Yannick Alléno, plaidoyer pour un service mieux compris

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Aujourd’hui âgé de 52 ans, cet Auvergnat de Paris, fils de cafetiers originaires de la Canourgue, en Lozère, est devenu un des chefs français les plus en vue avec 13 étoiles Michelin en France et dans le monde. La traversée de la crise actuelle vient de lui inspirer une remise à plat totale de l’organisation du service qu’il vient de mettre en place au Pavillon Ledoyen.

Yannick Alléno
Avec "Cuisine brève, au Comptoir", Yannick Alléno lance une nouvelle culinaire. Crédit : Roberto Frankenberg

Yannick Alléno est déjà calé dans les starting-blocks de la réouverture du Pavillon Ledoyen où il dirige trois restaurants qui cumulent six étoiles Michelin. Il estime que la crise actuelle constitue un véritable tournant et modifiera les attentes des consommateurs. Il a mis à profit cette période d’arrêt forcé pour réfléchir à l’évolution du service dans la haute gastronomie. Cette réflexion vient d’alimenter un livre sous forme de manifeste, intitulé Tout doit changer ! Quel service pour le grand restaurant ? Dans une conversation avec Erik Perey, Yannick Alléno préconise une rupture totale avec les habitudes. Cette théorie, il a été jusqu’à la mettre en pratique chez Alléno Paris, le restaurant 3 étoiles Michelin qui trône à l’étage du Pavillon Ledoyen.

Tout est presque prêt dans ces murs pour recevoir les clients dès que le Gouvernement donnera son feu vert. Déjà, depuis la fin du premier confinement, l’établissement a réduit son activité à 5 services par semaine. Il n’ouvre désormais que le soir, en semaine. Un choix qui permet au chef adjoint Martino Ruggieri de se concentrer sur son objectif gastronomique et de mieux manager ses équipes. Yannick Alléno reconnaît ainsi faire une croix sur 3 M€ de CA. Il faut aussi considérer que la vitrine du Pavillon Ledoyen offre une rentabilité inférieure à celle des deux autres restaurants, L’Abysse et le Pavyllon. Durant ces derniers mois, le décor d’Alléno Paris a changé de physionomie. Le designer Kostia a divisé la salle à l’aide de voilages discrets qui segmentent l’espace dédié aux différentes tables rondes. 22 brodeuses ont chacune consacré près de 40 h de travail au décor de ces voiles rectangulaires. En réalisant cette élégante segmentation de l’espace, Yannick Alléno souhaite « renforcer l’intimité » de ses clients par une forme de « discrétion sociale » en accentuant l’aspect privatif. Un effort jugé aujourd’hui indispensable pour accueillir une clientèle très haut de gamme. « À l’intérieur de chaque espace, assure-t-il, nous pouvons repenser totalement l’organisation traditionnelle. »

Acteur à part entière

Une équipe de quatre personnes sera dédiée à chaque table. Elle « accompagnera le voyage des clients » en apportant un plus en termes d’informations sur le repas, les produits. Une fois le décor et la mise en scène plantés, Yannick Alléno veut révolutionner la conception du métier de serveur. Le cérémonial encore trop ampoulé doit être fluidifié, simplifié et surtout le serveur ne doit plus être un simple porteur de plateau, mais un acteur à part entière de la prestation, capable d’effectuer devant la table des gestes de cuisine de dernière minute comme achever la cuisson d’une langoustine ou préparer une sauce. Mais surtout, le serveur moderne doit intervenir en amont du repas. Le Pavillon Ledoyen a ainsi mis en place une conciergerie qui rappelle chaque client après la réservation. Il s’agit de préparer les choix, de s’enquérir des préférences, des allergies, des défiances et de définir les mariages mets-vins. « À l’issue de cette conversation, 80 % du déroulement du repas est planifié, assure le chef adjoint, Martino Ruggieri. Cela évite l’improvisation. Lorsqu’un client végétarien arrive, nous sommes parfois pris de court. Grâce à ce travail nous pouvons préparer une recette qui lui conviendra parfaitement. » En outre, « c’est aussi un moyen de redonner une chance à des plats longs à préparer comme les cèpes qui cuisent au four durant deux jours », renchérit Yannick Alléno. Cette conciergerie permet en tout état de cause de personnaliser totalement la prestation. Le chef n’exclut pas un jour de faire disparaître la carte devenue superflue.

« On dit que ce métier est difficile. Ce n’est plus vrai. »

Cette évolution de la conception des métiers du service est aussi managériale. Yannick Alléno considère aujourd’hui que les relations très hiérarchisées de la restauration ont vécu et que le fameux cri de soumission « Oui chef » ne doit plus avoir cours. Il prône une implication croissante du personnel dans le processus de création et d’innovation. Il les invite à faire des propositions. Il va même plus loin en parlant d’aménagement de travail à la carte dans ses équipes. Une expérience a été menée à bien au Pavillon Ledoyen. Le cuisinier estime que c’est le moyen de changer diamétralement le point de vue sur sa profession : « On dit que ce métier est difficile. Ce n’est plus vrai, il y a de moins en moins de coupures, les cuisines sont climatisées, les horaires sont normalisés. En revanche, aujourd’hui un cuisinier doit être cultivé et réfléchi. Il faut faire comprendre aux jeunes les formidables opportunités de ce métier. Quand j’étais jeune apprenti et que j’effectuais des corvées d’épluchage, je n’imaginais pas un seul instant ce que ce métier m’a apporté par la suite : de nombreux voyages, des rencontres avec des personnalités et des artistes. »

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