Distributeurs de boissons : le ciment naturel des CHR

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Le destin des Auvergnats de Paris dans l’univers des CHR est lié à celui des distributeurs de boissons. Alors que le XXe siècle a vu la création de mythiques brasseries auvergnates, de grandes familles du Massif central, à l’instar des Tafanel, Rouquette, ou des Richard, ont constitué d’incroyables réussites dans le secteur de la distribution. Pour ses 140 ans, l’Auvergnat de Paris revient sur quelques-unes de ces histoires.

Cafés richard.
Cafés richard. Crédits : Au Coeur du CHR.

L’essor des brasseries auvergnates au cours du XXe siècle s’articule avec celui des distributeurs de boissons. Dans le sillage des entrepositaires, de nombreux patrons d’établissements auvergnats développent petit à petit les plus beaux emplacements, à l’instar de Lipp, un restaurant mythique racheté en 1920 par Marcelin Cazes. L’histoire des distributeurs s’enchevêtre avec celle des exploitants, mais elle s’affirme aussi aux côtés des brasseurs de bières.

Durant la première moitié du XXe siècle, les deux guerres mondiales ont un effet particulièrement néfaste sur l’activité brassicole française. Les grandes brasseries d’alors voient leur production s’effondrer. En cause, le manque de forces vives qui, envoyées sur le front, doivent combattre l’ennemi ; puis l’occupation par les Allemands des brasseries françaises. Durant l’entre-deux-guerres pourtant, la fabrication de bières bat son plein. Le modèle dominant est celui des brasseurs-distributeurs-exploitants. Les breuvages sont en général distribués dans des débits de boissons appartenant auxdites brasseries qui n’hésitent plus à se développer hors de leur bassin historique de production et de commercialisation. C’est ainsi que de grands noms de la bière, comme Meteor, ont essaimé bien au-delà de l’est de la France.

La conquête des distributeurs

Des acteurs historiques, comme Tafanel ou Richard, sont nés dans les années 1930, mais ne connaissent une croissance soutenue qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les grands brasseurs, quant à eux, gagnent en renommée en pariant sur des marques fortes et non plus en proposant des brassins « tout-venant ». C’est l’avènement des marques Kronenbourg, ou encore Pelforth issue de la brasserie du Pélican. En ce qui concerne Kronenbourg, la marque continue à commercialiser ses bières éponymes grâce à ses fameux camions rouges qui sillonnent la France pour livrer des milliers de cafés, hôtels et restaurants.

En parallèle, le marché des distributeurs de bières se structure. Dorénavant, les breuvages sont stockés en entrepôt chez ces derniers (ce qui donnera naissance à l’appellation de distributeur-entrepositaire) qui prennent en charge la commercialisation des boissons. Çà et là, en province comme en région parisienne, les distributeurs font florès et viennent au secours de brasseurs peu enclins à financer d’importantes flottes de camions pour couvrir le territoire et assurer la commercialisation de leurs produits.

Il faut aussi souligner le rôle de la famille Bertrand, très présente dans la distribution jusqu’en 1976, date à laquelle Heineken a racheté l’activité pour l’intégrer au réseau France Boissons. L’entreprise conserve encore aujourd’hui de très fortes connexions auvergnates. En outre, lorsque Olivier Bertrand crée OBD, un nouveau pôle de distribution lié au Massif central est né. Après le rachat de l’activité par Laurent Tribouillet en 2016, l’entreprise demeure en symbiose avec le réseau arverne.

iL’entreprise OBD demeure en symbiose avec le réseau auvergnat.
L’entreprise OBD demeure en symbiose avec le réseau auvergnat. Crédits : Au Coeur du CHR.

À Paris, si les Auvergnats se distinguent dans l’univers des CHR, ils sont également très actifs dans la distribution au point que les deux secteurs sont devenus indissociables. Un succès qui s’est bâti sur l’opiniâtreté historique des natifs du Massif central. Mais pour réussir dans le métier d’exploitant, il convenait de s’approvisionner exclusivement auprès du réseau local baptisé, à l’époque, RTL, pour Richard, Tafanel et Ladoux (Les cafés Ladoux ont fusionné avec la Maison Richard dans les années 1970).

Ces trois opérateurs historiques en limonade et en cafés, auxquels s’ajoute la maison Rouquette, ont coiffé la casquette de créanciers en plus d’assurer la commercialisation et la distribution de boissons. Ce dispositif a permis à de belles réussites entrepreneuriales de voir le jour, même s’il a contribué à constituer et à perpétuer une certaine forme de monopole sur certains emplacements. Ainsi, les distributeurs-entrepositaires accompagnent financièrement les jeunes entrepreneurs auvergnats en se portant caution auprès des banques ou, tout bonnement, en assurant le financement complet de leurs installations. Une façon de s’assurer la fidélité des clients pour certains et un harnais de sécurité pour d’autres.

En cas d’imprévu, la communauté auvergnate est réactive. Si l’établissement d’un exploitant est victime d’un incendie, il n’a guère besoin de monter un dossier pour trou-ver des financements rapides et relancer l’activité. Le nombre de brasseries dites auvergnates connaît toutefois un léger ralentissement. Paris compte environ 12 000 cafés, hôtels et restaurants dont plus de la moitié appartiendrait à la communauté. Il y a une vingtaine d’années, ce chiffre était supérieur, mais les familles auvergnates du CHR demeurent puissantes et détiennent parfois entre 10 et 30 affaires.

De véritables sagas

Si les réussites dans l’univers des CHR sont bien souvent familiales, il en va de même dans le secteur de la distribution. Si la création du groupe Rouquette date de 1948, son histoire est plus ancienne. En 1860, l’Aveyronnais Jean Albouze fonde une petite entreprise de distribution de boissons, rue Maure. La société est successivement dirigée par Alphonse Campy, gendre de Jean Albouze, puis de Jean-François Blanc qui épouse en 1899 la fille d’Alphonse Campy et renomme l’entreprise « Brasserie Blanc ».

En 1948 enfin, Elie Rouquette s’associe à sa soeur Jeanne et rachète la Brasserie Blanc, puis la baptise Brasserie Les Vosges. Avant Elie Rouquette, les Rouquette étaient déjà des entre-preneurs avisés. En 1858, François Rouquette officiait comme porteur d’eau à Paris avant de devenir marchand de vins à l’instar de deux de ses frères. Elie Rouquette exploitait quant à lui un café-charbon, rue Vercingétorix (Paris 14e) à partir en 1925, puis un café, avenue d’Orléans, qui deviendra l’avenue du Général-Leclerc. Depuis, le groupe n’a cessé de se développer et de se diversifier, sous l’égide de Charles Rouquette à partir de 1961, puis de Charles, Bruno et enfin Adrien.

iRouquette est actif en Ile-de-France et en Picardie.
Rouquette est actif en Ile-de-France et en Picardie. Crédits : Au Coeur du CHR.

En 2012, Rouquette a décidé d’étendre ses activités en Picardie et en Normandie et rachète les distributeurs Maeyaert, Caulier, Caves du Conquérant et Delaporte. En parallèle, Rouquette a fait l’acquisition de la cidrerie Maeyaert, de la brasserie de Milly et de la brasserie Paillette. Cette success story, on la retrouve aussi au sein de la famille Richard. L’histoire débute avec le rachat, en 1892, d’un entrepôt, rue des Cailloux à Clichy (Hauts-de-Seine) par Pierre Fayel, arrière-cousin d’Henri Richard. Ce dernier se porte finalement acquéreur de l’affaire familiale montée par les Fayel et donne ainsi naissance aux vins Richard.

Dans les années 1950, la consommation de vins au comptoir augmente et les entrepôts de Clichy s’agrandissent au profit de chaînes de mise en bouteilles. De nouveaux entrepôts de stockage sont ouverts à Bercy. André Richard, fils d’Henri, entre dans l’entreprise et lance l’activité torréfaction de café à Asnières (Hauts-de-Seine). En 1964, Pierre Richard, son frère, rejoint la société pour développer la distribution de cafés à Paris et faire de Cafés Richard une entité à part entière, alors qu’André prend en main la branche vins. La suite de cette saga est bien connue. Dans les années 1990, Arnaud Richard et Anne Richard Bellanger prennent la suite et entreprennent la rénovation totale du site de torréfaction de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Le tandem est aussi à l’origine de la création des boutiques Comptoirs Richard, vitrine de la marque Cafés Richard. Aujourd’hui, la branche des vins est pilotée par les deux filles d’André : Céline et Corinne. L’activité vins s’est d’ailleurs dynamisée avec l’intégration d’Inter Caves en 2011.

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