Un an à l’épreuve du Covid avec Nathan Helo, chef de Dupin (Paris 6e)

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Après une traversée du désert de plus d’un an, entre inactivité et réouverture sous contrôle, les cafés-restaurants voient le bout du tunnel. Cette période pénible a laissé des séquelles mais aussi ouvert de nombreuses opportunités. Nous sommes partis sur le terrain pour prendre le pouls de cette profession convalescente. Entretien avec Nathan Helo, chef de Dupin (Paris 6e).

Le pire moment de découragement ? Le meilleur souvenir ?

Le pire moment de découragement a été quelques semaines avant la dernière reprise, parce que nous commencions à voir notre trésorerie fondre comme neige au soleil. Nous nous demandions quand nous pourrions repartir parce que nous ne voyions pas vraiment d’éclaircie sur le chemin. Nous commencions un peu à désespérer, parce que tout ce que nous avions fait jusqu’à présent, toutes les propositions avaient bien marché à chaque fois, mais commençaient un peu à s’essouffler. Donc nous commencions à nous demander ce que nous allions pouvoir proposer d’autre.
La période de Noël a été mon meilleur souvenir. C’est déjà un moment que nous affectionnons et nous avons voulu recréer comme un village de Noël devant le restaurant. Pratiquement toutes les équipes sont revenues et nous avons un peu bricolé, avec de la récupération, pour recréer l’esprit d’un marché de Noël. Cela a plutôt bien marché. Nous vendions des gaufres, nous avons fait notre pâte à tartiner, nous faisions du vin chaud, du foie gras, des sandwichs à la truffe. C’est un très bon souvenir, avec les chants de Noël. C’était assez sympa dans cette année qui n’était pas riche en bonnes nouvelles. Un moment assez spécial parce qu’on sentait d’un coup la solidarité de toutes les personnes qui travaillaient avec nous.

Comment avez-vous entretenu la flamme ? Brûle-t-elle toujours ? L’esprit d’équipe a-t-il résisté à l’épreuve ?

Nous cuisinions. Pas au restaurant et de manière non professionnelle, mais je continuais de cuisiner à la maison. J’ai tout un cercle d’amis qui sont aussi dans le même secteur d’activité, donc la chance que nous avions est que sans aller manger au restaurant, nous allions manger chez des amis et c’était presque tout aussi bien, voire mieux. Après, nous en avons profité pour beaucoup nous documenter et nous renseigner. Nous en avons aussi profité pour rencontrer nos producteurs, nos fournisseurs que nous n’avions pas eu le temps de rencontrer en temps normal, et puis nous occuper de projets de collaboration avec certaines marques. Ce qui fait que nous n’avons jamais arrêté.
L’esprit d’équipe est même encore plus fort. Tout le monde est très content de se retrouver. Après, nous parlons d’une équipe qui aime vivre ensemble, qui se connaît assez bien et qui s’entend très bien. C’est vrai que lorsqu’on s’entend bien, on arrive à se manquer lorsqu’on ne se voit pas.

Comment avez-vous utilisé ce temps libre inattendu ? Songez-vous à adopter un nouveau rythme de vie ? La livraison et la VAE ont-ils été de nouveaux moteurs ?

On se rassure comme on peut, mais j’ai été plutôt content parce que j’ai une petite fille qui a deux ans. J’ai pu profiter d’elle pendant tout ce laps de temps, chose que je n’aurais absolument pas pu faire en temps normal.

Changer notre rythme de vie, nous y pensons, mais dans un futur un peu plus lointain que demain. Peut-être dans les quelques années qui viennent. Mais aujourd’hui le leitmotiv est vraiment de baisser la tête et d’y aller parce que nous avons eu une période très compliquée et ce n’est pas maintenant qu’il faut relâcher.
La volonté, et cela s’est renforcé avec tout ce qu’il s’est passé, est à terme de pouvoir partir plus vers chez moi, dans le sud de la France, là où nous savons que nous aurons une vie un peu plus apaisée et où je pourrais profiter de ma femme et de ma fille.
Nous continuons de proposer la VAE et la livraison, mais c’est une chose qui est devenue minime. Nous n’avons pratiquement aucune demande.

Qu’est-ce qui a changé chez vous durant cette parenthèse ?

La disposition des tables et de la salle a changé, puisque nous avons cette fameuse distanciation sociale. L’approche clientèle, nous n’avons pratiquement plus de menus physiques, tout se passe par QR code.
Après, il y a peu de changements, puisque nous avons déjà en cuisine tout un processus hygiénique très carré.

Avez-vous des regrets ?

Non, j’estime avoir fait ce que nous pouvions faire. Absolument pas de regrets, j’estime avoir proposé avec mes équipes assez de choses qui ont plutôt bien marché. En plus de cela, c’est une période durant laquelle j’ai pu voir grandir ma fille donc je ne regrette absolument pas. C’est sûr que j’ai gagné beaucoup moins d’argent mais très honnêtement, par rapport à tout ce que cela m’a apporté, je ne regrette rien.

Comment jugez-vous l’action du gouvernement face à la pandémie ?

Je trouve que la communication est à revoir. Depuis le début, pour toutes les décisions qui ont été prises ou annoncées, nous avons vraiment l’impression qu’il n’y aucune personne issue de notre domaine qui soit entrée dans les conversations à un moment donné, parce que lorsqu’on vous annonce qu’on ferme le samedi soir à minuit pour le lendemain, on ne prend absolument pas en considération notre profession. Quand on nous annonce deux ou trois jours avant que finalement vous allez peut-être payer la terrasse mais finalement vous n’allez pas la payer, que finalement vous pouvez ouvrir mais il vous faut des paravents pour séparer les tables donc c’est un investissement en plus. Tout cela amène à dire que la communication a été mal gérée. Cependant, au niveau des aides, nous pouvons toujours demander plus mais quand nous comparons aux pays limitrophes, nous avons quand même été très soutenus.

Pensez-vous que votre entreprise survivra ?

Le but du jeu est que le restaurant survive. Comme la plupart des gens, nous n’avons pas une santé financière qui est fantastique puisque nous venons de passer plus d’un an sans revenus, sans activité tout en devant continuer à sortir de l’argent. Forcément, c’est une santé financière qui ne peut que s’affaiblir avec le temps. Maintenant, le but du jeu est de repartir de plus belle pour reprendre toutes ces forces-là. Et pour l’instant nous partons dans la bonne direction.

Et si la crise avait aussi du bon ? Finalement, quel(s) enseignement(s) tirez-vous de cette crise ? Sortez-vous plus fort de cette épreuve ? A quel niveau ?

Au niveau de la gestion d’entreprise, j’ai dû prendre 10 ans d’expérience ! Vis-à-vis des papiers, de différentes personnes qui peuvent graviter autour de nous et dont nous allons avoir besoin dans ces moments-là, et puis surtout je sais maintenant aller à la pêche aux informations. Cela nous a appris à continuer à nous débrouiller tout seul. Tout ce qui est gestion d’entreprise n’est pas mon métier de base, mais nous avons appris à nous développer et nous entraider là-dessus. Ce n’est que du bon pour la suite, cela nous servira. Et même sur les différentes propositions que nous avons été amenés à faire au niveau de la restauration, qui relèvent de la street-food, de l’épicerie, du traiteur, peut-être quand dans 5 ou 10 ans des projets nous arriveront ou mûriront, nous pourrons nous servir de toute cette expérience pour les lancer. Je suis plutôt de nature à dire que dans tout malheur, il faut aller chercher le positif et trouver un peu de bonheur. Je sors de cette épreuve plus fort et plus uni avec les gens avec lesquels je travaille. C’est ce qui nous fait penser que nous allons vraiment réussir à nous en sortir parce que nous nous sentons forts ensemble.


Comment entrevoyez-vous l’avenir ? Quels sont vos projets de développement ?

Je vois le futur plutôt dur. Mais je reste persuadé que si nous arrivons à tous nous accrocher, nous aurons, derrière, un très bel avenir. Je pense que d’ici un an ou deux, si nous sommes toujours là, de belles choses se passeront pour nous.
Nous avons beaucoup d’envies de développement, qui découlent soit des différentes expériences que nous avons pu avoir pendant le confinement, ou d’autres encore. Après ce sont les ressources qui, pour l’instant, manquent.

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