Doit-on rechercher le tourisme à tout prix ?

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Homme clé de l’Aubrac en tant que maire de Laguiole depuis plus de 20 ans, Vincent Alazard est connu pour son énergie débordante et ses positions tranchées. Nous sommes allés à sa rencontre pour l’interroger sur l’essor insolent de son territoire, sur l’avenir du tourisme, mais aussi sur le dossier de la coutellerie.

Vincent Alazard est maire de Laguiole depuis plus de vingt ans. Crédits : L'Auvergnat de Paris.
Vincent Alazard est maire de Laguiole depuis plus de vingt ans. Crédits : L'Auvergnat de Paris.

Vous avez été réélu maire de Laguiole pour un quatrième mandat. Vous êtes aussi conseiller départemental. Quel bilan tirez-vous de ces 20 années d’action politique ?

Je ne me suis jamais posé cette question même si, à un moment donné, ce parcours présente plusieurs dimensions. En tant que maire et élu, mon travail s’inscrit dans la continuité des maires précédents. Une commune comme Laguiole se construit d’année en année et de mandat à mandat. Nous avons le respect de nos prédécesseurs. Nous sommes là pour organiser une continuité, avec certes une orientation propre. Il est toujours possible d’infléchir un peu plus les choses dans un sens ou un autre. Mais en définitive, le fil conducteur de notre action, c’est de protéger le patrimoine existant, culturel, économique en le faisant prospérer. Nous préparons un avenir pour les générations futures en apportant, les uns après les autres, notre pierre à l’édifice.

Personnellement, ma pierre a été de développer l’économie en structurant le tourisme par exemple. J’ai aussi tenté de rendre un village plus agréable. Ce n’est pas évident. Il faut aménager en préservant l’âme de l’Aubrac. Ce fut l’objet des travaux du centre bourg. Il était important que le Laguiolais et plus largement les Aveyronnais ressentent une continuité avec le passé et se l’approprient. Il faut également composer avec les propriétaires de résidences secondaires qui sont en majorité des Auvergnats de Paris. Il est nécessaire que notre évolution donne envie de revenir, d’investir. Il y a aussi une dimension touristique dans mon action. Quand je suis arrivé, Laguiole était le Lourdes du couteau. Il a évolué pour devenir un village commercial et propose désormais une pluralité de services publics et privés. On peut tout acheter à Laguiole.

En matière de développement touristique, vous avez posé des limites, comme avec le refus des éoliennes. Y a-t-il d’autres choses que vous rejetez ?

La question des éoliennes est survenue durant mon premier mandat. À l’époque, le chef du territoire était André Valadier et nous avons installé un débat sur l’intérêt de cet équipement. La sagesse des élus a alors été de privilégier une réflexion à long terme. À court terme, l’installation des éoliennes sur le territoire représentait des devises, malgré tout nous avons préféré préserver notre patrimoine paysager. C’est ce qui permet de maintenir aujourd’hui l’attrait touristique de nos paysages qui restent un de nos atouts. Les études ou évaluations qui ont été récemment réalisées nous confortent dans ce choix initial.

Nous avons eu un gros projet d’investissement touristique privé. Pour le reste, ce sont nos entreprises, ancrées sur le territoire, qui ont pu se développer et donner un essor. Je prends l’exemple de la coopérative Jeune Montagne. Il y a 20 ans, elle employait 30 personnes. On y recense aujourd’hui 130 employés. Même chose pour la boucherie Conquet dont les effectifs sont passés dans la même période de 10 à 60 personnes. Aujourd’hui, Laguiole est un vrai poumon économique et touristique avec plus de 1 100 emplois, soit une progression de plus de 20 % en dix ans.

Avez-vous le sentiment d’être un maire privilégié en cumulant sur votre village de 1 300 habitants des entreprises emblématiques ?

Twelve est en eff et la dernière arrivée à Laguiole. C’est la municipalité qui a favorisé ce projet en vendant le presbytère mais aussi grâce aux travaux d’aménagement du centre bourg qui mettent en valeur le quartier et l’activité. Une des premières actions a été de redynamiser l’activité commerciale de la rue Bardière en aménageant l’office de tourisme place de la mairie pour créer du flux dans ce quartier historique. Bien sûr, je suis fier de nos entreprises emblématiques, de leur savoir-faire et de leur engagement dans la qualité. Je salue également cette synergie collective et les partenariats qui s’instaurent.

On voit beaucoup de commerces laguiolais fermés en cette mi-juin. Avez-vous le sentiment d’exploiter au maximum la manne touristique ?

Certains commerçants mettent à profit ce mois pour prendre des congés. Cela dit, je remarque qu’il y a suffisamment de prestataires pour accueillir les touristes de passage durant ce mois. Nous comptabilisons tout de même 12 restaurants, 3 boulangeries, 2 boucheries, sans compter notre casino. L’afflux est prévu traditionnellement en juillet-août. Mais il y a aussi d’autres périodes de l’année assez dynamiques, comme le week-end des bœufs gras, à Pâques, où celui de l’Ascension qui a coïncidé avec la transhumance. Pendant une semaine, la fréquentation a été comparable à celle du mois d’août. On pourrait aussi citer la randonnée « La trace du laguiole ».

Notre station de ski, quand elle est ouverte, représente aussi un vecteur d’attractivité touristique. Nous vendons de 20 000 à 30 000 forfaits par an en fonction des années. C’est une station de proximité où on découvre la glisse. Elle permet notamment le maintien de commerces ouverts à l’année. Nous travaillons d’ailleurs sur un projet pôle pleine nature quatre saisons sur le site de la station afin d’équilibrer la fréquentation sur l’année.

Comment un village isolé comme le vôtre a-t-il traversé la crise sanitaire ?

Il y a eu plusieurs périodes. À partir du 15 mars 2020, le fait de se retrouver dans un village fantôme est quelque chose de difficile à imaginer. L’été qui a suivi, nous avons enregistré une affluence sans précédent à laquelle nous avons eu du mal à répondre. Cet épisode nous a amenés à nous poser des questions : doit-on rechercher le tourisme à tout prix ou se positionner vers une offre qualitative ? Par la suite de la crise sanitaire, nous avons traversé des périodes contrastées, plus ou moins difficiles ou favorables, où nous avons essayé de mettre des moyens pour que le village reste vivant.

Il a aussi fallu rassurer les gens. On a beau avoir les plus belles ambitions pour son village, nous sommes vite ramenés à la raison, c’est-à-dire à la gestion du quotidien et des préoccupations élémentaires. Nous avons nourri une réflexion dans le cadre du parc naturel régional qui vise à réorienter les stations par rapport au problème du réchauffement climatique et du manque de neige. Nous souhaitons développer des activités qui pourraient compléter la partie hivernale tout en étant capables d’animer les trois autres saisons. Nous avons donc répondu au plan de relance Avenir Montagnes, initié par le Gouvernement, et notre candidature a été retenue. Nous bénéficierons donc de 30 % d’aide sur un projet de 3 M€.

Nous avons aussi senti une volonté plus importante de la part d’un certain nombre de personnes qui souhaitent se positionner sur notre territoire. Ce n’est pas négligeable dans une commune qui bénéficie déjà de 1 093 emplois et enregistre 40 emplois non pourvus. Mais cela accroît un problème de logement qui était déjà sous-jacent. Nous sommes en train de réaliser un projet de réhabilitation de l’ancienne gendarmerie où nous créons sept logements. Nous avons également acheté une autre maison et nous préparons un lotissement. Je souhaite aujourd’hui que les acteurs privés s’emparent de cette dynamique.

L’Inpi vient de refuser le projet d’IG couteau de Laguiole déposé par les Laguiolais. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

Le combat pour le nom Laguiole n’est pas nouveau pour nous. Il nous a menés à poser une réflexion : comment ce couteau artisanal qui a une valeur patrimoniale peut être identifié officiellement pour que les consommateurs s’y retrouvent ? Cela nous a valu d’obtenir la fameuse loi Hamon qui comportait un article sur les produits artisanaux de territoire. Ce signe d’Indication géographique me parle. Il est inspiré des signes officiels de qualité agricole et agroalimentaire (IGP et AOP). Nous connaissons bien puisque des produits de notre territoire sont concernés par une IGP, une AOP et même un Label rouge. Il y a dans cet intitulé un terme très fort : la géographie liée à la fabrication de ce produit.

En restant cohérent, si à un moment ce couteau porte le nom de Laguiole, c’est qu’il a été créé à Laguiole en 1829. Certes, il y a eu par la suite des partenariats initiés avec Thiers qui était un bassin du tranchant. Nous avons eu la chance que ce couteau rencontre le succès. Les Laguiolais qui ne pouvaient pas répondre à toute la demande se sont rapprochés de Thiers.

Ce phénomène s’est accentué durant la Première Guerre mondiale. L’Aubrac a fait partie des territoires décimés. Il y a donc eu à Laguiole un manque de main-d’œuvre. Ensuite, quand Laguiole a relancé la fabrication de son couteau, dans les années 1990, cela a permis à Thiers qui était en train de décliner de relancer la fabrication du Laguiole à Thiers, procédant même à une délocalisation. Ce phénomène a été accentué avec les opérations de communication médiatique autour de Philippe Starck, cela a aussi profité à Thiers. Nous arrivons dans une troisième phase où on cherche à protéger le savoir-faire de nos artisans et à informer en toute transparence le consommateur, c’est pourquoi avec le syndicat, nous sommes partis sur ce dossier d’IG. En tant que maire, je ne comprends pas pourquoi Thiers veut s’immiscer dans ce projet-là. Nous avons toujours été la locomotive de la notoriété de ce couteau.

Comment réagirez-vous si l’Inpi accepte le dossier d’IG Laguiole porté par le Thiernois ?

Ce serait pour moi incompréhensible et inacceptable, notamment au regard des fondamentaux de la loi Hamon qui crée les IG. Je crains fort que dans cette hypothèse, les entreprises de coutellerie laguiolaises soient tentées de délocaliser leurs fabrications à Thiers. Je ne peux pas l’accepter. Ce serait désastreux pour l’équilibre économique et démographique de notre village. Le périmètre du fromage de Laguiole ne s’est pas approprié le cantal !

Comment voyez-vous l’avenir de votre territoire ?

Il y a un avenir possible. Nous avons la chance d’avoir un village qui est une locomotive économique portée par un territoire qui a une identité forte. Il ne faut pas non plus oublier que l’Aubrac doit sa force à l’agriculture. Il est donc nécessaire de protéger cette activité pour qu’elle reste vivante et qu’il y ait toujours autant d’hommes qui travaillent dans ce secteur. Je rappelle qu’il y a dix ans l’agriculture mobilisait 125 emplois directs sur la commune. Aujourd’hui, le chiffre est tombé à 90. Il y a là un vrai enjeu. Il y aura toujours des hommes pour faire avancer ce territoire. Les hommes font la force de ce territoire et j’y crois. Les tendances actuelles nous montrent que nous sommes dans le vrai. Nous avons besoin d’attractivité, que des gens viennent de l’extérieur, mais nous devons rester les garants de notre avenir. c’est primordial.

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