La mémoire du Wepler

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Le 12 novembre, la brasserie Le Wepler remettra le 21e prix littéraire qui porte son nom. C’est l’actuel propriétaire, la famille Joulie, qui recevra les invités, mais l’ancien patron, Michel Bessières sera là, du côté des éditeurs.

Il y a près d’un an il a fermé une dernière fois la porte du Wepler pour en confier la clé à Christophe Joulie. Quarante-deux ans passés à la tête de cette institution de la place Clichy, cela ne s’efface pas du jour au lendemain. L’oubli était d’autant plus difficile que Michel Bessières a conservé l’appartement au-dessus de la brasserie. Tous les jours, il passe devant le banc d’écailler et la terrasse. Il prétend n’éprouver aucun pincement de cœur et estime avoir vendu au bon moment. « J’arrivais à la fin d’un cycle, explique-t-il, Je sentais qu’il était temps de me remettre en question, de réaliser des travaux. Si je m’étais lancé dans cette aventure, je serais reparti pour une nouvelle période de six, sept ans. Or, je ne me voyais pas rester aux commandes du Wepler jusqu’à 70 ans. J’ai choisi de vendre. Cette décision n’était pas motivée par une baisse d’activité. Certes, les événements préjudiciables au tourisme parisien ont provoqué une baisse de chiffre d’affaires de la brasserie de l’ordre de 20 %, mais il faut considérer que ce genre d’aléas est cyclique. En plus de quarante ans dans ce lieu, nous en avons connu d’autres encore plus éprouvants, comme en 1991. Nous nous sommes adaptés en attendant le retour de la clientèle. D’ailleurs, dans les mois qui ont précédé la vente du Wepler, nous avons enregistré une nette hausse d’activité, liée au retour des touristes. » Michel Bessières est aussi heureux d’avoir pu partir en laissant sa brasserie dans des mains amies. Les familles Bessières et Joulie se connaissent de longue date. Il y a eu par cette transmission une sorte de continuité aveyronnaise.

Le 21e prix Wepler sera décerné le 12 novembre.

Naissance d’un livre

Mais depuis un an, l’ancien patron du Wepler a souhaité laisser un témoignage sur cette brasserie.

Amoureux de la littérature au point d’être un des pères fondateurs du prix Wepler, une des dix récompenses littéraires les plus importantes dans le monde de l’édition, le restaurateur aveyronnais vient d’éditer un livre intitulé Chez Wepler, paru aux éditions Michel-Bessières, une autoédition.

Il s’est contenté de rédiger la préface de cet ouvrage où l’on peut lire : « L’histoire du Wepler, c’est l’histoire de Paris et de la société française ; c’est aussi l’histoire des brasseries des communautés aveyronnaises et auvergnates et celle de la communauté des Savoyards à travers les bancs d’huîtres. »

En réalité, Michel Bessières a durant des années collectionné précieusement tous les documents qui avaient trait à l’établissement pour les confier à un historien, Jean-Yves Mollier, qui nous raconte dans ce livre l’étrange histoire du Wepler.

Elle débute en 1818. Après la chute de Napoléon, ce qui deviendra le 18e arrondissement n’est alors que le village des Batignolles qui jouxte Paris. L’établissement prend place sur les fameuses barrières. Un jeune marchand de vin, originaire de la Bavière rhénane, et naturalisé sous la Révolution, signe un bail pour installer un restaurant guinguette.

Personne ne sait si cet établissement était vraiment situé à l’emplacement actuel de la brasserie (14, place Clichy), mais une chose est sûre : l’enseigne a traversé deux siècles, et le Wepler demeure une des brasseries phares de la capitale.

« L’histoire du Wepler, c’est l’histoire de Paris et de la société française. »

Deux siècles d’histoire

De nombreux propriétaires s’y sont succédé. Rachetée en 1882 par un groupe de financiers liés à des brasseurs alsaciens, elle va progressivement devenir une vaste brasserie, trois fois plus grande que celle qu’on connaît aujourd’hui.

Michel Bessières évoque un « gigantesque paquebot musical, grill-room, salle de billard ». Un orchestre animait alors l’établissement et on y trouvait une multitude de salles de billard. Le Wepler a traversé deux guerres mondiales, la première où il faillit perdre son nom à consonance allemande et la seconde où il fut transformé en foyer du soldat allemand, puis en zone d’accueil des prisonniers et déportés, avant d’être restitué à ses propriétaires de l’époque, l’Union des brasseries. Entre les deux conflits, en 1935, l’établissement est reconstruit pour prendre son aspect actuel. Pathé va acquérir l’immeuble en 1954 pour y créer un cinéma (le Pathé Wepler). Le Wepler va alors abandonner les deux tiers de sa surface pour prendre son actuelle configuration. Jusqu’en 1971, il sera dirigé par un salarié de chez Pathé. Un certain M. Bouchet rachète l’établissement avant de le céder en 1976 au père de Michel Bessières. Ce dernier est originaire de Saint-Cyprien-sur-Dourdou, dans l’Aveyron. Monté une première fois à Paris avant-guerre, il y revient peu après sa libération d’un camp de prisonniers. Il entame une brillante carrière dans le monde de la limonade parisienne qui le conduit à la tête d’une belle brasserie, dans le quartier de l’Opéra, le Terpsichore. L’emplacement abrite aujourd’hui l’enseigne Five Guys. Fort de sa réussite, le père de Michel Bessières, alors âgé de 62 ans, jette son dévolu sur la brasserie. « D’un établissement de 14 salariés, nous sommes passés à une brasserie de 82 salariés, se souvient l’ancien patron du Wepler. J’avais moi-même racheté une affaire à 21 ans, le Select bar. J’ai dû la revendre pour accompagner mon père dans cette nouvelle aventure. Il souhaitait que nous relevions ce défi à deux. »

Le 20e anniversaire

C’est ainsi que Michel Bessières est resté quarante-deux ans au Wepler. Sa personnalité était devenue indissociable de l’établissement et on imaginait mal venir à la brasserie sans voir son sourire malicieux. Il a eu l’intelligence de s’effacer en douceur pour ne pas faire le combat de trop. Il a laissé à ses successeurs le prix Wepler qu’il a créé il y a vingt ans. Il ne s’est pas trop fait prier lorsque Marie-Rose Guarnieri, la libraire de la rue des Abbesses, est venue le voir pour lui souffler l’idée. Ce prix était une façon de rendre hommage à tous les artistes qui ont fréquenté le lieu et surtout les écrivains, Simenon, Vian, Prévert et Henry Miller qui, dans les années trente, fut un client assidu de la brasserie. Un séjour qui lui inspira son roman Jours tranquilles à Clichy. Daniel Vaillant, alors maire du 18e, a également contribuer à la mise sur pied de ce prix en ouvrant son carnet d’adresses à Marie-Rose Guarnieri et Michel Bessières. Il leur a fait rencontrer Sylvie Pélissier, épouse de Michel Rocard et conseillère en communication du directeur général de la Poste.

Chez Wepler, 14 place Clichy, édition Michel-Besisères

Le prix Wepler-La Poste était ainsi né. Chaque année, il couronne deux auteurs. Michel Bessières a d’ailleurs publié dans son livre leurs discours de remerciements. Le plus drôle fut sans conteste celui de Pierre Senges, prononcé en 2015, où le mot Wepler est astucieusement décliné avec les consonnes de l’alphabet. Le 12 novembre, le Wepler fêtera les vingt ans de son prix littéraire en annonçant pour la 21e fois le nom de deux lauréats. Ce soir-là, Michel Bessières ne sera pas sur scène pour remettre les prix, comme à l’accoutumée. C’est désormais la famille Joulie qui est en charge de l’organisation. Mais l’ancien patron sera dans la salle pour applaudir chaudement les lauréats. Les nombreux éditeurs présents au Wepler à cette occasion seront désormais ses confrères.

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