Chambres d’auteurs

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Depuis six ans, Jacques Letertre a choisi de thématiser ses hôtels autour des grands auteurs de la littérature française. Une démarche séduisante qui a un réel impact auprès de la clientèle internationale et qui génère une communication appréciable.

ll y a quelques semaines, JacquesLetertre inaugurait dans le 10e arrondissement un 4* de 42 chambres dédié à Arthur Rimbaud et destiné à intégrer la collection des Hôtels littéraires qu’il a créée en 2013. À l’époque, en dévoilant le Swann (Paris 8e), l’homme d’affaires n’était pas persuadé d’entamer une série qui compterait cinq hôtels six ans plus tard. Il avançait même sur la pointe des pieds en ne faisant pas de référence directe à Marcel Proust dans l’enseigne de l’établissement. Il préférait alors lui donner le nom du personnage du premier volume d’À la recherche du temps perdu. Le succès rencontré par ce premier Hôtel littéraire de 80 chambres l’a poussé à afficher plus ostensiblement la couleur, en ouvrant à Rouen un hôtel au nom de Gustave Flaubert, puis un autre au nom d’Alexandre Vialatte à Clermont-Ferrand. L’année dernière, c’était au tour de l’Hôtel Marcel Aymé d’ouvrir ses portes, sur les pentes de Montmartre. Le rythme de création est des plus soutenus. L’hôtelier impose un train d’enfer à ses équipes. Son air placide et tranquille peut tromper. Jacques Letertre est un homme pressé.

Le panthéon littéraire

Il assure cependant qu’il va marquer une pause, car actuellement, aucun de ses projets n’est passé au stade de la réalisation, même embryonnaire. Même s’il détient les murs et les fonds de 12 hôtels, il explique que « tous ne sont pas destinés à devenir des Hôtels littéraires, car installés en dehors des centres-villes ou dans des agglomérations de trop petite taille ». Jacques Letertre concède cependant qu’il n’hésitera pas à l’avenir à procéder à des acquisitions pour poursuivre l’aventure. Il souhaiterait ardemment que son prochain hôtel rende hommage à une femme comme Colette ou Georges Sand. Les auteurs sont choisis avec soin. « Ils doivent être français, avoir un lien direct avec la ville choisie, être internationalement connus, souligne Jacques Letertre, et leur œuvre doit être passée dans le domaine public, même si Alexandre Vialatte déroge à ces deux dernières règles. » Mais l’écrivain auvergnat occupe une place à part dans le panthéon littéraire et s’il n’a pas un renom qui dépasse les frontières, il réunit un grand nombre de passionnés et reste incontournable dans sa ville natale Clermont. En outre, son œuvre particulière a l’avantage de compter aux yeux de Jacques Letertre, qui est un vrai passionné de littérature. Cet homme de livres a réuni une vaste bibliothèque personnelle et aide à la constitution de bibliothèques universitaires. C’est cette passion qui a guidé son initiative. « Auparavant, l’hôtellerie était très normalisée, rappelle-t-il. On retrouvait des chambres identiques de part et d’autre du monde. Aujourd’hui, on cherche à personnaliser les établissements dans le but d’offrir aux clients des expériences uniques. Lorsqu’il a fallu rénover mon parc hôtelier, le thème de la littérature m’a paru porteur. Aux yeux des étrangers, la France apparaît comme une terre d’écrivains. C’est aussi un thème vendeur en termes de communication auprès des journaux et des télévisions. Toutes nos ouvertures ont ainsi bénéficié d’une excellente couverture médiatique. »

Un bond de fréquentation de 40 %

Il faut toutefois préciser que l’hôtelier ne s’est pas contenté de repeindre ses chambres d’un simple vernis littéraire. Chaque thématisation a fait l’objet d’un travail important de la part l’architecte Aude Bruguière, mais aussi des décoratrices Virginie Darmon et Aleth Prime. Une conseillère littéraire vieille à la cohérence  de l’ensemble. « Il faut que le décor offre des éléments susceptibles d’intéresser les spécialistes de l’écrivain, les sympathisants, mais aussi les néophytes qui ne le connaissent que de nom », précise Jacques Letertre. Des efforts d’animation sont également consentis pour créer des rendez-vous et des événements littéraires durant toute l’année dans les établissements. Les Hôtel littéraires sont attractifs. « Ils attirent la clientèle étrangère, assure Jacques Letertre. Après transformation d’un établissement, sa proportion passe de 40 à 60 %. Si j’analyse le Swann, après la réouverture, le chiffre d’affaires a réalisé un bond de 40 %, mais ce sursaut est aussi le résultat de trois autres facteurs: le passage de 3 à 4*, l’intégration à la chaîne Best Western (comme l’ensemble des Hôtels littéraires) et, enfin, le travail d’un bureau de communication » Cet homme d’affaires possède également des intérêts dans l’hôtellerie de plein air. Il est ainsi propriétaire d’un camping 5 étoiles offrant 500 emplacements dans la région d’Argelès. Il prend cette activité très au sérieux, car il la considère comme « plus rentable que l’hôtellerie, grâce à une charge financière faible » grâce au fait « qu’en début de saison, une partie de la recette est déjà engrangée. Lorsque l’hôtellerie parisienne était à la peine à la suite des attentats, les campings voyaient leur taux d’occupation augmenter et nous avons apprécié cette complémentarité ».


La banque… le foie gras…

L’hôtellerie est le quatrième métier de Jacques Letertre. Énarque, haut fonctionnaire, ce Normand a intégré la direction du Trésor avant d’aller pantoufler à l’âge de 28 ans dans le secteur bancaire. Esprit brillant, il crée la banque Dumémil, qu’il préside avant de la revendre. Il change alors complètement de métier, pour présider les maisons de foies gras de Montfort et de Grimaud. Il dirige alors un groupe de 500 salariés, qui traitent 7 millions de canards/an. En 2003, il cède les entreprises au groupe Euralis et se replie sur le groupe hôtelier qu’il avait parallèlement constitué. « Au début des années 1990, beaucoup de personnes avaient investi dans l’hôtellerie en empruntant avec des taux d’intérêt élevés sans nourrir une vision entrepreneuriale de ce métier, souligne-t-il. Les banques se sont ainsi vite retrouvées détentrices de près d’un millier d’hôtels dont elles ne savaient que faire. J’ai donc décidé d’investir dans ce secteur dans une optique patrimoniale. En 2000, j’avais déjà constitué le portefeuille d’établissements dont je dispose actuellement. » Cette démarche d’Hôtels littéraires vise donc à optimiser l’attractivité du parc hôtelier à raison d’investissements conséquents qu’il est parfois difficile planifier et de juguler. Ainsi Jacques Letertre explique-t-il que le coût à la chambre du Rimbaud fut deux fois plus élevé que celui du Swann, créé six ans plus tôt: « D’abord, un hôtel de 80 chambres n’est pas deux fois plus cher qu’un hôtel de 40, en raison de l’effet de taille. Ensuite, au Rimbaud, les travaux sur la structure des deux immeubles ont été importants. Nous avons dû créer de toutes pièces 13 chambres dans le bâtiment que nous venions d’acquérir ». Ces difficultés n’entament pas pour autant l’enthousiasme de cet homme pour sa belle aventure hôtelière littéraire. Il a eu la sagesse d’allier dans cette démarche l’utile à l’agréable pour créer un parc hôtelier unique, dont la réputation rayonne dans le monde. Il a de plus la satisfaction de travailler désormais en famille. Après une carrière dans la banque britannique, son fils, Alban, 31 ans, l’a rejoint depuis dix-huit mois pour le seconder. L’avenir de l’entreprise est désormais assuré.

« Aux yeux des étrangers, la France apparaît comme une terre d’écrivains. »

Une chambre de l’Hôtel Rimbaud, à Paris.

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