Alors que son restaurant Datil avait à peine six mois, Manon Fleury a obtenu sa première étoile Michelin à seulement 32 ans. Cette ancienne escrimeuse de haut niveau œuvre pour plus de douceur et d’égalité en cuisine. Elle met un point d’honneur à hausser les femmes à des postes à responsabilités pour révolutionner le secteur.

La suite de l’obtention de son étoile en janvier 2024 et d’un reportage d’Envoyé Spécial en mars sur France 2, Manon Fleury a eu besoin de souffler. Alors qu’elle expliquait avoir choisi de s’entourer essentiellement de femmes dans sa brigade, elle a subi une tempête médiatique. « Cela ne remet pas mon travail en question, lance-t-elle. Je suis juste surprise de voir que partager ses valeurs et promou- voir la place des femmes en cuisine peut attirer la haine. » D’autant que, aujourd’hui, le restaurant est « archi complet ». La brigade a travaillé dur pour cette étoile.
Cette vigueur, Manon Fleury l’a développée très jeune. Ancienne escrimeuse de haut niveau, elle a mené une carrière de sportive en parallèle de sa scolarité. « L’esprit sportif m’aide dans mon métier qui demande beaucoup d’engagement. La façon de diriger est intéressante car elle est basée sur la coopération et l’esprit d’équipe, souligne-t-elle. Le sport a un côté bon enfant et ludique et on peut embarquer tout le monde avec soi. » On croirait d’ailleurs à une finale de football, quand toute l’équipe de Datil regarde à la télévision l’obtention de l’étoile en direct. Une scène de liesse que l’on connaît dans ce sport. Championne de France junior de sabre à 17 ans, elle a finalement arrêté cette discipline après le bac. « C’est très difficile de pouvoir vivre de l’escrime et je n’avais pas envie de cumuler deux métiers », confie-t-elle. Cette année, elle ira voir la compétition « féminine évidemment » aux Jeux olympiques à Paris, où ses amies vont concourir. « J’ai gardé un lien particulier avec ce sport ; il rassemble du monde, c’est très joyeux. » Ambassadrice du programme des Volontaires de Paris 2024, elle y défendra sa vision de la cuisine contemporaine autour de valeurs du bien-manger et de l’esprit d’équipe. Elle a d’ailleurs été relais de la précieuse flamme olympique le 15 juillet à Paris.
Rêve de terrain
Elle se voyait journaliste culinaire après le bac et elle a démarré en hypokhâgne à Paris. Mais finalement, elle s’est inscrite sur un coup de tête en école de cuisine. Son bon niveau scolaire l’avait orientée vers des études longues, pourtant elle rêvait « d’être en action, de faire quelque chose de [ses] mains »
En 2010, elle débute à l’école hôtelière Médéric, puis poursuit son cursus dans la prestigieuse école Ferrandi. « Dès que je suis entrée dans une cuisine, je ne me suis plus posé aucune question. » Ensuite, elle devient chroniqueuse dans On va déguster ! sur France Inter. Elle publie aussi, en 2022, Céréales, aux éditions Flammarion, un ouvrage de 73 recettes. « Je me sens privilégiée de pouvoir faire des choses différentes qui permettent d’avoir une stimulation intellectuelle », relève la cheffe prodige qui tient quand même à être chaque jour derrière les fourneaux.
Marquée par ses voyages, notamment l’Asie du sud-est dont elle s’est inspirée avec les bouillons jusque dans la décoration de sa salle, sa cuisine retrouve également des notes méditerranéennes. Son credo : travailler avec des petits producteurs pour valoriser leur travail par une cuisine sensible et poétique. Elle emmène régulièrement les équipes de Datil à la ferme Limons de Toulotte, en Seine-et-Marne. « Cela permet de comprendre pourquoi on n’a pas toujours certains produits », explique Manon Fleury. Leur maraîcher avait 8 kg de pêches de variété ancienne. Alors que la brigade n’avait pas prévu de pêches au menu, elles ont néanmoins acheté le stock pour en faire des pickles. Mais le manque de chaleur et l’excès de pluie ont mis les tomates à rude épreuve. Alors, il n’y aura pas de tomates au menu de Datil. « On en trouve dans le sud alors on préfère attendre, elles seront encore meilleures », espère la cheffe qui voudrait signer un contrat annuel avec son producteur. « C’est dans nos valeurs et notre vision du restaurant que de partager les risques avec toute la chaîne de production. »
Par ailleurs, elle justifie son engagement de discrimination positive par ce constat : « En écoles hôtelières, il y a 50 % de femmes et quelques années après, il n’y a plus que des hommes aux postes clés. ». Néanmoins, elle reçoit surtout plus de CV féminins. « Comme j’ai beaucoup communiqué sur le sujet, je pense qu’elles se sentent en sécurité avec nous dans ce milieu souvent masculin et dur, note-t-elle. J’ai été formée par des hommes et je ne rejette pas du tout l’apprentissage que j’ai eu. » En mai 2021, elle cofonde l’association Bondir.e, avec une vingtaine de cheffes, pour faire de la prévention contre les violences en cuisine auprès de la génération future en intervenant dans les écoles hôtelières. Cet engagement, Manon Fleury le tient notamment de sa mère, qui l’a toujours poussée à être indépendante. Avec des parents fonctionnaires, elle a beaucoup déménagé ayant ses ancrages dans l’est de la France. La « petite dernière » d’une fratrie de trois a toujours eu un fort caractère et un esprit de meneuse qu’elle fait perdurer jusque dans sa cuisine.