de la bière de Noël ne date pas d’hier. Pour les uns, elle remonterait au Moyen Âge, pour d’autres au XVIIIe siècle. Sa raison d’être est néanmoins certaine. Le brassin en question était en effet confectionné à partir des dernières récoltes d’orges et de houblons afin de ne pas les perdre du fait du processus de pourrissement. De plus, des épices étaient ajoutées. « C’est pour cela que l’on retrouve souvent de la cannelle ou des écorces d’orange. Nous sommes plutôt sur une bière maltée, ronde, avec des notes de caramel. Donc un produit plutôt gourmand que nous prenons plaisir à consommer en hiver », explique Pauline Schmitt, de Ninkasi.

En plus de ses brassins d’hiver, FrogBeer propose sa première bière de Noël. Crédit : FrogBeer.

La Brasserie artisanale du Mont Ventoux a requalifié sa bière de Noël 1650 en bière d’hiver. Crédit : Anne-Sophie Cauchy.

Brasserie Castelain propose la Castelain Winter Ale, cette année infusée aux copeaux de chêne. Crédit : Brasserie Castelain.

Les brasseurs de Ninkasi ont ajouté du malt whisky dans leur recette d'hiver. Crédit : Gaetan Clément.

L’histoire a ainsi forgé le produit en lui attribuant une identité type : une bière plutôt forte en alcool, aux notes épicées, avec de la gourmandise. Finalement, une boisson réconfortante pour mieux supporter l’hiver. « Il s’agit d’une bière épicée, gourmande, riche, de repas, à 8% vol. Elle est ambrée pour la structure, mais pas trop. Nous sommes davantage sur la puissance et la rondeur », confirme Alexandre de Zordi, fondateur de la Brasserie artisanale du mont Ventoux, au sujet de sa référence 1650. La brasserie fondée en 2015 produit annuellement 50 hl de ce brassin, pour une production totale s’élevant à 4.000 hl. À titre de comparaison, la bière de printemps aux fraises de Carpentras représente 40 hl, « alors que la période dure plus longtemps », souligne le brasseur.

Du côté de FrogBeer également, c’est le classique qui va constituer sa première bière de Noël. « Nous avons dans notre gamme différentes manières de faire. Pour la bière de Noël, j’ai plutôt envie de rester sur les basiques, de la rondeur, des notes de pin, d’épices, pour être raccord avec les fêtes de fin d’année », justifie Eugénie Mai-Thé.

Cependant, il existe des brasseurs qui tentent de s’écarter de ce profil type pour proposer une recette innovante, tout en conservant les qualités du produit dans lesquelles s’identifient les consommateurs. Tel est ainsi le cas de Ninkasi. « Nous avons voulu prendre le contrepied. Nos brasseurs ont fait le choix de garder l’essence des bières de Noël, mais en ajoutant aucun aromate. L’une des spécificités de la Ninkasi de Noël se trouve dans le style double, titrant à 7,5% vol. Nous sommes déjà sur un produit riche, agréable à boire. Les brasseurs ont mis une pointe de malt whisky [en référence à leur gamme de whiskies lancée en 2018, NDLR], c’est-à-dire du malt fumé, qui va apporter une longueur légèrement fumée, en plus de la traditionnelle douceur », dévoile Pauline Schmitt, avant de souligner la stratégie de la marque : « Le but est de se démarquer, de montrer que nous pouvons arriver à ce côté Noël sans pour autant ajouter d’épices. »

Un produit d’appel

Pour sa création de Noël, présentée sous le nom de Castelain Winter Ale, disponible en CHR en bouteille de 75 cl et à la pression, Brasserie Castelain a également essayé de sortir des sentiers battus. « Nous avons pris le parti de la revoir sous une vision un peu plus actuelle. Elle est présentée sur la gamme Castelain, et non plus Ch’ti. Nous sortons de notre logique de recette très traditionnelle pour entrer dans la gamme craft épicurienne de la brasserie. Cette année, des copeaux de chêne infusés composent le brassin. Ils donnent des notes boisées et vanillées. Finalement, un produit singulier qui peut à la fois se déguster seul ou avec un plat », indique Pauline Delille.

Du côté d’Iron Brewery, l’innovation reste aussi le maître mot, avec des recettes renouvelées chaque année. « À chaque fois, nous recherchons l’idée d’un ingrédient ou d’un plat qui rappelle les fêtes et l’hiver. Nous cherchons des recettes plus réconfortantes que le reste de l’année », explique David Garrigues, qui a l’habitude de reproduire des produits ou des plats pour ses autres brassins. « Il y a deux ans, il s’agissait du marron glacé et en 2022 du pain d’épices. Cette année, notre choix s’est porté sur le “golden milk”, lâche-t-il. Elle est sur la base d’une double brown ale, c’est-à-dire d’une ambrée. Nous avons ajouté du curcuma, du gingembre, de la cannelle, de la baie de Selim et de la noix de coco. La dominance est clairement le curcuma, qui est le principal ingrédient du “golden milk”. »

Ainsi à rebours de l’image de la bière de Noël qui peut être véhiculée, on retrouve une multitude de façons d’imaginer un tel brassin. « Il n’existe pas de vraie définition, chacun l’interprète à sa façon, nouvelles recettes, vieillissement en en barrique », résume enfin la zythologue Marie-Emmanuelle Berdah. De surcroît, la fin d’année et la période de Noël, propices à la dépense et donc au marketing en tout genre, correspondent à la période parfaite pour proposer de nouvelles créations et surprendre le consommateur. Et ce en dépit du fait que l’envie de bière, contrairement à l’été, est loin d’être à son apogée. « Le brassin de Noël est l’occasion de faire parler de la bière à un moment où elle n’est pas trop consommée », argumente Alexandre de Zordi.

iMarie-Emmanuelle Berdah, zythologue et formatrice chez Craftology. Crédit : DR.
Marie-Emmanuelle Berdah, zythologue et formatrice chez Craftology. Crédit : DR.

Brasserie Licorne mise également sur le marketing autour de la bière et a créé un verre en forme de botte. Une initiative marquante qui a rencontré du succès. « Tous les ans, nous devons en acheter des dizaines de milliers pour en fournir aux CHR parce que beaucoup de clients les ramènent à la maison », s’amuse Olivier Amossé. Outre la fameuse botte, des chevalets de table et des sous-bocks complètent le kit d’animation destiné aux restaurants. « Nous essayons de communiquer autour de ce brassin pour gagner des clients tous les ans », confie-t-il, avant de préciser : « Bien que les bières de Noël ne représentent que 1% de notre production totale, elles correspondent à des volumes très intéressants. Nous avons dépassé les 10.000 fûts et nous produisons à peu près 350.000 hl ».

La référence de fin d’année sert ainsi de produit d’appel destiné à attirer ensuite le client vers d’autres recettes. La magie de Noël existerait-elle donc ? C’est ce que confirme Pauline Schmitt, de Ninkasi : « Quand le produit possède cette image de Noël, je pense qu’il fonctionne mieux dans l’esprit du consommateur. Pour les brasseurs, cela permet de thématiser, d’innover, de reconquérir un consommateur ou d’aller en chercher un nouveau ». Elle donne d’ailleurs pour preuve « certaines marques qui conservent la même recette que d’habitude mais qui ajoutent des flocons sur leur étiquette pour pouvoir générer de nouvelles ventes au moment de Noël. »

Cependant, le marketing autour de Noël démontre ses limites. En cause, les ventes liées aux produits faisant mention de cette fête chutent dès le mois de décembre passé. Raison pour laquelle certains brasseurs ont fait le choix de changer de dénomination pour présenter leurs créations sous le nom de « bière d’hiver ». C’est le cas d’Alexandre de Zordi avec sa 1650. Il l’a ainsi rebaptisée « pour qu’elle puisse durer plus longtemps ». De plus, un choix facilité par le packaging, non connoté à Noël. « Nous n’avons pas changé l’étiquette parce qu’elle ne présentait par exemple pas de guirlandes », précise-t-il.

À l’inverse, le brasseur Ninkasi a choisi de ne pas modifier la dénomination, mais de réduire sa production. « Comme la bière de Noël fonctionne très bien chez nous, nous ne voulions pas perdre le consommateur habituel, qu’il ne pense pas que ce soit une nouvelle bière. S’il ne trouvait plus la Ninkasi de Noël, nous avions peur qu’il soit déçu », argue ainsi Pauline Schmitt. Enfin, malgré les multiples stratégies observées par les acteurs du secteur, une idée commune transparaît : celle de fournir au consommateur une boisson gourmande.