Olivier Bertrand, l’Auvergne chevillée au corps

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Olivier Bertrand a construit en 20 ans un groupe solide et diversifié rassemblant des chaines comme Hippo ou Au Bureau. Il a aussi conduit le spectaculaire développement de l’enseigne Burger King. À l’occasion de l’anniversaire de l’Auvergnat de Paris, il nous a accordé une interview où il nous confie son attachement aux valeurs auvergnates.

Olivier Bertrand parle de ses racines auvergnates.
Olivier Bertrand parle de ses racines auvergnates. Crédits : Au Cœur du CHR / DR.

Votre famille est installée à Paris depuis plusieurs générations. En quoi vous sentez-vous toujours auvergnat ?

C’est le sang qui coule dans mes veines, même si je suis né à Paris. Je représente la 3e génération d’Auvergnats de Paris. C’est mon grand-père qui est monté à Paris. Il avait un café-tabac. L’Auvergne est inscrite dans les gènes et je suis fier de mes racines.

Le lien avec Pailherols est-il toujours aussi fort ?

Je ne vais plus dans la maison de famille, qui a été cédée à une autre branche. En revanche, j’ai acheté une maison à proximité de Pailherols. Je m’y rends tous les étés et plus largement. J’ai des amis qui y sont très souvent et notamment les Combourieux qui y possèdent l’Auberge des Montagnes. Lilian, leur fils, travaille avec moi. Il est directeur général de l’activité grandes brasseries, c’est un des hommes forts du groupe.

Vous ne possédez pas de buron dans cette région ?

Malheureusement non ! Ce n’est pas faute de regarder, comme beaucoup de gens dans la région. Mais chaque année, nous organisons une soirée dans un buron et nous choisissons naturellement celui de la famille Combourieux.

Discutez-vous beaucoup affaires l’été dans le Cantal ?

Au contraire, je fuis le business en Auvergne. C’est un endroit où se ressourcer, où on se sent bien naturellement. En plus, j’ai réussi à partager cette notion de bien-être avec ma femme qui n’est pas auvergnate et avec mes enfants qui ont ce même amour pour la région. C’est très intuitif, inscrit dans les gènes. Je ne peux pas imaginer des vacances sans passer un très long moment en Auvergne.

Vos racines influent-elles sur votre travail quotidien ?

Il y a effectivement un aspect relationnel. Cela permet aussi de créer des relations de confiance avec des personnes qui ont les mêmes origines. On se connaît souvent, soit directement, soit via la famille. Les Auvergnats de Paris, finalement, sont en majorité originaires d’un petit périmètre, à cheval sur les trois départements qui se partagent l’Aubrac. Les Auvergnats sont des gens qui ont une parole et qui véhiculent des valeurs importantes pour nous. Même si ces qualités peuvent légèrement s’atténuer de nos jours parce qu’il y a d’autres enjeux, je crois que globalement la relation de confiance reste forte. Personnellement, j’attache plus d’importance à une poignée de main ou à une parole qu’à des écrits.

Vous avez hésité entre deux métiers auvergnats, la restauration et la distribution. Pourquoi avoir finalement opté pour le premier ?

Je n’ai pas vraiment hésité. J’ai eu un parcours particulier, puisque j’ai toujours eu envie de travailler dans la restauration. J’ai créé mon premier restaurant très tôt. J’étais poussé par cette envie d’entreprendre. Il est vrai que je suis issu indirectement d’une famille de distributeurs car c’était mon grand-oncle qui était à l’origine de cette activité dont mon père a été le dirigeant. L’entreprise, vendue à Heineken, n’était plus dans le giron familial depuis 1976. Je suis donc parti dans la restauration, un métier qui m’a énormément attiré. Beaucoup de parents de mes amis étaient propriétaires de brasseries. Mon grand-père lui-même avait un café-tabac. Il est vrai qu’à un moment de ma carrière, j’ai été amené à racheter des entreprises de distribution (en 2006 et 2008). Mais c’était un métier annexe et complémentaire à mon métier de restaurateur. Je suis toujours resté centré sur mon activité principale qui est la restauration.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, la réussite de la communauté auvergnate dans le secteur du CHR à Paris ?

La restauration à Paris est très communautaire. Il y avait cette entraide qui faisait que les ventes d’affaires comme les financements se réalisaient entre Auvergnats. Les brasseurs contribuaient au financement, et avant que les banques entrent dans l’organisation globale, les transactions s’effectuaient par crédit vendeur, c’est-à-dire par billets de fonds. Il valait mieux alors avoir confiance dans l’acheteur puisque vous étiez dépendant de sa capacité à vous rembourser. C’est aussi un métier qui véhicule les valeurs des Auvergnats : très travailleurs, très accueillants et contrairement à ce qu’on dit parfois très généreux. On peut être à la fois économe et généreux. Ces valeurs ne sont pas contradictoires. Ce sont aussi les valeurs de la restauration, aimer manger, boire ou vivre. Ainsi quand on rentre en Auvergne, on passe beaucoup de temps à table.

Vous-même avez mis un drapeau auvergnat sur beaucoup de grosses brasseries qui étaient autrefois aux mains de familles alsaciennes ou lorraines. Comment les avez-vous redressées après les avoir rachetées à des fonds d’investissement ?

Beaucoup de brasseries parisiennes, même si elles étaient sous connotation alsacienne, étaient déjà détenues par des Auvergnats. En ce qui concerne les fleurons de la restauration que vous évoquez, ils étaient devenus des boîtes à touristes qui avaient perdu leur cœur et leur ADN, nous avons réussi à reconstituer un mix entre les clientèles parisiennes, provinciales et internationales. Nous les avons repositionnés, donné du contenu. Nous avons réintroduit ces valeurs et ce bon sens auvergnats afin de leur insuffler une dynamique. L’ADN de la brasserie parisienne, c’est de recevoir tous les types de clients et les satisfaire. Les cartes doivent intégrer des produits pas trop chers pour des gens qui ont moins de moyens jusqu’à des produits luxueux. Il faut être en capacité d’accueillir tout le monde à toute heure. On retrouve à nouveau ce sens de l’accueil et de la générosité qui doit régner dans ces établissements. Plus on resserre le spectre en augmentant les prix, en enlevant des produits, en baissant la qualité, plus on perd le sens des grandes brasseries. J’ai retrouvé une ancienne carte de la Coupole d’avant-guerre et il est très amusant de constater que les cartes étaient d’une profondeur énorme et que l’on retrouve beaucoup de produits que nous proposons à nouveau aujourd’hui. Si on dirige la restauration à partir d’un tableau Excel on se fourvoie. Par exemple, penser qu’en augmentant les prix de 1 €, on se retrouvera à la fin de l’année avec un CA en hausse de plusieurs millions d’euros. Mais si on fait cela, on se décroche du marché. Dès lors, moins on sert de couverts et moins on investit. Or, nos affaires, il faut leur « en redonner » de temps en temps… Elles nous permettent de vivre. C’est un business économiquement rentable à condition d’investir régulièrement dedans. Si on ne le fait pas, la perception du client est immédiatement mauvaise dans un site dégradé et mal entretenu. Nous n’avons rien inventé. Nous n’avons fait que remettre ces établissements dans l’état où ils étaient durant leurs grandes années. Et nous avons également remis beaucoup d’humain.

Reste-t-il une touche auvergnate perceptible dans les restaurants que vous détenez ?

Je l’espère. il y a le sens du détail notamment, cette culture de centimiers. Je pense qu’on a toujours cette culture auvergnate dans le groupe, même pour ceux qui ne sont pas originaires de la région. Ils l’acquièrent au fil des années en travaillant à nos côtés. C’est aussi vrai chez Burger King. Regardez notre affiche : « Le meilleur de nos burgers, le master auvergnat » (à la fourme d’Ambert AOP). On a aussi à la carte quasiment toute l’année un master cantal AOP, qui figure parmi nos grosses ventes. J’ai aussi suivi de près l’implantation du Burger King et du Au Bureau d’Aurillac. Nous étions déjà présents en Aveyron. Mais Aurillac est un point de passage important et j’étais impatient de trouver de bons emplacements pour mettre ces enseignes en place.

Votre management, votre gestion, votre développement, sont-ils toujours empreints de ces fameuses valeurs auvergnates ?

Cela se retrouve à toutes les échelles et à tous les niveaux du groupe. Ce sont également des réflexes de bon sens. J’ai toujours fait grandir mon entreprise avec ce principe. Cela exige beaucoup de présence terrain. Il faut expliquer et maintenir une connexion étroite entre le siège et le terrain.

L’ascenseur social est-il toujours en marche dans votre métier ?

Il est plus que jamais présent dans nos métiers. Nous avons aujourd’hui deux problématiques : la hausse des matières premières et le recrutement. Je suis persuadé que l’enjeu social fera partie des critères de recrutement qui compteront dans l’avenir. J’en suis clairement l’exemple et je peux vous citer des centaines de cas dans le groupe de personnes qui sont entrées comme collaborateurs, serveurs, barmen, cuisiniers et qui, aujourd’hui, sont des entrepreneurs dans l’âme. C’est quand même un métier qui donne accès à l’entrepreneuriat ou à la construction d’un plan de carrière. Vous pouvez entrer dans l’entreprise, suivre l’évolution de carrière, finir directeur d’exploitation, puis devenir directeur de région ou franchisé. Nous prônons cet accès à l’entrepreneuriat. Je peux vérifier sur le terrain que les différents collaborateurs du groupe, qu’ils soient aux ressources humaines, aux finances ou aux exploitations, sont des entrepreneurs dans l’âme. C’est ce qui permet de laisser le soin aux collaborateurs de s’épanouir et de pouvoir grandir ainsi rapidement. La franchise est aujourd’hui une façon rassurante pour un entrepreneur de pouvoir se lancer. Quand je parle d’ascenseur social pour des collaborateurs qui sont devenus franchisés, on les accompagne à toutes les strates d’évolution : pour trouver les restaurants, les financements, la mise en place et les travaux.

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