Le sens des bonnes affaires

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Coutelier, mais aussi restaurateur, opérateur dans l’agroalimentaire et l’énergie verte, Christian Valat est un homme d’affaires aveyronnais touche-à-tout, très marqué par les valeurs du monde agricole.

Christian Valat, fondateur de Laguiole. Crédits L'Auvergnat de Paris.
Christian Valat, fondateur de Laguiole. Crédit L'Auvergnat de Paris.

Christian Valat a fait sien le proverbe paysan selon lequel il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Connu comme coutelier avec la création de Laguiole en Aubrac, à Espalion, en 1994, puis le rachat de la Forge de Laguiole, cet homme d’affaires de 57 ans a depuis investi dans la restauration parisienne, qu’il considère comme une valeur sûre. Ces dernières années, il a pris le contrôle de quatre adresses de la capitale bien connues dans le circuit de la bistronomie : le Rubis, le Réveil du 10 , les Artistes et le Pavé des Lombards. Mais surtout, associé à parts égales avec le célèbre chef aveyronnais Sébastien Bras et à Jean-Marc Calvet, un ami minotier, il a acquis l’année passée, le Flottes, rue Cambon. Ce restaurant renommé, cité dans un classement du Figaro comme la meilleure brasserie parisienne, emploie près de 38 personnes. Il mise ainsi sur les institutions indémodables et assure qu’il n’aurait jamais investi un seul euro dans un restaurant tendance. Il croit aussi aux hommes et sait s’entourer. La plupart de ceux qui gèrent ses sociétés, même à Paris, sont issus de l’Aveyron. « Autour de moi, à Espalion, je vois des jeunes intéressants, qui n’ont souvent pas fait de grandes études, mais qui possèdent des capacités énormes, assure-t-il. Généralement, je les intègre dans mes activités durant deux ou trois ans et quand ils sont prêts, je leur donne des responsabilités comme une gérance.

Un réseau

Ainsi, le gérant du Pavé, Patrick Quintard, ancien ingénieur chez Peugeot, est un cousin de Christian Valat. Bientôt Franck Azéma, fils d’un vigneron de Coubisou et neveu du patron de l’Arsenal, à Paris, va remplacer David Pernin à la tête du Réveil du 10 . Le fils d’un notaire aveyronnais gère l’Artiste. La méthode fonctionne. « Je dispose d’une liste d’attente, reconnaît-il. Les professionnels des bistrots parisiens issus du Massif central sont des gens précieux, car sérieux, honnêtes et bien organisés, qui parviennent à trouver une solution à n’importe quel problème ».

Tous les restaurants rachetés par Christian Valat ont vu leur activité progresser significativement. L’hom me d’affaires possède l’art de motiver ses collaborateurs.

Dans l’ensemble de ses activités, il prend un soin méticuleux à répartir équitablement les produits des entreprises.

« Les professionnels des bistrots parisiens issus du Massif central sont des gens précieux, car sérieux, honnêtes et bien organisés »

L’énergie verte, son nouveau credo

Ces dernières années, Christian Valat a aussi pris des positions dans le secteur de l’énergie. Il a réalisé des investissements dans des installations hydrauliques dans le Vercors et dans la région de Chambéry. Mais surtout, il a créé trois sociétés : la Coopérative Olt Énergie, Cantal Énergie et la Châtaigneraie Énergie, qui aident les agriculteurs à couvrir de panneaux solaires le toit de leurs établissements. Grâce à ces trois sociétés, Christian Valat a fait installer près de 9 hectares de panneaux solaires sur les toits des granges, en Aveyron et dans le Cantal.

« La production d’énergie s’avère très rentable, explique Christian Valat. Mais cette rentabilité échappait jusqu’à présent aux agriculteurs. Un opérateur leur offrait la construction du toit de leur grange en échange du droit d’y installer des panneaux et ils s’en contentaient. J’ai voulu permettre à ces agriculteurs de tirer bénéfice de l’électricité produite. Nous avons levé un emprunt de 35 M€ auprès du Crédit agricole, qui a pleinement joué le jeu, en nous finançant à 100 %. Désormais, je connais des agriculteurs qui tirent un meilleur revenu de leurs panneaux solaires que de leur travail ». Christian Valat connaît bien le monde paysan. C’est là qu’a commencé l’aventure singulière de cet Auvergnat de Paris, né dans le 19 arrondissement, au gré d’une affectation de son père fonctionnaire, originaire de Castelnau-de-Mandailles. Il a connu une enfance à Paris proche du milieu des cafés brasseries parisiens où évoluaient ses nombreux oncles et tantes. « Mon père et ma mère avaient chacun cinq frères et sœurs qui dirigeaient des cafés-tabacs ou des brasseries, se souvient-il. Mon père était le seul à avoir choisi la fonction publique.

Pourtant, à l’âge de neuf ans, Christian Valat va quitter Paris pour revenir à Castelnau-de-Mandailles. Son père, qui souhaite relancer la boulangerie familiale du village, à l’abandon, passe le concours de la Poste. Cela lui permet de devenir facteur du village tout en exploitant la boulangerie à ses heures perdues. Ni fasciné par le métier de boulanger, ni par celui de restaurateur exercé par ses oncles et tantes, Christian Valat s’intéresse à une profession étrangère à la famille : l’agriculture. Il obtient un BTS agricole, avant de suivre une formation complémentaire, et devient conseiller à la Chambre d’agriculture. Il entre ensuite chez Lactalis comme responsable de production et comprend qu’il a fait le mauvais choix. En 1994, persuadé que le géant laitier exploite le travail des agriculteurs, il passe de l’autre côté de la barrière et propose aux producteurs de valoriser eux-mêmes leur lait. Pour cela, il crée un GIE à Maurs et fédère de nombreux exploitants. « C’était extraordinaire, raconte-t-il, près de cent familles ont confié tout ce qu’elles gagnaient au jeune homme de 32 ans que j’étais. La réussite de ce projet vaut à Christian Valat la reconnaissance du monde agricole et un fort capital de confiance dans les milieux paysans. Aujourd’hui, le GIE a prospéré. Vingt-cinq ans après sa création, il collecte chaque année 14 millions de litres de lait et détient 500 bufflonnes, qui produisent une mozzarella de grande qualité. Le tiers de ce troupeau appartient directement à Christian Valat, qui est très fier d’annoncer que la mozzarella fraîche proposée par le nouveau complexe italien à Paris, Eataly, provient de la traite de ses vaches.

Avocat des agriculteurs

Il reconnaît aussi que ses investissements agricoles ne sont pas les plus lucratifs. Il entend avant tout aider le monde paysan à reprendre son destin en main et aime rappeler la phrase de Raymond Lacombe : « Pas de pays sans paysans. » Il se fait volontiers l’avocat des agriculteurs et rappelle que si les fermes continuent de disparaître au rythme actuel, il n’y aura plus de vivier pour le CHR parisien et plus de bras pour travailler dans les entreprises aveyronnaises. « Dans le personnel de ma coutellerie, il y a 24 fils d’agriculteurs, rappelle-t-il. Lorsqu’un policier se suicide, cela fait la Une des journaux, mais personne ne mentionne qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours en France. » Pourtant, ce n’est pas pour ses activités agricoles que Christian Valat est devenu incontournable en Aveyron. Son nom est indéfectiblement lié à la coutellerie. Dans les années 1990, il a d’abord imaginé d’exporter des couteaux de Laguiole. À Thiers, comme à Laguiole, les couteliers lui auraient alors claqué la porte au nez en lui expliquant qu’ils arrivaient à peine à subvenir aux besoins du marché français. Le secteur coutelier était alors prospère. Christian Valat a alors décidé de créer son propre atelier à Espalion, participant ainsi à la renaissance de la coutellerie aveyronnaise.

Aujourd’hui, Laguiole en Aubrac emploie 72 salariés et réalise 6 M€ de CA. Elle contrôle d’autres fabrications, comme le couteau de Sauveterre. En 2007, le coutelier a même acquis la Forge de Laguiole, alors que l’entreprise traversait de graves difficultés financières. Son ami Jean-Marc Calvet participait déjà au tour de table. Grâce à l’arrivée de Thierry Moysset, gestionnaire efficace, à la tête de la Forge de Laguiole, l’entreprise a rapidement été redressée. En 2014, Jean-Marc Calvet et Christian Valat ont cédé le contrôle de la société au Holding suisse de Roland Jeannet. « Quelques mois plus tôt, explique-t-il, j’avais racheté Laguiole Arbalète Genès David, à Saint-Rémy-sur-Durolle. Je contrôlais un pôle coutelier employant près de 200 personnes. J’ai eu un peu peur, car trop dépendant d’une activité. J’ai préféré céder la Forge de Laguiole à un groupe capable de rapidement développer l’entreprise à l’international et de défendre les intérêts du secteur.

Cette vente aura aussi permis à Christian Valat d’investir dans la restauration parisienne. Non seulement cet homme d’affaires aime diversifier ses placements, mais il est très joueur, capable de coups très risqués. Ainsi, son entreprise est connue pour fabriquer des couteaux de Laguiole avec des manches réalisés avec des morceaux d’objets célèbres : des parties du pont du Golden Gate ou des pièces du paquebot France.

Personnellement fasciné par l’aventure Concorde, il s’est un jour mis en tête d’acheter des morceaux de l’avion aux enchères lors d’une vente, à la Halle aux Grains, à Toulouse. « Lors de cette vente, se souvient-il, il y avait 26 opératrices pour l’organisation et cinq chaînes de télévision pour couvrir l’événement. J’ai compris combien cet avion était cher au cœur des gens et je n’ai pas hésité à acheter pour 100 000 € de pièces. De retour à Espalion, il fait plancher plusieurs designers sur le modèle du Laguiole Concorde. L’un des projets est choisi et Christian Valat propose au créateur un marché : soit 2 000 € tout de suite, soit 1 € par modèle vendu. Le designer, prudent, a choisi la somme sur l’heure. Il aurait peut-être dû réfléchir davantage. 50 000 modèles Concorde ont déjà été commercialisés à ce jour.

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