Jacques Letertre : l’hôtelier proustien

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Fondateur de la Société des hôtels littéraires, Jacques Letertre est sans nul doute l’hôtelier le plus proustien que la terre n’ait jamais porté. Grâce à ses sept établissements, dont trois dans la capitale et un à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), cet amoureux de littérature donne le goût de la lecture à qui veut bien ouvrir les yeux.

Jacques Letertre
Jacques Letertre. Crédit DR.

Lorsqu’on le rencontre au Swann (Paris 8e), son tout premier hôtel littéraire, Jacques Letertre est entouré de plusieurs centaines de livres mais également de dessins de Marcel Proust, son écrivain favori. En vrai passionné, il commence à nous parler de l’auteur d’À la recherche du temps perdu et nous propose quelques madeleines. « Vous savez, la madeleine n’apparaît pas dans la première version. C’était initialement du pain grillé », précise-t-il. Puis, il s’épanche volontiers sur Gustave Flaubert à qui il a aussi consacré un hôtel à Rouen (Seine-Martime). « On a jamais écrit une langue française aussi parfaite, aussi concise. Flaubert, c’est le français dans sa simplicité », explique-t-il avant de s’étendre sur le travail de relieur et celui d’éditeur.

S’il est aujourd’hui à la tête de la Société des hôtels littéraires, un groupe hôtelier fondé en 2013, dont l’ambition est de donner aux visiteurs le goût de la lecture, cet entrepreneur pour le moins proustien a eu une autre vie. « Après des études en sciences politiques, j’ai fait l’ENA et je suis devenu banquier », raconte-t-il humblement. Une sorte de chemin de traverse puisque comme le précise Jacques Letertre, « l’hôtellerie c’est beaucoup d’opérations financières, des dettes… La littérature, c’est un support. » En 1988, ce dernier achète son premier hôtel en Alsace. « C’était tout simplement de la diversification de patrimoine. À l’époque, je travaillais dans un grand groupe financier : c’était un moyen de placer des sous. J’en ai acheté trois autres dans les années 1990, mais sans jamais avoir l’idée d’associer cela aux livres », souligne le chef d’entreprise.

La tête plongée dans les livres

Pourtant, pendant son enfance, cet énarque a passé le nez dans les ouvrages. « J’étais un solitaire. C’était mon refuge », déclare-t-il. Et par la force des choses, ces mots seront ses éternels compagnons. C’est à l’émergence des boutiques hôtels dans les années 2000 que Jacques Letertre doit l’union entre l’hôtellerie et la littérature. « À partir de ce moment-là, les voyageurs veulent plus qu’un simple confort. Ils souhaitent vivre une expérience singulière et le seul sujet où j’avais de la légitimité c’était la littérature », reconnaît-il. « Quand j’ai dit que je voulais faire un hôtel dédié à l’univers-monde de Marcel Proust, il y a eu beaucoup de scepticisme », admet d’emblée le fondateur des hôtels littéraires.

Aimer l’écrivain, c’est un point non négociable.
Jacques Letertre, Président de la Société des hôtels littéraires

Or, il vise juste. En prenant cette nouvelle voie, la clientèle s’internationalise et le chiffre d’affaires augmente de 40%. L’histoire de la Société des hôtels littéraires commence donc avec Le Swann, en référence au premier tome de La Recherche. « Proust a bouleversé mon adolescence. J’ai, dès ma première lecture, été entièrement absorbé par cet univers-monde où tout m’était si proche et en même temps si peu familier. Cet été-là, je n’ai rien pu lire d’autre. J’ai même plusieurs fois renoncé à la plage pour me réfugier chez ma grand-mère et me refermer sur le cocon proustien. Cette passion n’a jamais faibli. Ni avec l’âge, ni avec les innombrables lectures de la Recherche et de livres sur Proust, ni avec la découverte d’autres grands écrivains », confie Jacques Letertre.

Un emplacement qui n’a rien d’anodin

Dans ce concept presque aussi fouillé que ne l’est l’œuvre majeure de Marcel Proust, la géographie a elle aussi son mot à dire. Le Swann, est installé dans le 8e arrondissement de Paris, un quartier éminemment proustien. Le même traitement de faveur sera appliqué à ses autres établissements. C’est ainsi qu’au fil des années, Jacques Letertre continue d’édifier des hôtels dédiés aux auteurs chers à son cœur : Arthur Rimbaud (Paris 10e), Marcel Aymé (Paris 18e), Gustave Flaubert (Rouen), Jacques Vialatte (Clermont-Ferrand) ou encore Jules Verne (Biarritz) et Stendhal (Nancy).

« Aimer l’écrivain, c’est un point non négociable », affirme-t-il. Dans chacun de ces petits musées, ce bibliophile partage une partie de sa collection personnelle. Livres mais également aquarelles, photographies ou fac-similés de correspondances et manuscrits originaux tiennent une place de choix dans chacun de ces lieux. Des expositions et de nombreux événements littéraires y sont également organisés. « Entre 200 et 250 par an », ajoute-t-il.

Enfin, la Société des hôtels littéraires peut se targuer d’être estampillée société à mission. « J’y vois surtout un élément de RSE. C’est une vraie plus-value pour notre personnel. Le supplément d’âme se joue vraiment là », assure Jacques Letertre. Lorsqu’on l’interroge sur de possibles nouveaux horizons, et donc de nouvelles ouvertures, il a bien évidemment de la suite dans les idées. « Il y a une centaine d’auteurs possibles. En revanche, les moyens d’un groupe familial ne dépassent pas un hôtel tous les deux ou trois ans. Eh bien, c’est très simple : nous n’y arriverons jamais, déclare-t-il en souriant. On voudrait déjà arriver à 10 hôtels et pourquoi pas se lancer dans la franchise à l’étranger. Mais ça, c’est un autre métier… »

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