Denis Talledec, le fonctionnaire qui aime la musique

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Issu de l’administration, ce juriste qui aime les concerts et les comptoirs insiste sur le rôle des bistrots dans la vie sociale et culturelle. Son collectif, qui vient de fêter son 20e anniversaire, organise chaque année le plus grand festival musical de France – dans des bars, justement. Il souhaite ainsi favoriser l’émergence de la diversité culturelle.

Denis Talledec
Denis Talledec

L’homme est grand, vif, habitué à prendre la parole dans les estaminets comme les ministères. Directeur du pôle régional des musiques actuelles des pays de la Loire – une structure financée par la région et l’État –, il aide Éric Lejeune, patron d’un bar qui fut « un haut lieu de la culture nantaise, avec de nombreux concerts de rock » et sa dizaine de copains tenanciers-organisateurs de concerts. « Ils se heurtent aux mêmes problèmes : les normes, la sécurité et la non-reconnaissance en tant qu’acteurs culturels. » En 1999, ils créent le collectif Culture Bar-Bars et le festival musical du même nom, « pour valoriser ces lieux dans leur fonction culturelle à l’échelle de la ville, pour répondre à des enjeux économiques et de reconnaissance publique ». Lourde mission pour des patrons de bars, qui ont déjà leur affaire à tenir : « Les garçons sont venus me voir et m’ont proposé de prendre la direction du collectif, qu’Éric Lejeune préside toujours. » Aujourd’hui, Culture Bar-Bars fédère près de 400 cafés indépendants, dont une quinzaine en Auvergne-Rhône-Alpes et une cinquantaine en région parisienne. « Tous accueillent concerts, expositions, spectacles de marionnettes, matchs d’improvisation dans un cadre convivial et accessible. Nous sommes un circuit court de diffusion. Notre but : favoriser l’émergence de la diversité culturelle, développer la vie économique, la création d’emplois, ainsi que le rayonnement local, régional et national de nos territoires, mais aussi renforcer le lien social entre les habitants. » Culture Bar-Bars est à l’origine de la loi du 19 novembre 2019, qui protège les établissements culturels – dont les cafés-concerts – des plaintes de voisins installés ultérieurement. Ancien médiateur du préfet de région, Denis Talledec est un négociateur-né. Face aux soucis de voisinage souvent évoqués, il relativise : « La plupart des nuisances sont liées au public, non à l’activité. Une expo photo ne fait pas de bruit, sauf le soir du vernissage. C’est le public du concert, en sortant fumer dans la rue, qui peut déranger. »


« Les bars sont le circuit court de la culture »


Denis Talledec reformule la question en termes sociétaux : « Pour régler des soucis de santé publique – ce qui est louable –, la cigarette est interdite à l’intérieur. La loi a donc provoqué des troubles à l’ordre public. » Autre thème récurrent, la sécurité : « Quand tu rentres tard chez toi, mieux vaut des cafés ouverts la nuit que de marcher dans une ville déserte. » Au café, le personnel surveille ce qui se passe ; il y a un accompagnement. Aujourd’hui, des fêtes s’improvisent dans des squats, des tiers-lieux en termes de sécurité, sans cet accompagnement. « Or, la puissance publique est bienveillante avec ces adresses-là, alors qu’un bistrot est verbalisé pour un jet de mégots, déplore Denis Talledec. Attention à ne pas imposer des normes qui les empêchent de vivre ; il faut ensuite des subventions pour recréer l’offre culturelle qui existait déjà. » Vaut-il mieux regrouper les lieux de loisirs ? « Les quartiers à destination concentrent les problèmes et attirent les prédateurs. En matière de sécurité, on n’intervient pas de la même façon avec 50 ou 5 000 personnes. » Selon Denis Talledec, mieux vaut un réseau de bars réparti sur un territoire.


Culture café


Vive donc le bistrot de quartier. Denis Talledec revient à la charge : « Cela pose deux questions ??  : celle des droits culturels – dans culture au sens anthropologique, j’intègre les us et coutumes –, et la question sociétale : comment faire humanité, comment vivre ensemble et imaginer demain. » Souvent, « culture » désigne une offre bourgeoise à destination du peuple : « La gauche comme la droite étaient dans cette volonté d’apporter des salles de concerts, des bibliothèques, les MJC de l’époque Malraux, où l’œuvre venait rencontrer un public. Dans les années 1970, on parlait avec condescendance de la musique folklorique, qui ne faisait pas partie des arts majeurs. Parallèlement, le monde bourgeois s’encanaillait dans les guinguettes et cafés chantants du siècle dernier. Car la culture est aussi populaire, festive ; elle naît dans les bars qui ont une souplesse, une capacité à renouveler les genres, les esthétiques, parce que la diversité y est présente. La force de ces lieux est leur cadre convivial. » Le collectif conseille également des villes qui souhaitent développer leur attractivité, leur tourisme culturel festif, « mais qui n’en anticipent pas les désagréments. Comment ces activités, en particulier étudiantes, peuvent-elles se développer en respectant le sommeil des habitants ? La vie nocturne est une transversalité des politiques publiques, qui associe des équipes dédiées en économie, sécurité, prévention… et culture ».

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