Éric Guérin, le poète du marais

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Dans la communauté de communes de Saint-Nazaire, au milieu des marais, Éric Guérin, 51 ans, fait briller depuis plus de vingt ans une étoile Michelin. Son talent, loué par de nombreux critiques, lui a permis de remporter de belle manière un pari jugé insensé à l’époque de son installation.

Au milieu des marais de la Grande Brière, sur son île de Fédrun, à Saint-Joachim, Éric Guérin forge depuis 25 ans sa légende. Très tôt, les critiques gastronomiques l’ont encensé. En 1996, Le Monde lui consacre un premier article alors qu’il est installé depuis moins d’un an à l’Auberge du Parc. Le modeste établissement peut alors recevoir à peine 20 convives et n’offre que quatre chambres. Cela n’empêche pas le chef de vite apparaître sur le devant de la scène en devenant tour à tour Grand chef de demain du Gault & Millau (2000), lauréat de la première opération Fou de France, lancée par Alain Ducasse, ou encore chef de l’année dans le Champérard (2004). Badoit l’a promu égérie d’une campagne publicitaire et Thermomix en a fait un chef ambassadeur. Aujourd’hui, son restaurant joue dans la cour des grands. Il fonctionne le plus souvent à guichets fermés avec un ticket moyen de 120 €. L’hôtel 4* qui comporte 15 chambres, dont 6 suites, dispose d’un espace bien-être. Ainsi, 47 employés sont mobilisés à l’année et 54 en saison. Pourtant, l’établissement plafonne depuis 21 ans au niveau de l’étoile Michelin.

Le cuisinier de Saint-Joachim ne nourrit aucune acrimonie envers le guide rouge, « je ne crache pas dans la soupe, car je sais ce que je dois au Michelin ». Pour la petite histoire, le 25 février 2000, la Mare aux oiseaux, lâchée par les banques, déposait son bilan. Le lendemain, lors de sa sortie, le Guide Michelin lui attribuait une étoile. « Mon banquier m’a aussitôt rappelé pour me dire qu’il avait trouvé une solution », raconte en riant le chef. Il faut aussi reconnaître que ces dernières années, Éric Guérin a pu se disperser en prenant une concession dans le musée de Nantes et surtout en créant un second restaurant, le Jardin des Plumes à Giverny. Il y a même obtenu une étoile en 2015. Son dernier chef en place, David Gallienne, lauréat de la saison 2020 de Top chef, lui a racheté le fonds de commerce de ce restaurant l’année dernière.

« Je sais ce que je dois au Michelin. »

S’il conserve les murs du Jardin des plumes, c’est davantage par sentimentalité. C’est en effet dans ce village normand de Giverny qu’il a grandi après sa naissance à Toulouse et depuis cette localité qu’il a pris le chemin de l’école hôtelière Jean-Drouant, à Paris. Pour ses premiers pas de cuisinier, il fait le grand écart, passant des cuisines du cabaret le Don Camillo aux fourneaux de la prestigieuse Tour d’argent. Il a enchaîné chez Taillevent, puis au Jules Verne, au deuxième étage de la Tour Eiffel.

Du jour au lendemain, en 1995, il abandonne cette voie royale pour s’installer à Saint-Joachim. Il est tombé amoureux de la Brière dix ans plus tôt, à l’âge de 16 ans, lorsque son père l’y a emmené pour la première fois afin d’inaugurer son permis de chasse. Passionné par les oiseaux, il reconnaît avoir idéalisé ce coin de terre. Il se souvient d’avoir passé onze jours sans voir un seul client. Il a ainsi progressivement conçu une cuisine non pas ancrée dans la Brière, mais dans la poésie des marais, teintée par une forte influence de ses nombreux voyages à l’étranger. Il reconnaît d’ailleurs avec honnêteté avoir longtemps cuisiné des cuisses de grenouilles et des écrevisses importées. Et pour cause, impossible d’en trouver sur place ! Ce n’est que depuis un an qu’il a le droit de proposer de l’écrevisse à pattes rouges, pêchée localement, mais jugée invasive. D’une manière plus générale, depuis cinq ans, Éric Guérin s’est totalement remis en question à la fois dans le management de ses équipes, mais aussi dans la recherche d’un approvisionnement local. Un de ses lieutenants, Benjamin Larue, effectue deux fois par semaine le tour d’un réseau de producteurs locaux qui prennent une part de plus en plus importante dans la construction de l’offre. « Aujourd’hui, mon poulet yassa est à 99 % conçu avec des ingrédients locaux, se félicite le chef. Mais c’est aussi une approche socio-économique. Il m’arrive souvent de composer mes recettes en tenant compte de ce que mes producteurs ne parviennent plus à vendre ailleurs. » Cette approche est en résonance avec le dernier livre du cuisinier, Chemins croisés , écrit durant le confinement et préfacé par Pierre Gagnaire, où il décortique son rapport avec ces acteurs du terroir. Cette parenthèse sanitaire a aussi décidé Éric Guérin à s’investir pleinement dans la Mare aux oiseaux et à se donner enfin les moyens de conquérir une deuxième étoile. Il vient d’avancer la fermeture du service de son restaurant à minuit afin de soulager ses équipes, décision très commentée. Mais en outre, il a décidé de réduire sa capacité maximale de 60 à 55 couverts par service afin de mieux maîtriser sa prestation.

infos pratiques

La Mare aux oiseaux

223, rue du Chef-de-l’Île,

44720 Saint-Joachim

Tél. : 02 40 88 53 01

www.mareauxoiseaux.fr

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