Bernard Pacaud, le taiseux passe à table

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Le plus secret et le plus discret des grands chefs français a choisi de se livrer, de parler de sa vie, de son parcours dans un livre de Frédéric Laffont, « Une vie par le menu », publié aux éditions L’Iconoclaste. On y découvre un homme étonnant et complexe ainsi qu’une formidable histoire d’ascension sociale.

Bernard Pacaud, chef trois étoiles Michelin.
Bernard Pacaud, chef trois étoiles Michelin. Droits réservés.

C’est de loin le moins médiatique des chefs auréolés de trois étoiles Michelin. Ses interviews sont rarissimes. Celui qui se qualifie lui-même de taiseux n’aime pas se livrer. Cette discrétion a sans doute contribué à forger sa légende. Le cuisinier de la place des Vosges cumule trois étoiles à l’Ambroisie depuis 32 ans. Cette longévité sans discontinuité représente un record dans l’histoire du Michelin puisqu’à ce niveau, Bernard Pacaud a dépassé de peu son mentor Eugénie Brazier, tout en restant en deçà de trois grands noms de la cuisine : Paul Bocuse, Michel Guérard et la famille Troisgros. Il a attendu de fêter ses 74 ans, pour se confier sans fard dans un livre de Frédéric Laffont, Une vie par le menu, publié aux éditions L’Iconoclaste.

Cette autobiographie qui, selon l’éditeur, a nécessité sept ans d’entretien, révèle les ressorts profonds de ce chef ainsi qu’un improbable parcours dont l’apprentissage débute aux côtés de la Mère Brazier, figure tutélaire du classicisme, pour s’achever auprès de Claude Peyrot, l’un des chefs de file de la nouvelle cuisine. Il faut croire qu’une première bonne étoile a brillé au-dessus de la tête de ce gamin de 14 ans lorsqu’en 1960 il gravit à bicyclette les pentes du col de la Luère (Rhône) pour aller donner un coup de main un dimanche au restaurant de la Mère Brazier. Vite repéré par la célèbre cuisinière, il reste six ans à son service et devient un de ses piliers de la brigade. Il revient alors de loin après une enfance des plus difficiles.

Des foyers de l’assistance publique à la Mère Brazier

Fils d’une mère célibataire, il est élevé dans la campagne bretonne profonde avant de rejoindre sa mère et ce beau-père qui lui a donné son nom. La famille se retrouve vite happée par la spirale de la misère, et Bernard Pacaud et ses frères finissent leur enfance dans les foyers de l’assistance publique. On ne ressort pas indemne après un tel début dans la vie. Bernard Pacaud se forge alors une carapace, qui l’aidera à traverser ces années en évitant les coups et les brimades. Il met ensuite du temps à briser l’armure, et ne cache pas que la psychanalyse, dont il se gaussait, l’a beaucoup aidé.

Enfant, il a déjà cette adresse et cette intelligence qui lui permettent de traverser la vie en évitant les gouttes. Il déploie chez la Mère Brazier une véritable passion pour la cuisine, les produits. Il ne cache pas son admiration pour cette femme dure mais juste et travailleuse forcenée qui met en œuvre une cuisine « qui n’est pas celle des chefs » . Rapidement, il découvre à Pollionnay qu’il est doué pour ce métier. Il possède l’art du geste rapide et remarque le regard de ses chefs puis de ses clients, admiratifs de son travail. Sa carrière est ponctuée de belles rencontres qui lui permettent de grandir, notamment celle du général Katz, un des plus hauts gradés de l’armée, qui lui ouvre d’autres horizons, ou celle de Claude Peyrot.

Bernard Pacaud développera ainsi avec le chef du Vivarois une relation complexe, mais fructueuse. La cuisine s’impose comme le moyen d’expression que Bernard Pacaud maîtrise parfaitement. C’est sans doute la raison pour laquelle ce chef, une fois ses recettes et sa carte écrites, n’a rien à ajouter. « Chez toi, tout est dans l’assiette, écrit Frédéric Laffont, les meilleurs produits, les préparations et les cuissons parfaites, la vaisselle la plus belle, le service irréprochable… »

« Quelque part, je ne fais toujours la cuisine que pour moi. »

Dans ce livre, on découvre aussi les difficultés de la création de la première Ambroisie, quai de la Tournelle (Paris, 5e ). On apprend combien le notaire auvergnat, Paul Magnac, a œuvré pour attirer les Auvergnats de Paris dans le restaurant, assurer son succès auprès du Club des Cent, avant de l’aider à déménager l’Ambroisie, place des Vosges. Paradoxalement, Bernard Pacaud confie que le succès ne l’intéresse pas et qu’une fois son service terminé, rien ne lui importe davantage que d’aller disputer des parties de pétanque dans le bois de Vincennes. Il confie même : « Si je devais faire une cuisine facile, je n’aurais plus aucun plaisir. Moi, je fais passer ma passion avant le client. Quelque part, je ne fais toujours la cuisine que pour moi. »

Sa vie à l’Ambroisie le satisfait pleinement. Il n’a jamais éprouvé le besoin d’ouvrir d’annexe ou d’accepter des missions de consultant. Curieusement, c’est son fils, Mathieu, qui va le sortir de sa zone de confort. En quelques années, ce dernier est parvenu à se faire un prénom en rachetant notamment des institutions parisiennes telles que Le Divellec ou l’Apicius. Il a même fini par associer son père à quelques-unes de ses entreprises comme le projet de création d’un Ambroisie à Macao mais qui n’a pas abouti. Finalement, ce travail en commun aura sans doute permis de rapprocher deux générations et de réconcilier ce père obsédé par la perfection et ce fils entrepreneur audacieux.

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