Un an à l’épreuve du Covid avec Bertrand Halbwachs, directeur de l’hôtel-restaurant Les Tourelles (80)

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Après une traversée du désert de plus d’un an, entre inactivité et réouverture sous contrôle, les cafés-restaurants voient le bout du tunnel. Cette période pénible a laissé des séquelles mais aussi ouvert de nombreuses opportunités. Nous sommes partis sur le terrain pour prendre le pouls de cette profession convalescente. Entretien avec Bertrand Halbwachs, directeur de l’hôtel-restaurant Les Tourelles (80).

Le pire moment de découragement ? Le meilleur souvenir ?

Le pire moment de découragement a été lorsque nous avons refermé, à partir d’octobre-novembre, cela a déjà été un coup de massue. Et le second coup de massue en janvier, au moment où nous ne savions plus ce qui allait se passer. Le dialogue du Gouvernement, même si je pense que c’était compliqué pour lui, devenait de moins en moins clair et nous n’avions plus de visibilité.
Si l’on peut dire qu’il y a un meilleur souvenir, c’est lorsqu’on a commencé à voir la lumière au bout du tunnel. Quand on a commencé à avoir des objectifs et que l’on s’apercevait que petit à petit nous allions peut-être nous en sortir.

Comment avez-vous entretenu la flamme ? Brûle-t-elle toujours ? L’esprit d’équipe a-t-il résisté à l’épreuve ?

Nous contactions assez souvent les salariés pour leur dire que cela allait s’arranger. Nous avons maintenu leur salaire à 100 %. Nous avons une philosophie très sociale, ce qui signifie que la priorité était que le salarié n’ait aucune perte. Je n’ai eu aucune défection de mes salariés parce qu’il y a une vraie attache par rapport à l’établissement, mais je n’ai pas réussi à en embaucher d’autres. Le seul souci que nous avons, comme beaucoup de nos confrères, c’est d’avoir besoin de recruter, alors que nous ne trouvons personne sur le marché du travail.
Par ailleurs, les liens se sont resserrés. Par exemple, nous avons organisé en mars, juste avant de redémarrer, une journée entière pour se retrouver, travailler sur une reprise, faire des jeux ensemble pour justement se ressouder.

Comment avez-vous utilisé ce temps libre inattendu ? La livraison et la VAE ont-ils été de nouveaux moteurs ?

Cela m’a permis de commencer des travaux. Des petits travaux, parce que nous n’avions pas forcément les budgets et nous ne savions pas comment cela allait pouvoir tourner économiquement. Donc nous faisions surtout de l’entretien.
Nous avons quand même réfléchi sur ce que pouvait être la restauration dans le futur sachant que ce genre de phénomènes peuvent revenir, même si j’espère qu’ils ne seront pas aussi fréquents et aussi longs. Comment faire demain si on nous dit à un moment ou un autre que nous ne pouvons faire que de la cuisine à emporter ? Nous avons chercher à savoir comment jouer avec notre restauration et être de plus en plus flexible. Plutôt que d’être attentiste, il vaut mieux réfléchir à différents modèles économiques et différents modèles de restauration.
Professionnellement, cela m’a été très enrichissant. Cela m’a permis de créer un cahier des charges pour pouvoir être prêt à agir immédiatement. Par exemple, si demain on me dit de fermer l’hôtel et la salle de restaurant, que je n’ai le droit que d’ouvrir la terrasse et faire de la vente à emporter, nous avons tout de suite des schémas que nous pouvons mettre rapidement en place, contrairement à avant où nous n’étions pas préparés.
Je pense que la vente à emporter est un vrai moteur. Pendant un an et demi, toute une partie de la population, surtout les jeunes, a pris le pli par rapport à cela. C’était déjà une jeunesse qui était très ancrée sur les écrans en restant à la maison, en faisant des fêtes plutôt chez eux, donc la vente à emporter, le fait de pouvoir amener la nourriture chez soi, je pense que cela va rester. Je ne dis pas que cela va être la seule façon de se nourrir, on retourne au restaurant, on retourne au bar, mais je pense que la part de marché de la restauration à emporter va augmenter. En tout cas, je pense qu’elle va perdurer et continuer à bien exister.

Qu’est-ce qui a changé chez vous durant cette parenthèse ?

L’adaptation est vraiment de pouvoir agir au bon moment. Il ne faut plus s’attendre à avoir des méthodes de travail sur lesquelles on ne se remet plus en cause. C’est ce que je demande à mes salariés, tous les jours, ils doivent considérer le contexte. C’est une certaine flexibilité et une certaine polyvalence qu’il faut avoir. Techniquement, si nous voulons garder nos emplois, il va falloir jongler entre toutes ces compétences. On devra pouvoir changer de poste et être de suite actif.

Avez-vous des regrets ?

Le gros regret que j’ai, c’est le fait de ne pas avoir eu de visibilité par rapport à toute cette crise. Je pense qu’il est sûrement difficile pour un gouvernement de donner la majeure partie des informations, mais il y avait un moment où c’était brouillon. On ne savait vraiment plus rien, il n’y avait plus de visibilité. Pour moi, cela a été le plus compliqué parce que nous ne savions vraiment plus où nous allions.

Comment jugez-vous l’action du Gouvernement face à la pandémie ?

Je trouve qu’il a essayé de protéger au mieux les salariés et les entreprises. Je sais qu’il y a certaines personnes qui peuvent critiquer la dette que l’on va avoir, mais si l’on regarde les résultats, il n’y a pas eu beaucoup plus de chômeurs. Les entreprises ne sont pour l’instant pas en faillite. J’ai l’impression que la politique du Gouvernement a permis de protéger les Français. Et pour autant, je ne suis pas particulièrement fan de ce gouvernement. Je pense qu’ils ont fait le travail et je pense que ce n’était pas forcément facile. C’est quand même quelque chose auquel nous n’étions pas préparés. Ce que je leur reproche, c’est le manque de visibilité, certaines incohérences et peut-être d’avoir agi en fonction de l’opinion publique. Il y avait certaines choses qu’il ne fallait peut-être pas faire. Quitte à être mal vu, par exemple je pense qu’on n’aurait peut-être pas dû ouvrir à Noël et Nouvel An [les commerces, NDLR] et continuer d’avoir le confinement pour pouvoir s’en sortir plus rapidement. Mais c’est toujours facile de critiquer quand c’est passé.

Pensez-vous que votre entreprise survivra ?

Nous avons la chance d’avoir un établissement qui est très bien situé. Nous sommes une référence sur l’image comme sur notre philosophie. Nous avons des actionnaires qui ne se rétribuent pas, ce qui veut dire que nous avons une société qui est très saine. Nous avons souffert, mais logiquement il n’y a aucun souci. Dès que nous avons pu rouvrir pour les clients, c’est reparti comme en 40. Je ne suis pas inquiet.

Finalement, quel(s) enseignement(s) tirez-vous de cette crise ? Sortez-vous plus fort de cette épreuve ? À quel niveau ?

Pour moi c’est l’adaptabilité. S’adapter, s’adapter, s’adapter ! C’est la chose la plus intéressante qui ait pu ressortir de cela. Professionnellement parlant, humainement parlant, je pense que l’on ressort plus fort de cette crise parce que cela nous a permis de nous confronter à des évènements que nous n’aurions pas pu considérer. Nous ne sommes pas des enfants de la guerre, nous sommes des enfants un peu gâtés. J’ai une cinquantaine d’années, c’est vrai que l’on n’a rien connu. On a toujours été un minimum protégé, là c’est peut-être la première crise vraiment que l’on vit. Il y en a qui ont parlé d’une guerre, je trouve que c’est un petit peu exagéré. Sur le principe, je pense que cela nous a donné la possibilité de nous remettre en question et de travailler sur notre adaptabilité.

Comment entrevoyez-vous l’avenir ? Quels sont vos projets de développement ?

Je suis toujours positif donc je le vois bien. Il y a du positif dans tout. Tout dépend comment on le prend, mais je pense que c’est une philosophie. Vous pouvez toujours regarder les choses de différentes façons : soit vous les voyez du côté négatif, soit vous les voyez du côté positif. Je ne dis pas que ce qui nous arrive est toujours marrant, mais il y a toujours un enseignement à retirer.
Nos projets sont toujours liés à l’écologie et à notre empreinte carbone. Cela fait 27 ans que nous agissons là-dessus. Et cela a encore été un moment où l’on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. L’état de la planète n’a pas l’air d’être fantastique. Si des virus comme celui-ci apparaissent, ce n’est peut-être pas par hasard. Donc nous allons continuer, nous allons essayer de nous améliorer, de communiquer pour que les gens s’en rendent compte.

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