La gastronomie française à la sauce polonaise

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Logé place du Marché-Saint-Pierre à Clermont-Ferrand, le chef étoilé Arkadiusz Zuchmanski a fêté cette année les dix ans de son restaurant Apicius. Né en Pologne, formé dans les belles maisons de Paris, l’homme sublime la région des volcans dans une cuisine délicate, avec un point d’honneur : rendre hommage à la gastronomie française.

Derrière ses lunettes rondes et rouges, on devine ce regard déterminé et ce souci de l’élégance. Arkadiusz Zuchmanski garde sa force tranquille bien ancrée dans la passion qui l’anime, aux côtés de sa femme, Marguerite. Les deux forment un binôme de choc. Elle en salle, lui en cuisine. L’une pose les mots sur l’art de l’autre, qui crée, imagine et… cuisine. Un verbe si simple qui lui a valu pourtant tant d’efforts et tant de volonté pour arriver jusqu’à l’étoile Michelin. En 2018, l’Apicius, nom de son restaurant, ode à la gastronomie, a fêté ses dix ans. Dix ans de travail acharné, dix ans d’immersion dans le terroir auvergnat, dix ans d’affinage d’une cuisine qui se veut à la fois inventive et respectueuse des traditions culinaires, chères au cœur du chef. Né en Pologne, près de Varsovie, Arkadiusz Zuchmanski s’est toujours rêvé cuisinier. Après son BTS obtenu dans son pays natal, il intègre sa première brigade dans un hôtel prestigieux de Lodz, et découvre la cuisine française. À 20 ans, il va subir un véritable coup de foudre culinaire. Sentiment confirmé en ouvrant le livre Apicius, « le premier livre écrit sur la gastronomie. Il y en avait seulement 600 exemplaires et il comportait une partie en latin et l’autre en polonais. Là, j’ai découvert en fait que l’on n’avait rien inventé. Apicius gavait déjà les oies avec des figues il y a deux mille ans », raconte-t-il. Très vite, le jeune homme ne souhaite qu’une seule chose : partir en France pour apprendre encore et encore.

Des palaces parisiens à Clermont, en passant par Lenôtre

Direction Paris avec sa femme Marguerite. À 24 ans, il travaille dans une brasserie avant de s’orienter vers les palaces, comme l’hôtel Vendôme ou le Marriott. En 2001, il effectue un premier passage à Clermont-Ferrand pour faire l’ouverture du Studio Café, restaurant aux portes du Zénith d’Auvergne.Il y reste deux ans et demi en tant que chef avant de repartir pour la capitale, une opportunité chez Lenôtre. « Guy Krenzer, alors directeur des cuisines, m’a demandé de le rejoindre pour devenir chef responsable de la flotte gastronomique de chez Lenôtre, de m’occuper de l’offre gastronomique des bateaux, comme le Don Juan II. » Cependant, le souhait d’ouvrir sa propre affaire pour exprimer sa propre signature va le ramener près des volcans. « Je suis originaire d’une ville polonaise entourée de forêts, de nature. J’ai retrouvé ça ici, à Clermont », explique-t-il. Les fromages, la viande, la région séduit le chef pour sa palette gourmande à exprimer sur ses pianos. Et toujours ce souhait : sublimer la cuisine française. Pour cette ode qu’il souhaite réciter derrière les fourneaux, le nom de son restaurant se dessine rapidement : ce sera Apicius, clin d’œil aux bases de la cuisine, à ces livres qu’il dévorait en Pologne. En 2010, deux ans après son installation dans la cité volcanique, Arkadiusz Zuchmanski obtient l’étoile Michelin. Une récompense qui vient souligner cette précision et cet amour de la cuisine qu’il nourrit depuis le début. Si l’aventure a démarré près de l’église romane de Notre-Dame-du-Port, aujourd’hui l’adresse étoilée se trouve place du Marché-Saint-Pierre. 

« Depuis quelque temps, Arkadiusz a entamé un virage à 360 °C dans sa cuisine et a supprimé toutes les graisses animales de sa cuisine. »


La signature d’un lièvre à la royale

L’une de ses particularités, s’inspirer de vieilles recettes pour créer des plats dans l’air du temps. À l’image de son célèbre lièvre à la royale. « C’est un plat historique », justifie-t-il. Un plat servi à la table de Louis XIV : « Le roi n’arrivait pas à bien mâcher. Alors le lièvre était désossé et sa chair reconstituée avec du foie gras et de la truffe », raconte Marguerite Zuchmanski. Une recette également un clin d’œil à son grand-père chasseur. Depuis  neuf ans, ce mets prestigieux fait office de plat signature du chef. Pour un lièvre, le cuisinier compte pas moins de 1,2 kg de foie gras et le résultat dans l’assiette raconte tout le respect que le chef entretient pour ces anciennes traditions culinaires. Son plat a même été élu parmi les meilleurs lièvres à la royale par le magazine L’Express comme étant « le plus bourgeois » et sa photographie culinaire l’a déjà hissé en une du magazine Thuriès. Les soupes et les potages s’invitent également sur la carte du chef, comme le velouté de cèpes servi en cette saison froide.

Le lièvre à la royale, la spécialité de l’Apicius

« C’est un hommage à la Pologne. Chez nous, nous commençons tous nos repas comme ça », précise le chef. Durant le ser- vice de midi, c’est un chariot de viandes qui est proposé aux clients, « comme dans les brasseries au xxe siècle ». C’est Arkadiusz Zuchmanski lui-même qui vient découper la sélection de quatre ou cinq viandes auvergnates valorisées en différentes cuissons à table. Le pain fait sur place se nourrit du même levain depuis trois ans, à l’image du pain à la truffe, autre spécialité de la maison. Le bœuf? De la salers, que ce soit en tartare ou en filet. Depuis quelque temps, l’homme a « entamé un virage à 360 °C dans sa cuisine, l’explique sa femme. Il s’est produit un déclic sur notre mode de consommation, et Arkadiusz a supprimé toutes les graisses animales de sa cuisine ». Un pari audacieux qui lui a permis de se réinventer et de proposer une cuisine plus saine, tout en gardant la volonté d’améliorer ses plats sur un plan gustatif. « Même le bœuf est poêlé à l’huile d’olive », confirme-t-il. « Classicisme, moderne et nature », tels sont les mots qui résument l’approche gastronomique du chef clermontois. Sur sa carte, comme dans ses paroles et son parti pris auprès des fournisseurs de la région, Arkadiusz Zuchmanski fait d’Apicius un récital de valeurs et de saveurs en accord avec les enjeux actuels. Sans jamais oublier le goût de cette cuisine française qu’il aime tant. 

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