Gérald Passédat, le capitaine courageux

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Le premier « trois étoiles » Michelin de la gastronomie marseillaise ne se repose pas sur ses lauriers. Habitué à surmonter des épreuves difficiles, Gérald Passédat conduit aujourd’hui son navire amiral depuis le pont aux avant-postes, pour braver la tempête engendrée par cette crise.

Blotti sur le promontoire rocheux de la corniche qui domine les anses de Maldormé et de la Fausse Monnaie, Le Petit Nice constitue un paradis terrestre à 2 km du Vieux-Port. En descendant vers l’établissement par la rue des Braves, on peine à croire qu’un des plus grands restaurants français apparaîtra au bout de la ruelle. Pourtant, avant de parvenir devant l’entrée, une fenêtre révèle l’impressionnante brigade de cuisiniers s’affairant autour d’un piano Molteni rutilant. Près du passe, imperturbable, le maître de céans surveille chaque assiette en partance vers la salle. À l’image de son restaurant, Gérald Passédat est un homme discret qui ne parade pas dans les médias et consacre toute son énergie à son travail de cuisinier. Il répugne à manquer un service et depuis la réouverture de son restaurant, il est sur le pont tous les jours de 7 h à 1 h du matin. Tel un capitaine dans la tempête, il s’efforce de maintenir son navire à flot. « Il n’y a pas d’autre solution, laisse-t-il tomber, pour garder la tête hors de l’eau, il faut minimiser les collaborateurs et maximiser les clients. »

Sur les 49 employés de cet hôtel-restaurant de 16 chambres, 42 sont sortis en ce début juillet du chômage partiel. Outre le restaurant gastronomique et l’hôtel, la structure intègre une brasserie de 35 places, le 1917, mais aussi tous les services afférents tels que la boulangerie et la blanchisserie. Le chef prépare même l’installation d’un potager. Il cultive jalousement son autonomie qui confère au Petit Nice un statut d’auberge à l’ancienne. Il est à demi rassuré, son activité au mois de juin a été meilleure que celle à la même période de l’an passé.

« Le soir du 4 juin, nous n’avons servi que 12 couverts, se souvient-il, mais le samedi suivant, le restaurant était complet. » En l’absence de la clientèle internationale, déterminante pour un « trois étoiles » Michelin, le chef est parvenu à surmonter cette crise délicate. Il a constaté qu’il pouvait compter sur une clientèle régionale fidèle grâce à une cuisine enracinée dans le terroir méditerranéen. En relançant sa petite brasserie annexe, le 1917, il est parvenu à amener un complément d’activité. Il est cependant plus inquiet sur le moyen terme, l’après-saison et le spectre d’une seconde vague qui pourraient compromettre la période déterminante des congrès de la rentrée.

« Minimiser les collaborateurs, maximiser les clients. »

Depuis son passage dans le cénacle des trois étoiles Michelin en 2008, le chef a fait prospérer l’entreprise familiale. Il est devenu un des porte-étendards de la cité phocéenne et a remporté la concession du Mucem en 2013. Il y a installé le Môle Passédat qui rassemble trois zones de restauration dont les tickets moyens évoluent entre 5 et 95 €. Cet ensemble qui off re 400 places assises a été lourdement impacté par la Covid-19. La restauration du Mucem a redémarré timidement à la fin du mois de juin. 39 des 75 employés ont repris du service, mais la route vers le retour à la normale est encore longue. Son antenne parisienne, la brasserie du Lutétia, est encore fermée. Conseiller de l’établissement, Gérald Passédat attend les consignes du groupe Arolv pour relancer l’établissement. Il réalise aussi que finalement sa situation à court terme dans la cité phocéenne est meilleure qu’à Paris. Ce sillon local, cela fait plus d’un siècle que la famille Passédat le creuse. Son grand-père Gilbert avait créé l’établissement en 1917. Son père, Jean-Paul, y avait pour sa part conquis deux étoiles Michelin. Gérald a repris doucement le flambeau acceptant le difficile passage initiatique que cela implique. Il a commencé comme commis au Petit Nice à 25 ans. Auparavant, la famille l’avait envoyé faire ses preuves dans les plus grandes brigades. Rien ne fut donné à ce fils de famille. Il a attendu dix ans pour diriger les cuisines familiales et encore cinq ans avant que son père ne lui confie les rênes du Petit Nice. En 2008, il a apporté sa pierre à l’édifice en décrochant la troisième étoile. Une première à Marseille !

À 60 ans, il doit commencer à penser à la transmission. Son jeune fils Roméo, brillant pilote de l’aviation, semble aujourd’hui captivé par d’autres horizons. Mais qui sait ? Chez les Passédat, Luxia, la grand-mère de Gérald, fut une chanteuse lyrique connue tout comme Jean-Paul, son père qui fit des débuts prometteurs, avant de renoncer pour reprendre le Petit Nice dans les années 1960. Même si la piste d’atterrissage sur le relief de ce restaurant peut poser problème, Roméo s’y posera peut-être un beau soir au moment où l’on réalise qu’il faut cultiver son jardin.


Le Petit Nice

17, rue des Braves, 13007 Marseille

04 91 59 25 92

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