L’aristocrate de la fourchette se rapproche des cantines

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Thierry Gardinier, président du groupe qui contrôle trois institutions gastronomiques majeures, les Crayères, Drouant et Taillevent, a décidé d’associer cette dernière à une entreprise de restauration collective afin de développer des restaurants de clubs de direction.

Thierry Gardinier
Thierry Gardinier, président de Gardinier & Fils. Crédit L'Auvergnat de Paris.

L’annonce de l’alliance entre Thierry Gardinier, président de Gardinier & Fils, et de Gilles Terzakou, président de MRS, en a surpris plus d’un. L’aristocrate de la restauration, propriétaire d’institutions comme Taillevent, les Crayères, ou Drouant scellait ainsi un pacte avec l’un des plus importants exploitants de restaurants d’entreprises en France. MRS sert quotidiennement 30 000 repas chaque jour dans près de 160 restaurants et emploie 850 collaborateurs. Mais rassurons-nous… Thierry Gardinier n’ira pas vérifier si les salades bars des cantines sont bien garnis. Ce n’est pas précisément son ambition. En revanche, Les Tables Taillevent, la filiale commune gérée par les deux hommes va proposer aux entreprises des tables de direction gérées clés en main par les deux sociétés. Ces clubs de direction représentent en effet un marché non négligeable, notamment en Île-de-France, où ils sont largement concentrés. 200 établissements fonctionneraient ainsi à l’ombre des sièges de grandes sociétés françaises. Leur niveau de cuisine et leur décor n’ont souvent rien à envier aux tables étoilées par le Michelin . Leurs chefs sont recrutés au sein de prestigieuses brigades. Pour les dirigeants d’entreprise, ces clubs de direction représentent d’abord la garantie de la discrétion de leurs rencontres d’affaires. Ils représentent aussi des vitrines flatteuses vis-à-vis de leurs interlocuteurs.

Le potentiel Taillevent

Tables de Taillevent, va proposer une prestation digne du restaurant de la rue Lammenais, longtemps auréolé de 3* Michelin. « Nous disposons d’un savoir-faire, d’une image et d’une expertise, explique Thierry Gardinier. Les chefs seront sélectionnés et formés par notre chef David Bizet, qui sera associé à la création de la carte. Celle-ci sera personnalisée en fonction des goûts personnels du dirigeant de l’entreprise. Nous ne garantissons pas le niveau d’un macaron Michelin , mais le potentiel Taillevent » . Ajoutons qu’Antoine Pétrus, directeur général de Taillevent et MOF sommellerie, recrutera le personnel de salle au niveau des exigences du restaurant gastronomique et construira une carte des vins personnalisée pour chaque club de direction. La carte de visite de Taillevent est ainsi censée opérer comme un cheval de Troie permettant à MRS d’affirmer ses positions dans les cercles de direction. La marque véhicule en effet une formidable image de luxe. Cet établissement cossu, fondé par la famille Vrinat en 1946, a fait partie des triples étoilés Michelin parisiens jusqu’en 2007. Outre le restaurant gastronomique, l’entreprise détient les Caves Taille vent, mais aussi deux restaurants de luxe, le 110 Taille vent parisien et celui de Londres. Au total, la marque représente un CA de 15 M€. Thierry Gardiner, qui anime la holding familiale avec ses frères Stéphane et Laurent, a pris le contrôle de Taillevent en 2011, trois ans après la mort de Jean-Claude Vrinat, l’ancien propriétaire. Auparavant, les trois frères avaient fait l’acquisition des Crayères auprès du groupe Danone en 2001, signant ainsi un retour de la famille dans cette célèbre maison rémoise où l’Auvergnat Gérard Boyer décrocha trois étoiles Michelin.

Taillevent.

Taillevent.

Une saga familiale

Il faut en effet savoir que la famille Gardinier fait régulièrement évoluer ses investissements. C’est Lucien, le grand-père de Thierry, qui est à l’origine de cette saga entrepreneuriale. Né à la fin du XIX siècle, il a créé, à 26 ans, une entreprise dans le secteur de l’engrais qui a largement prospéré. Dans les années 1970, la famille a commencé à investir dans le secteur du luxe, rachetant tour à tour Lanson (1975), puis Pommery (1978). C’est à cette occasion que Xavier Gardinier, le père de Thierry, a créé Les Crayères, restaurant initialement lié à cette maison de champagnes. Dans les années 1980, afin de partager cette fortune avec la descendance de Lucien (neuf enfants), la famille a vendu son activité engrais à Rhône-Poulenc, puis les maisons de champagnes ont été cédées à Danone. Les Crayères faisaient partie de la corbeille. Dès 1985, Xavier et ses trois fils ont reconstitué un groupe résolument lié au luxe en rachetant le château Phelan-Ségur, mais aussi en le développant. De 15 hectares à l’origine, ce grand cru de Saint-Estèphe disposait de 70 ha lors de sa revente l’année passée au Belge Philippe Van de Veyre.

« Nous sommes animés par la passion d’entreprendre. »

« Mon père avait aussi investi en Floride par le passé, indique Thierry Gardinier. Nous y possédions notamment un Relais & Château, le Far Horizon, que j’ai été amené à diriger au début de ma carrière. Dans les années 1980, nous avions même pris le contrôle de Potel & Chabot durant quelques années. Nous sommes animés par la passion d’entreprendre.

Les Crayères, à Reims.

Les Crayères, à Reims.

Pas d’obsession vis-à-vis des étoiles

Désormais, les entreprises de Gardinier & Fils sont essentiellement concentrées dans la restauration, même s’il faut mentionner parmi les actifs du groupe une vaste plantation d’agrumes en Floride et Le Comptoir du caviar, à Paris. Drouant a constitué la dernière acquisition en date. Certes, Taille vent (une étoile Michelin ), les Crayères (une étoile Michelin ) et Drouant évoluent aujourd’hui à un classement assez éloigné de celui qui fut le leur il y a une vingtaine d’années. Mais cela n’obsède pas outre mesure Thierry Gardinier, qui reconnaît que ses chefs, Olivier Mille (Les Crayères) et David Bizet (Taillevent), ont vocation à aller chercher une deuxième étoile, mais assure que cet objectif n’est pas contractualisé. « Comme nous ne détenons pas les clés sur lesquelles se base la critique du guide Michelin , il est difficile de se fier à ce critère pour apprécier le travail d’un cuisinier. Selon lui, les chefs sont d’abord jugés sur la réussite économique de l’établissement. La force du groupe, c’est d’abord de rentabiliser des établissements gastronomiques, activité souvent déficitaire. « Nous n’obtenons pas des marges aussi élevées que dans le secteur de la maroquinerie, reconnaît Thierry. Mais avec une bonne gestion, la restauration gastronomique peut être rentable. C’est aussi pour cela que la famille a racheté des institutions mondialement connues. « Drouant, par exemple, véhicule une image de gastronomie culturelle et cette marque représente un potentiel qu’il est possible de développer à l’étranger », estime le président de Gardinier & Fils.

Le salon Goncourt du Drouant.

Le salon Goncourt du Drouant.

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