Renaud Barillet, Cultplace : créateur de lieux

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Le « vilain petit canard » de la restauration parisienne ne craint pas les difficultés : il déniche un entrepôt improbable, un rafiot rouillé qui n’intéresse personne, un vestige industriel de caractère hors norme qu’il transforme en bar-restaurant, en lieu de vie et de culture. Rencontre au Poinçon, la gare abandonnée réhabilitée à porte d’Orléans.

Renaud Barillet
Renaud Barillet et ses associés sont à l'origine de plusieurs adresses originales, dont La Bellevilloise, La Rotonde Stalingrad, La Petite Halle de la Villette et Dock B. Crédit L'Auvergnat de Paris.

«Je me sens comme un vilain petit canard dans le monde de la restauration, car nous ne venons pas de cet univers-là ; de même, certains acteurs culturels nous trouvent trop marchands. Nous sommes sur un fil, dans une zone d’équilibre. » Renaud Barillet et ses associés, dont Fabrice Martinez, gèrent les adresses originales qu’ils ont créées : à Paris, La Bellevilloise, en 2006, La Rotonde Stalingrad, La Petite Halle de la Villette, Dock B et Poinçon ; à La Rochelle, le bateau France 1 et La Fabuleuse Cantine avec une équipe de Saint-Étienne. Renaud Barillet salarie deux menuisiers à plein temps et veille lui-même à l’architecture et à la décoration : « La scénographie, la déambulation du public, les vues, les angles, ce n’est pas que pour les musées. » Il choisit les plantes géantes, la finition des murs, les meubles dépareillés, mais chics, chinés en brocante ou auprès de créateurs ; il sait l’origine, l’histoire du moindre objet. Aujourd’hui, Cultplace émet 300 paies par mois avec les plateaux artistiques et emploie 200 personnes que coordonne Mathieu Ardaillon, qui a débuté comme stagiaire.

« Pourtant, je n’ai jamais acheté ni revendu d’affaire », sourit Renaud Barillet. Uniquement des créations, à partir d’espaces dont le modèle économique n’était pas évident à imaginer. Ce qui le stimule : « Les difficultés, les territoires à explorer, les lieux atypiques où l’on se dit : c’est compliqué ! » Premier souci, l’accès au public de ces espaces qui cochent toutes les cases : restaurant, terrasse, spectacles et expos activités nocturnes, cabaret… « Les normes sont sectorisées et parfois différentes, et certaines situations ubuesques. » Cependant, il ne cautionne pas la critique systématique : « On travaille avec 90 % d’interlocuteurs bienveillants, clairs, rationnels, sains. À Paris, nous sommes surtout en relation avec l’administration et la préfecture de police. Les relations sont bonnes, même si je les trouve trop présentes, car notre priorité devrait être culture, tourisme et lien social. » Renaud Barillet déplore la pression excessive sur la nuit, sur ces zones précieuses de rencontre et de vie.

« Les établissements subventionnés sont nécessaires pour soutenir des émergences artistiques »

Renaud Barillet naît en 1972 en Seine-et-Marne ; ses parents tiennent un petit restaurant et lui transmettent le sens du travail, mais aussi de la fête, « en préservant des temps pour la famille. Car si l’on prétend faire plaisir à des gens, créer des endroits de convivialité, il faut éprouver soi-même ce plaisir ». Il s’engage pour des ONG, organise des spectacles et ouvre petit à petit La Bellevilloise avec ses associés. « Nos établissements ne doivent pas être des alibis qui feraient croire que la culture se satisfait de lieux marchands. On off re juste un maillon, la rencontre de l’émotion d’une œuvre avec une clientèle venue pour la convivialité. L’action publique, les établissements subventionnés  sont nécessaires pour soutenir des émergences artistiques. » Cultplace programme près de 30 événements par semaine. « On ne se simplifie pas la tâche, cela ajoute une complexité que l’on aime bien, qui nous oblige à trouver une faisabilité. » Pour Renaud Barillet, équilibrer l’offre bar-restaurant est plus admirable que de choisir des musiciens. « J’ai un profond respect pour ces restaurateurs dont on parle peu, qui tiennent un endroit joliment décoré, où l’on mange bien et à la qualité d’accueil constante. » Dans les adresses de Cultplace, le ticket moyen diffère, « car les territoires ne sont pas les mêmes. Aujourd’hui, à La Rochelle, La Fabuleuse Cantine sert entrée et plat cuisiné végétarien à 9,50 € (7,50 € au tarif étudiant) ; la viande est en option. L’accès à la qualité pour le plus grand nombre est possible si les acteurs publics ou privés n’imposent pas des loyers ou un pourcentage du chiffre d’affaires trop élevé. Ainsi, pour 30 €, on peut avoir une place à la Philharmonie et manger à La Petite Halle. » Renaud Barillet défend l’initiative indépendante, qualifiée de privée, car elle émane des individus et de leur énergie d’entreprendre, mais il considère qu’elle peut aussi être d’intérêt général et public.
Plus nombreux que leurs adresses actuelles, les projets de Cultplace : la friche de l’ex-Miroiterie, le bateau-pompe Lutèce abandonné, un autre navire d’exception à Lorient, la sous-station électrique Voltaire, l’ancienne piscine Art déco de Saint-Denis, le Grand Foin, vaste domaine rural scénographié à Rochefort, d’autres projets à Lyon, Lisbonne et un terrain à Bordeaux. « Pour la première fois, on ne parle pas de bâtiments existants, on fait le pari de la construction ! »

cultplace.fr

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