Jus de fruits, la montée en gamme

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Malgré leur popularité auprès des Français, les jus de fruits connaissent une baisse des ventes en volume. Face à ce constat et pour séduire toujours plus les CHR, les producteurs ont fait le choix de la premiumisation et de la diversification pour proposer des boissons qui peuvent s’inscrire dans différents moments de consommation.

Jus de fruits. Crédits : Alain Milliat.
Jus de fruits. Crédits : Alain Milliat.

Avec 28,5 litres consommés par habitant chaque année, le jus de fruits se révèle fortement ancré dans les habitudes de consommation des Français. D’ailleurs, 92 % des ménages en achètent, contre 88 % pour les boissons gazeuses et 88 % pour l’eau plate, d’après des données Nielsen Homescan. Une consommation qui se montre bénéfique grâce à un apport important en vitamines, notamment C. « Un seul petit verre de jus d’orange fournit plus de 80 % des apports journaliers recommandés en vitamine C », souligne ainsi Carrie Ruxton, diététicienne et écrivaine dans le domaine de la santé, qui compose le Fruit Juice Science Centre.

Néanmoins, la perception de cette boisson n’est pas au beau fixe. En cause : le sucre. « L’image du jus a tendance à se dégrader avec le sugar bashing parce qu’il est souvent comparé au soda », regrette en effet Philippe Lacroix, chargé de communication et d’affaires publiques au sein de l’Union nationale interprofessionnelle des jus de fruits (Unijus). Le résultat ? Des ventes qui connaissent une baisse régulière. « Le marché des jus est compliqué depuis plusieurs années sur l’ensemble des circuits [CHR et GMS, NDLR] », confirme Camille Delettrez, directrice marketing et communication de C10. Le distributeur de boissons possède les marques Jus de Rêve, pour la table, et Norbert le Mixologue Expert, pour les cocktails. « C10 représente à peu près 32 % de parts de marché des jus, ce qui est assez significatif. Chez nous, ce marché a connu en 2023 une croissance en valeur de + 13,5 %, clairement portée par l’inflation. Nous avons une perte en termes de volumétrie de 0,7 % », ajoute-t-elle par ailleurs.

Pourtant, du côté des purs jus et des concentrés, aucun ajout de sucre n’est effectué. Ils ne contiennent donc que le sucre naturellement présent dans les fruits. À l’inverse, les nectars connaissent un ajout d’eau et de sucre. Toutefois « tous les acteurs du secteur réduisent considérablement les sucres ajoutés dans ce type de boissons depuis de nombreuses années », explique José Marti, directeur du Fruit Juice Science Centre. Signe que la problématique liée au sucre est prise à bras-le-corps par les fabricants. « Je suis diabétique insulinodépendant et je trouve disproportionné que l’on considère le jus comme un produit sucré, en comparaison avec d’autres aliments plus insidieux. Il y a sûrement un manque d’information sur la manière de gérer le sucre. Il ne faut pas boire du jus tous les matins et il faut surtout le consommer en connaissance de cause », défend Alain Milliat, fondateur éponyme de la marque de jus de dégustation.

La quête de naturalité

Producteur de fruits pendant 15 ans, Alain Milliat a créé il y a 26 ans sa marque de jus pensée pour les CHR et en particulier la haute gastronomie. « J’ai choisi 60 adresses de Relais et Châteaux et j’ai appelé leurs sommeliers en leur demandant ce qu’ils pensaient de mon travail, se remémore-t-il. Cela m’a permis d’avancer avec une vision très professionnelle de mes produits. J’ai toujours été intéressé par les belles tables. » Il se distingue par le fait de ne proposer que des boissons monovariétales. Parmi ses 38 références, il met ainsi en avant deux variétés de tomates (Noire de Crimée, Cornue des Andes), trois pêches (pêche de vigne, pêche jaune, pêche blanche), deux poires (passe-crassane, williams), trois pommes (cox’s, reinette, bio), quatre cépages de raisin (cabernet sauvignon en rosé, sauvignon en blanc, merlot enrouge, chardonnay en blanc). « C’est notre travail d’aller chercher une variété et un niveau de maturité. Il y a également une différence entre deux cépages », explique Alain Milliat.

S’agissant de l’approvisionnement, rien n’est non plus fait au hasard. « Aller chercher le meilleur là où il se trouve », tel est l’objectif. Aussi bien en France qu’à l’étranger. En effet, le local ne constitue pas un dogme intangible. « Nous sommes installés à Valence, dans la Drôme, dans le premier bassin fruitier avec la Loire, le Rhône, l’Ardèche, l’Isère. Un territoire assez riche en termes de variétés cultivées », rappelle-t-il. Mais cela n’est pas suffisant

Du travail à faire pour les CHR

Néanmoins, la recherche de qualité connaît ses limites, notamment dans un contexte inflationniste. « Beaucoup de CHR sont encore trop liés à des fournisseurs industriels qui disposent d’une offre plus agressive que la nôtre. Ils trouvent notre gamme qualitative et notre approche très intéressante mais les industriels du jus tirent les prix vers le bas », considère Daniel Gaillard. De plus, les jus peuvent apparaître comme la cinquième roue du carrosse pour les restaurateurs. « Le marché des jus représente une part assez faible de leur activité. Ils veulent donc y accorder une faible part de leur temps. Ce n’est pas leur priorité », poursuit-il. Une quasi-indifférence qui peut s’expliquer par une époque révolue durant laquelle ces produits se portaient mieux. « Je pense que la catégorie a été oubliée pendant de nombreuses années par les restaurateurs et distributeurs. Les jus se vendaient un peu tout seuls. Aujourd’hui, le moment du petit-déjeuner dans les CHR se révèle plus compliqué et beaucoup d’alternatives de soft se sont créées », estime quant à elle Camille Delettrez, de C10. Aussi, en dépit du mouvement croissant en faveur des boissons faiblement ou non alcoolisées, les boissons alcoolisées demeurent l’un des piliers du chi re d’affaires des CHR. « Le jus de fruits artisanal, qualitatif, apporte un complément à son o re mais cela reste un complément. Les volumes et les marges sont réalisés avec l’alcool. C’est ancré », note Antoine Pichat.

Avec Bissardon, et face à la réalité du marché, il tâche de fournir de la qualité à un prix accessible. « Nous maintenons de grosses progressions sur les marques propres avec un bon rapport qualité-prix », affirme-t-il. Cependant, Jérémie Marcuccilli, fondateur de Kookabarra, marque de jus de fruits frais pressés créée en 2006 et située à Cavaillon, dans le Vaucluse, estime que la situation a connu une évolution notable: « En 2006, le jus était pour le restaurateur le cadet de ses soucis. Les gens consomment moins de vin aujourd’hui, mais de manière plus qualitative. Ils veulent changer de ce qu’ils boivent habituellement. Les accords mets et jus sont de plus en plus courants, à la manière d’un trou normand. » Des motifs d’espoir existent donc. Assurément, les jus de fruits ont fort à gagner du changement des modes de consommation et de l’évolution de leur secteur. « Je pense que la tendance des jus premium va continuer à prendre de l’importance. Il s’agit d’une tendance su samment lourde sur laquelle nous ne reviendrons pas en arrière. Je suis très optimiste sur le fait que nos jus et nectars trouvent leur place sur les tables des CHR », conclut Daniel Gaillard du Comptoir Rhodanien.

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