Joël Dupuch, 65 ans, ostréiculteur animé depuis son plus jeune âge par le goût de l’aventure, mène des vies parallèles. Il a été aussi restaurateur reconnu à Bordeaux, patron de chaîne et a connu la gloire sur le grand écran à travers plusieurs longs métrages. Ce personnage hédoniste est enfin un grand amateur de rugby qui a ses entrées dans la plupart des clubs du Top 14.
Joël Dupuch a beau maîtriser trois métiers, ostréiculteur, acteur et restaurateur, aucun d’entre eux ne lui permet d’être actif durant ce confinement. C’est avec du vague à l’âme qu’il contemple ses parcs à huîtres du Cap Ferret au repos complet. Ses clients étant essentiellement des restaurateurs, les ventes sont actuellement au plus bas. « Cela me rappelle 2005, indique-t-il, les producteurs du bassin d’Arcachon ont écopé de plus de deux mois de fermeture complète parce que leurs huîtres n’avaient pas réussi le test de la souris. » À l’époque, pour tester la présence d’algues toxiques dans les huîtres, Ifremer injectait des glandes salivaires du coquillage à des souris. Celles-ci n’ayant pas survécu, la production du bassin est devenue suspecte et l’État a ordonné une fermeture des parcs en pleine saison. Le test discutable a par la suite été abandonné, mais le mal était fait. Déséquilibrée par cet arrêt brutal, la société familiale de Joël Dupuch a dû déposer le bilan le 31 mai 2008. Mais, loin de se laisser abattre, le bouillant ostréiculteur a repris son exploitation dès le lendemain à la tête d’une nouvelle société, les Parcs de l’Impératrice. Cette entreprise qui commercialise 300 tonnes d’huîtres par an, est aujourd’hui devenue une grande marque du secteur et sa Perle, le haut de gamme de la production, représente aujourd’hui une référence pour les amateurs. On retrouve aujourd’hui ses produits à Paris dans les brasseries des groupes Bertrand ou Joulie, ou chez des chefs comme Yves Camdeborde ou Alain Dutournier.
Représentant de la 7e génération d’ostréiculteurs à la tête de cette exploitation du hameau des Jacquets, Joël Dupuch a très tôt dû se remettre en question. Au milieu des années 1970, les huîtres du bassin sont décimées par un produit chimique alors contenu dans les peintures antifouling des bateaux. Une fois les naissains reconstitués, Joël a dû prospecter une nouvelle clientèle, celle des restaurateurs.
« C’est comme cela qu’à l’âge de 20 ans, j’ai rencontré le chef Jean-Marie Amat, explique-t-il. J’étais dans une logique productiviste, il m’a fait comprendre l’importance de la qualité. J’ai alors travaillé complètement différemment. » Depuis lors, son carnet d’adresses chez les chefs étoilés a pris une épaisseur respectable, et pas seulement pour des raisons commerciales. Cet hédoniste confesse quatre passions : la gastronomie, la musique, la tauromachie et le rugby qu’il a pratiqué dans sa jeunesse. Son physique impressionnant (1,87 m pour 127 kg) le prédisposait aux postes de 2e et 3e ligne de l’équipe du Cap-Ferret. Sa curiosité l’a poussé à beaucoup voyager. Dans les années 1980, il a même quitté deux ans ses huîtres pour s’installer en Martinique comme directeur commercial des rhums Trois Rivières.
« À 20 ans, j’étais dans une logique productiviste. »
De retour dans l’exploitation familiale, cet entrepreneur boulimique a créé de nombreuses activités : un magasin de vente d’huîtres à Bordeaux et même une chaîne de restaurants, le Bistrot de l’huître, qui a compté jusqu’à 8 unités que Joël Dupuch détenait personnellement avec à chaque fois un associé différent. Le concept sans cuisine ne proposait que du foie gras, des huîtres et du saumon. Le succès fut au rendez-vous, mais Joël Dupuch, débordé par ses multiples activités, a dû se résoudre à revendre progressivement ses restaurants. Il a cédé le dernier en 2008.
Deux ans plus tôt, il avait ajouté une nouvelle corde à son arc en devenant acteur dans le film Ne le dis à personne de Guillaume Canet (2006). Là encore, une histoire d’amitié est à l’origine de cette carrière. Il avait rencontré le réalisateur acteur dans les années 1990. Philippe Starck, voisin et ami de Joël, avait fait les présentations. La carrière de comédien de l’ostréiculteur a vraiment décollé lors de sa deuxième collaboration, à l’occasion du film, Les Petits Mouchoirs (2010), dans lequel il tenait le rôle d’un vieux sage. Cette prestation lui a notamment valu d’avoir sa marionnette aux Guignols de l’info le temps d’un festival de Cannes. Naturellement, d’autres réalisateurs ont été sensibles à la nature de cette personnalité hors normes. Il a ainsi tourné dans 6 films et 3 téléfilms, dont un rôle mémorable dans Le Sac de billes de Christian Duguay (2017). Il affirme choisir ses films sans lire les scénarios, en s’assurant seulement que le courant passe avec le réalisateur. Il est toujours partant pour l’aventure, mais uniquement en bonne compagnie. Il exècre avant tout l’ennui et cultive toujours à 65 ans une simplicité déconcertante et le goût du travail bien fait. Il assure ainsi avoir ouvert 20 millions d’huîtres dans sa vie. Et gare à ceux qui autour de lui ont le geste approximatif !
