Antoine Proye, la cuisine comme histoire
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Antoine Proye, 52 ans, possède la Brasserie André, l’un des plus anciens restaurants de Lille. Issu d’une famille de restaurateurs, il a été à la tête de plusieurs institutions, dont l’Huîtrière, table étoilée de 1932 à 2012, avec à chaque fois un intérêt et un respect pour l’histoire des lieux.
Antoine Proye devait fêter le 1er mai dernier les 10 ans de la reprise de la Brasserie André, située dans le centre-ville de Lille. Finalement, cette fête a été ajournée en raison du contexte sanitaire. Le patron se réjouit de la réouverture de l’établissement, le 19 mai, pour le service en terrasse. « Une réouverture pour perdre de l’argent, lance-t-il. Mais il s’agit d’un signal vis-à-vis de mes clients alors que j’ai une terrasse et puis les salariés étaient cassés de ne pas travailler. » L’anniversaire des 10 ans de reprise n’ayant pu avoir lieu, le propriétaire prépare celui des 100 ans du restaurant en 2024, « avec une décoratrice pour faire un peu évoluer les choses » , tout en respectant le lieu. « La même clientèle accepte les changements ailleurs, mais pas ici », constate-t-il, avant d’ajouter : « Nous devons tout changer sans en donner l’impression… » . Assis sur l’une des banquettes de ce restaurant ouvert en 1924, entre les vitraux et les ustensiles en cuivre servant de décoration, Antoine Proye raconte l’histoire de l’établissement : « Nous sommes certains qu’en 1924 l’établissement était un café. Il devient un restaurant à la fin des années 1920. Il s’agit du quartier général des aviateurs de Lille. Puis durant la Seconde Guerre mondiale, un repère de la Résistance. » Raison pour laquelle les Allemands feront exploser lors de la Libération une partie du lieu. « Tout a été refait à l’identique, précise-t-il. La décoration date de 1924, les meubles de l’entre-deux-guerres. » Le tout réalisé par des décorateurs flamands.
« Ce n’est pas la maison qui s’adapte à moi, mais moi qui m’adapte à la maison. »
Celui qui a suivi une prépa HEC n’était « pas sûr de faire de la restauration ». C’est à la sortie de ses études que ce secteur d’activité lui est apparu comme un « oui naturel ». Issu d’une famille de restaurateurs, Antoine Proye prend en 2005 la suite de son père Jean pour s’occuper de l’Huîtrière. L’institution familiale lilloise, ouverte en 1906 pour la vente d’huîtres et d’escargots propose de la restauration dès 1928. La table sera étoilée de 1932 à 2012, et même doublement entre 1948 et 1962. La perte du macaron Michelin « restera comme une profonde injustice ». Il vend le restaurant en 2015, « car il ne répondait plus aux attentes » d’après Antoine Proye. D’ailleurs, l’établissement n’abrite plus un restaurant. Ce bel emplacement devrait bientôt accueillir une boutique de luxe. « Le client a toujours raison, lâche Antoine Proye froidement.
La fin de l’huîtrière
« J’ai tourné la page, il le fallait. » En plus de l’Huîtrière, le restaurateur gérait l’Écume des mers, qu’il avait rachetée en 1992. « Même si ce restaurant est distinct, il était quand même très lié » à l’institution familiale, explique Antoine Proye, qui le qualifie de « bistrot de l’Huîtrière ». Raison pour laquelle il s’en sépare peu après l’institution familiale, en 2019. Le restaurateur ne possède désormais plus que la Brasserie André, une autre « institution », comme il aime à le rappeler. « À un moment, j’avais trois des plus anciens restaurants de Lille », se remémore-t-il avec fierté. L’occasion de témoigner de l’importance que revêt pour lui l’histoire, qui a pu parfois lui peser. « À l’Huîtrière, j’ai certainement été un peu étouffé par le poids de l’histoire familiale, que je n’ai pas réussi à marquer de mon empreinte », témoigne-t-il. Et une histoire qui peut rendre le restaurant plus grand que lui, comme pour la Brasserie André : « Ce n’est pas la maison qui s’adapte à moi, mais moi qui m’adapte à la maison. »
Antoine Proye n’évoque pas uniquement le passé, mais se tourne au contraire rapidement vers l’avenir. « La crise a amplifié la livraison à domicile, mais il reste une place pour une restauration de qualité assise, avec du fait maison, de vrais bons produits », estime-t-il, avant d’ajouter : « Il existe une attente de produits de plus en plus locaux, mais pas nécessairement bio. » Une attente à laquelle essaie de répondre l’homme de 52 ans, avec pragmatisme : « J’ai toujours la volonté de trouver à proximité le meilleur produit. Mais s’il se trouve ailleurs, je vais le chercher. » Antoine Proye s’adapte ainsi aux nouveaux modes de consommation et notamment à la vente à emporter. Même si l’expérience ne s’est pas révélée concluante, « elle n’a pas répondu à nos attentes », le restaurateur souhaite la poursuivre, « je la vois davantage comme un complément lorsque nous sommes ouverts ». Le propriétaire de la Brasserie André s’avoue par ailleurs conf i ant pour les mois à venir. « Je pense que les clients vont sauter sur les restaurants », indique-t-il même. Toutefois, il s’attend à un léger reflux, lié notamment à la période et à la ville : « Il y a le cycle des vacances. Et Lille est vide en été. À partir de septembre, l’activité reprendra normalement. »