Benoît d’Onofrio, le sommelier omniverre
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Arrivé par hasard dans la sommellerie, Benoît d’Onofrio s’est pris de passion pour l’univers du vin : son savoir-faire et ceux qui le font. Puis, miné par son addiction, il décide de renoncer à l’alcool… mais pas à sa profession. Il la fait même évoluer avec le concept de sobrelier : sommelier de la sobriété, mêlant boissons alcoolisées et ses propres boissons sans alcool. Tout en nuance.

Sobrelier, sobreuvage, sobrepas… Talentueux et avide de créations dans le champ lexical, il l’est aussi dans les boissons sans alcool. Lui, c’est Benoît d’Onofrio, alias Le Sobrelier. Par ces créations lexicales, comprenez sommelier de la sobriété, pour boisson sobre issue d’une fermentation naturelle et spontanée, ou encore repas sobre, accompagné de différents types de boissons. Mais attention à ne pas en perdre son latin. La notion de « sobriété » est bien souvent galvaudée, comme le regrette Benoît d’Onofrio, qui aime aussi se définir comme un sommelier omniverre : « La sobriété n’a jamais été un renoncement, une abstinence. Ce n’est que pour l’alcool que nous réalisons cet amalgame, parce que nous avons trop peur que l’abstinence renvoie à un problème avec l’alcool, à notre alcoolisme. » Cet état d’addiction, Benoît d’Onofrio est bien placé pour en parler. Il fait même partie de son identité.
L’homme de 43 ans révèle en effet que l’alcool est présent dans sa vie depuis plus de 20 ans : « Ma première fois avec l’alcool est intervenue à l’âge de 17 ans. J’ai alors reconnu mon alcoolisme. Ou c’est plutôt l’alcoolisme qui m’a reconnu. » Bien avant de devenir sommelier. Et pour cause, celui qui est né en Seine-et-Marne est d’abord tombé dans le bain de la musique. En suivant des cours de musique durant sa jeunesse, puis en créant avec des amis de l’université un groupe de rock alternatif aux multiples influences (Radiohead, les Pixies, Pere Ubu…) : « Le groupe a été notre activité principale entre 2001 et 2010 », précise celui qui a également étudié la philosophie à l’université. Rien ne le prédestinait donc à entrer dans la restauration. « Si le goût pour les bons produits et les bonnes boissons était présent, il n’existait pas d’expertise », affirme-t-il au sujet de sa famille.
« Mon travail de sobrelier impose de comprendre les produits que j’utilise.»
Benoît d’Onofrio a suivi ses parents à Sofia (Bulgarie), puis à New York, au gré des mutations de son père en tant que responsable du service de sécurité, d’abord de l’ambassade de France, puis de la représentation permanente de la France auprès de l’ONU. Cependant, la vie est faite de telle manière qu’une simple rencontre peut décider de la direction donnée à votre vie : « J’ai mis les deux pieds dans la sommellerie, en 2010, en répondant à une offre d’emploi de caviste économe, c’est-à-dire d’intendant, à La Closerie des Lilas [Paris 6e]. » Son chef sommelier, s’apercevant qu’il s’intéresse au monde du vin, lui propose de devenir sommelier. S’engagent alors plusieurs mois de « formation officieuse », avant de devenir commis de sommellerie.
Puis, en 2015, il rejoint Charles Compagnon au Richer (Paris 9e) et prend la direction de la sommellerie pour l’ouverture du second restaurant de ce dernier : Le 52 Faubourg Saint-Denis (Paris 10e). Il y reste trois années au terme desquelles il décide d’intégrer La Cave de Belleville, caviste du 19e arrondissement de Paris. « Au restaurant, j’avais ce luxe de pouvoir bénéficier d’un retour immédiat. Aussi, en tant que sommelier, nous bénéficions d’une aura indiscutable, les convives sont facilement impressionnables. Je voulais donc me confronter à un temps resserré d’échanges, ce qui implique davantage d’écoute de la clientèle », explique Benoît d’Onofrio. Le sommelier retourne ensuite à ses premières amours en rejoignant, en 2020, Alexia Duchêne pour l’ouverture de Datcha (Paris 3e) avec la lourde tâche de constituer la cave. C’est pendant cette expérience qu’il connaît un sursaut. Celui-ci survient le jour où il se « retrouve confronté à des moments d’interrogation quant à la consommation d’alcool et à son impact sur [s]a vie ».
Il profite des congés estivaux pour démarrer une période d’abstinence. Mais quelques jours avant la reprise, une peur panique se fait jour. Comment concilier la profession de sommelier avec l’arrêt de l’alcool ? « J’en viens à me dire que je vais devoir mettre un terme à mon travail en sommellerie », lâche-t-il. Néanmoins, « je m’interroge sur ce qui m’a fait devenir sommelier : ce n’est pas tant le produit, mais davantage les techniques de travail et les personnes derrière les boissons », réfléchit-il. Malgré une rechute, il s’astreint à une deuxième tentative, débutée en 2022, et qui se poursuit toujours. La même année, alors que la cheffe Manon Fleury entre en résidence au Perchoir Ménilmontant (Paris 11e), il collabore avec elle pour proposer des accords mets et boissons – partiellement – non alcoolisées. Point de départ de sa carrière de sobrelier. Car selon lui, le sobrelier prépare ses propres boissons sans alcool, en utilisant différentes techniques d’extraction (infusion, macération, décoction), imaginées spécialement pour les plats servis. Avec dans l’idée de revaloriser des déchets issus de la cuisine (épluchures, parures, etc.). « Mon travail impose de comprendre les produits que j’utilise », souligne-t-il. De plus, « je trouve intéressant de créer de l’équilibre en contre-balançant les saveurs du plat », précise-t-il avant de rappeler : « Tout est dans la nuance. La sobriété, ce n’est que cela. »