Pierre Caillet : le MOF normand

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Exemple de volonté et de détermination, Pierre Caillet se fixe des objectifs ambitieux et se donne les moyens de les atteindre grâce à une puissance de travail hors du commun.

Pierre Caillet
Pierre Caillet

Le 6 mai 2011, à Marseille, Pierre Caillet est sorti de l’anonymat en obtenant le droit d’ajuster un col tricolore sur sa veste de cuisinier. Il avait alors 30 ans. L’exploit était de taille. 750 cuisiniers s’étaient inscrits au concours de MOF lors de cette session et 36 étaient parvenus en finale. Seuls 10 élus ont obtenu le titre. Installé depuis 2006 dans un hôtel-restaurant d’un hameau de Valmont, un petit village normand situé dans la région de Fécamp, le jeune chef a bénéficié alors pour la première fois des sirènes de la renommée médiatique. La presse locale a largement salué l’émergence du seul MOF normand. Mais surtout, il faisait partie d’un petit groupe de 6 cuisiniers suivis lors du concours du MOF par les caméras de France 3. Parmi eux figuraient deux pointures des fourneaux, Franck Putelat (Bocuse d’argent 2 003) et Christophe Raoux. Curieusement, parmi ce groupe, Pierre Caillet fut le seul à obtenir le titre. Peu connu et ne bénéficiant pas du soutien d’une grande brigade, il faisait alors figure d’outsider. Sa réussite fut donc d’autant plus remarquée par le public lorsque le reportage a été diffusé. Le rythme des réservations dans le petit restaurant cauchois s’est alors singulièrement accéléré et, comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’étoile Michelin a été décernée au chef début 2012.

Un établissement ancré dans le pays de Caux.

Un établissement ancré dans le pays de Caux

« Je pense que mon titre de MOF a compté et a poussé le Michelin à examiner ma cuisine d’un peu plus près, reconnaît avec lucidité Pierre Caillet. Mais curieusement, je n’ai pas constaté le fameux effet Michelin sur les réservations. Quand l’étoile est tombée, la fin de l’impact de l’émission de télévision commençait seulement à se faire sentir et l’étoile a simplement permis de relancer durablement la fréquentation. »

La détermination sans faille de ce chef de 38 ans, sa rigueur et son honnêteté intellectuelle, ont guidé un parcours sans faute. Élève à l’école hôtelière du Touquet, il s’était fixé le but de s’emparer du col tricolore. « Un de mes professeurs, Jean-Marc Monpach, aujourd’hui président de l’Académie Nationale de Cuisine, avait un jour convié au Lycée, Roger Portugal, un chef MOF de la région du Nord-Pas-de-Calais, se souvient-il. C’était un homme de petite taille, mais tous les cuisiniers présents à la réunion le regardaient comme un demi-dieu. Ce jour-là, j’ai décidé que cette médaille, j’irai la chercher. »

Le déclic du Touquet

Ce destin n’était pourtant pas écrit à l’avance. Issu d’une famille de 7 enfants dans la région de Gisors, Pierre Cailleta grandi loin de la gastronomie. Attiré par l’artisanat, il s’est engouffré dans un CAP de menuisier avant de jeter l’éponge. « Je suis tombé sur de mauvais patrons qui ne parlaient que de PVC et m’ont vite dégoûté de ce métier, explique le cuisinier. Une amie m’a alors parlé de l’école hôtelière du Touquet en insistant sur le prestige de cet enseignement. J’y suis allé avec l’idée de ne faire qu’un CAP et de travailler rapidement. Finalement je suis resté pour aller jusqu’au BTS art culinaire. »

C’est aussi au Touquet que Pierre Caillet rencontre Cécile, sa future épouse, originaire de Fécamp. Dès la sortie de l’école, ils se font embaucher dans les mêmes établissements. Ils débutent à Arbois, chez Jean-Pierre Jeunet et poursuivent dans le circuit des étoilés avant de rejoindre Romuald Fassenet, au Mont Joly. Ce chef est alors en pleine préparation du MOF et il demande à Pierre Caillet de veiller sur la cuisine durant ses périodes d’entraînement. « C’est ce que je faisais, mais après le service, j’aillais le rejoindre pour l’aider dans sa préparation. », se souvient le cuisinier. Cette expérience lui a permis d’appréhender les contraintes énormes que pose ce concours.

Après deux années passées avec sa femme en Irlande à la tête d’un pub gastronomique, puis dans les cuisines d’un grand hôtel, le couple revient en France avec la ferme intention de s’installer. Ils jettent leur dévolu sur un restaurant flanqué d’un hôtel de 5 chambres. L’établissement souffre de vétusté et d’un sérieux manque de fréquentation. Mais il représente pour Pierre Caillet le seul tremplin possible pour se lancer dans l’entrepreneuriat. « En raclant les fonds de tiroirs, nous sommes parvenus à réunir 20 K, raconte-t-il. Mais sept banquiers nous ont ri au nez à la vue du dossier. Le huitième a cru en nous. C’était un directeur d’agence qui jouissait d’une certaine autonomie dans les autorisations de crédit ».

« Ce jour-là, j’ai décidé que cette médaille, j’irai la chercher. »

Ancré dans le local

Les débuts sont laborieux. « Même si mon épouse est originaire de Fécamp, au départ, nous étions considérés comme des étrangers, assure Pierre Caillet. Enfin, les Normands apprécient les assiettes bien pleines. Nous avons donc fait des concessions tout en maintenant le cap de notre cuisine ».

La cuisine de Pierre Caillet est pourtant bien ancrée dans les productions locales : les produits de la mer, les volailles, l’agneau. Les produits laitiers et cidricoles sont largement présents dans ses recettes. Il accorde aussi beaucoup d’importance aux légumes et aux herbes. Autour de son restaurant, il a aménagé plusieurs jardins et 200 m² de serres où poussent 250 variétés végétales. Un jardinier vient même d’être embauché à plein temps pour en prendre soin. Désormais le restaurant produit directement 75 % de ses besoins en légumes.

75 % des légumes sont cultivés autour du restaurant.

75 % des légumes sont cultivés autour du restaurant.

La cuisine de Pierre Caillet est à son image : lisible, limpide et logique. Elle est aussi marquée par des bases classiques et une grande technicité. Chaque recette est basée sur trois produits que le client doit pouvoir retrouver les yeux fermés à l’image du trio langoustine, courgette et achillée. Ce style est parvenu à séduire une clientèle locale nombreuse, mais aussi les touristes qui se déplacent avec le guide Michelin.

Le chef était depuis trois ans dans les murs lorsqu’il a décidé de s’inscrire au MOF. Habitué des concours culinaires, il avait obtenu plusieurs podiums et même une victoire au Trophée Lucien Vannier. Qualifié pour la finale nationale de la Toque d’or, il a indiqué par jeu que s’il gagnait, il tentait le MOF dans la foulée. Comme il a triomphé, ses amis et son mentor Jean-Marc Monpach se sont chargés de lui rappeler sa promesse. « Je me suis inscrit au MOF sur un coup de tête, assure-t-il. Quand je suis allé poster mon bulletin au village voisin, je l’ai entendu tomber au fond de la boîte jaune et une angoisse m’a saisi. Il m’est même venu à l’esprit l’idée d’attendre le facteur au moment de la levée pour lui demander de récupérer la lettre. Finalement, je me suis dit que la seule chose à faire était de me mettre tout de suite au travail. »

Le moment était d’autant plus mal choisi que, quelques mois avant la finale, Pierre Caillet et son épouse venaient d’investir 800 K € dans le rachat des murs et la rénovation des cuisines de l’établissement. À quelques mois du concours, un chef de partie déterminant pour l’entreprise adonné son congé. Il faut enfin reconnaître que seul et isolé dans la campagne normande, le chef a concouru sans équipe de préparation et sans conseiller. « Heureusement, reconnaît Pierre Caillet, une fois qualifié, pour la finale, Jean-Marc Monpach m’a appelé pour me proposer son aide. Plus que de conseils techniques, j’avais besoin d’un soutien moral ».

Petit à petit, le chef du Bec au Cauchois a développé et modernisé son établissement. Quand on évoque devant lui la perspective d’une deuxième étoile, il admet avec honnêteté qu’il s’agit d’un objectif. Il connaît les bienfaits d’une étoile « qui lui adonné une visibilité alors qu’il est sans concurrent à ce niveau à 50 km à la ronde » et n’est pas du genre à décrier le guide rouge : « Je comprends la pression qu’éprouvent certains de mes collègues mais c’est la règle du jeu. On ne peut pas accepter les distinctions et refuser les promotions. Au fond, certains chefs agissent un peu comme un étudiant qui ne travaille pas et qui sait qu’il va être forcément stressé au moment de l’examen ».

Pratique

www.lebecaucauchois.com

02 35 29 77 56

22 Rue André Fiquet, 76540 Valmont

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