Infiltré dans son entreprise

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Vedette d’une récente émission de M6 « Patron incognito », Laurent Gillard s’est infiltré déguisé dans plusieurs restaurants de son entreprise Léon de Bruxelles. Patron de l’entreprise depuis six ans, il a constaté avec plaisir les vertus de sa politique de management.

Les patrons des grandes enseignes de restauration se méfient souvent de l’intrusion des caméras de télévision dans leur univers professionnel. On se souvient que certaines émissions ont pu causer de grands torts à des chaînes de restaurants, à l’instar de Chez Margot qui a disparu du paysage, au début des années 2000, à la suite de la diffusion sur M6 d’une émission de « Capital ». Pourtant, lorsque M6 a proposé à Laurent Gillard, président du directoire de Léon de Bruxelles, de participer au tournage de « Patron incognito », il n’a pas hésité une seconde pour accepter. « Lorsque je suis rentré chez moi le soir et que je l’ai annoncé à ma femme, explique-t-il, elle m’a regardé avec inquiétude en me demandant si j’étais bien sûr de vouloir y aller. Au fond de moi, après des années de travail sur le management et de contrôle qualité, j’étais sûr de l’image que renvoyait mon enseigne. » L’émission « Patron incognito » représente une véritable mise en danger pour l’image d’une entreprise. Il faut d’abord accepter d’endosser une personnalité et jouer le jeu durant les cent trente-sept heures qu’a duré le tournage. « C’est épuisant, admet Laurent Gillard. Il faut se concentrer en permanence pour ne jamais sortir de son rôle. » Ce type d’émission revêt également un risque particulier : se ridiculiser devant son personnel en effectuant avec maladresse les tâches qui font partie de leur quotidien. Mais là encore, Laurent Gillard estimait être bien armé pour ce défi. Dans sa jeunesse, il a suivi des études d’hôtellerie au lycée de Chamalières et a exercé comme cuisinier et comme pâtissier dans plusieurs établissements de Clermont-Ferrand ou de Châtel-Guyon. S’il n’exerce plus ce métier depuis bien des années, il est capable de donner le change durant un service.

Une boucle d’oreille


« Cette émission, indique-t-il, c’était le seul moyen pour moi d’explorer mon entreprise sans filtre. » Pour faire accepter aux employés du restaurant le subterfuge, l’équipe de tournage arrivait dans le restaurant en annonçant préparer une autre émission connue de M6. Il restait à  Laurent Gillard à se fondre dans le décor. Il était présenté aux salariés comme un franchisé ou un cadre en stage de formation dans l’établissement. Un déguisement, les cheveux teints, une barbe et même une boucle d’oreille pour parachever le tableau lui ont permis de demeurer incognito. Le tournage, qui a duré plusieurs semaines, s’est déroulé dans quatre établissements. Trois ont été retenus pour l’émission. Après diffusion, ces tournages ont d’abord amplement démontré aux téléspectateurs que Léon leur proposait une cuisine faite maison, ce qui est très positif pour l’image de l’enseigne. Mais Laurent Gillard estime également en avoir tiré un important bénéfice en interne en détectant certains employés qui représentent à ses yeux de « véritables pépites de Léon de Bruxelles ». Deux d’entre eux ont déjà monté dans la hiérarchie. L’émission a également permis au patron d’observer le fonctionnement de la cuisine ou de la salle, et d’imaginer des améliorations et des évolutions de la carte, de l’organisation du travail ou de l’équipement. À la tête de 82 établissements, Laurent Gillard reste un restaurateur dans l’âme. Il a grandi dans un village proche de Vendôme, entre un père boulanger-pâtissier et une mère qui exploitait le café du village. Passionné de cuisine, il s’oriente très jeune vers le lycée hôtelier de Chamalières et se décrit ainsi comme « Auvergnat d’adoption ». À Clermont-Ferrand, ce passionné de rugby a pu jouer à l’ASM, au poste de centre, à un bon niveau.

Ses premiers postes de cuisinier l’éloignent progressivement du terrain. Espérant un jour intégrer la piste aux étoiles, il ne compte pas ses heures. Le chef de la Rotonde à Clermont l’avait pris sous son aile et projetait à terme de lui faire intégrer la brigade de Paul Bocuse à Lyon. « Entre-temps, se souvient Laurent Mignard, mon chef est tombé malade et a été remplacé par une personne avec qui je m’entendais moins bien. Je m’étais mis sur les rangs pour un poste de cuisiner à l’étranger quand une amie m’a mis en contact avec Michel Morin, qui recrutait alors pour le groupe Accor. Il m’a embauché comme assistant du directeur dans un restaurant, L’Arche d’Orléans. Je ne savais pas que mon destin serait longtemps lié à celui de cet homme. D’ailleurs, je ne l’ai revu que quinze ans plus tard, en 1998, lorsqu’il m’a convié à le rejoindre les Wagons-Lits. » Entre-temps après cinq années passées à évoluer chez Accor, Laurent Gillard prend la direction du département restauration du Parc Astérix, intègre Del Arte et passe une année dans le groupe UGC où il développe l’offre snacking. 

Un destin lié à Michel Morin


Il reconnaît que ce dernier poste ne l’enchantait guère et que, lorsque Michel Morin le contacte à nouveau pour prendre à main la restauration à bord des trains en gares de Montparnasse et d’Austerlitz, au sein de la Compagnie des wagons-lits, il ne se fait pas trop prier. Il va participer largement au redressement de cette activité qui affichait un déficit chronique. En 2002, Michel Morin, qui vient de prendre la présidence de Léon de Bruxelles, le rappelle à nouveau pour l’aider à relancer l’enseigne qui se trouve alors au bord du gouffre. Né dans le sillage du célèbre restaurant de la rue des Bouchers à Bruxelles, créé en 1893, le premier Léon de Bruxelles français a ouvert en France, place de la République à Paris, il y a trente ans. Après des débuts en fanfare, l’enseigne fut la première chaîne de restauration française à être cotée en Bourse. Mais après avoir atteint des sommets, l’action s’est effondrée et le soufflé économique est retombé. Développée trop rapidement, l’entreprise, lourdement endettée, affichait des comptes dans le rouge. Appelé par l’homme d’affaires Jean-Louis Détry, Michel Morin a été placé à la tête de l’entreprise pour lui redonner une attractivité, préalable indispensable au redressement des comptes. Embauché comme directeur des opérations, Laurent Gillard est devenu directeur général adjoint en 2005, directeur général en 2010, puis président du directoire en 2013 alors que Michel Morin prenait en main la succession de la présidence du conseil de surveillance de Léon de Bruxelles. Les deux hommes partagent un fort caractère et un goût prononcé pour le terrain. Ils n’ont jamais perdu de vue leur métier de restaurateur, comme le rappelle Laurent Gillard : « Pour redresser l’enseigne, nous l’avons remise en phase avec ses fondamentaux avec lesquels il ne faut jamais tricher. Nous avons amélioré la qualité de service, la gestion et travaillé autour des ressources humaines. Nous avons mis du bon sens et des outils simples dans notre politique du management en responsabilisant les directeurs de restaurant. Quand j’ouvre un restaurant, je ne me soucie jamais du compte d’exploitation. Mais j’ai les yeux rivés sur les relevés d’indice de qualité. S’occuper du client et du personnel, c’est la clé de la réussite. » Léon de Bruxelles qui comptait 33 établissements à l’arrivée de Laurent Gillard, dispose aujourd’hui d’un réseau de 82 restaurants et réalise 136 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pour l’anecdote, 3600 tonnes de moules y sont consommées chaque année. L’enseigne a depuis longtemps quitté la Bourse, mais affiche une belle santé. En 2013, elle a lancé le concept Léon 2B, une déclinai- son de 90 places assises destinées aux centres-villes avec une carte simplifiée et un bar plus actif. Deux restaurants ont vu le jour, à Paris et à Lyon. En mars, à Vélizy, un Corner Léon adaptera l’offre à la restauration rapide. Il faut rappeler que le développement de Lyon est essentiellement basé sur des succursales. Seulement six restaurants sont exploités en franchise. Dans l’entreprise, la franchise n’est pas un moyen d’accélérer le développement. Au contraire, elle est réservée à d’anciens directeurs performants qui souhaitent s’investir davantage dans leur métier. 

La transformation de Laurent Gillard pour « Patron incognito » sur M6.

Le restaurant Léon de B de Paris.

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