La difficile résurrection des licences IV

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Le Parlement est en train d’autoriser la création de licences IV dans les petites communes. Mais au-delà de ce problème juridique presque secondaire, la réintroduction des cafés de village nécessite une étude de marché sérieuse, un accompagnement sur le long terme et un soutien financier des collectivités.

Licences IV
1000 cafés a accompagné 300 communes qui cherchaient à ressusciter leurs anciens cafés de villages comme ici, à Tresson (Sarthe). Crédit : Alexandre Leroy

Le 10 mars dernier, l’Assemblée nationale a adopté un texte assouplissant la création des licences IV en zone rurale. Le texte de loi a été porté par Guillaume Kasbarian, député d’Eure-et-Loir et ancien ministre du Logement puis de la Fonction publique. Il a ainsi rappelé que « près de deux tiers des communes rurales n’ont aucun commerce, contre un quart en 1980 ». Le texte prévoit la création des licences IV ex nihilo dans des communes de moins de 3 500 habitants. Mais il devra encore recevoir l’approbation du Sénat avant d’entrer en vigueur. En 2019, déjà, le gouvernement avait offert la possibilité de créer de nouvelles licences IV dans les petites communes, mais la disposition était provisoire. Pour une durée de trois ans, elle appuyait le rôle de 1 000 cafés (association dépendant du groupe SOS et chargée de faire renaître des cafés de village).

L’objectif était de réintroduire du lien social et des services en milieu rural. La loi qui est en train d’être votée pérennise donc le dispositif. Avant d’être adoptée par les députés, la loi a été amendée. La gauche a notamment fait voter un article subordonnant la création d’une nouvelle licence à l’aval du maire de la commune.

Ce dernier aura également un droit de regard en cas de vente d’une licence liée à un transfert sur une autre commune. Enfin, le texte prévoyait de réserver ces créations de licences IV à des communes qui en étaient dépourvues. Le Modem a fait écarter ce principe de licence unique, qui pourrait pénaliser certains villages dont l’unique licence serait détenue par un établissement de nuit. Le projet de loi a été largement adopté par 174 voix : deux députés ayant voté contre.

Le Sénat, qui accorde une oreille particulièrement attentive au monde rural, devrait logiquement se montrer favorable au texte. Demeure la question des amendements issus de la chambre haute. Bernard Delcros, sénateur du Cantal se montre très favorable à la mesure qu’il entend voter « quand on sait l’importance du rôle que jouent les bistrots en termes de relations humaines. En termes de vivre ensemble et de cohésion sociale, ce sont des lieux de vie, voire des lieux de service quand ils développent une activité annexe, ce qui est souvent le cas. Pour un village, l’idée de pouvoir disposer d’une licence représente une vraie opportunité et un enjeu important ».

La logistique

L’élu du Cantal sait de quoi il parle. Il a été maire de Chalinargues, commune de 400 habitants, où subsistent encore deux licences IV : un bar-épicerie-tabac et un bar restaurant. Afin d’assurer l’activité du café multiservice, la mairie s’est portée acquéreur du bâtiment qui l’abrite, lorsqu’il a été mis en vente. Pour préserver leurs cafés, les maires des petits villages ont besoin de moyens financiers, mais aussi d’une logistique. C’est à ce niveau qu’intervient l’association 1 000 cafés. Depuis 2019, elle a accompagné 300 communes qui cherchaient à ressusciter leurs anciens cafés de village. « Nous avons aidé 230 communes autour de projets en dur, indique Kévin Magne, responsable des réseaux élus et porteurs de projets chez 1 000 cafés. Mais dans certains cas où ce n’était pas possible, nous avons imaginé des cafés itinérants qui vont de village en village. »

Tout ce travail a donné lieu à seulement une vingtaine de créations de licences. Mais en réalité, conscients du problème depuis plusieurs années, nombre de maires avaient conservé leur dernière licence IV en la mettant en sommeil. Par ailleurs, l’association 1 000 cafés a soutenu près de 90 bars déjà en activité pour une aide au fonctionnement. Enfin, certains établissements se sont orientés vers un autre type de licence, plus souple.

Il n’en reste pas moins que la possibilité de créer une licence IV sans frais, constitue une aubaine pour des communes rurales souvent dépourvues de moyens. En zone rurale, une licence IV se négocie en moyenne autour de 10 000 €. « Toute la difficulté consiste à trouver le bon modèle d’établissement, viable et adapté à la commune. Il faut bien analyser la situation avant de se lancer : réaliser des études de marché, établir des concertations avec les habitants », indique Kévin Magne.

C’est le travail qu’a effectué l’association à Ladinhac (Cantal) à la demande du maire, Clément Rouet. Le dernier café du village avait été fermé il y a plus d’une dizaine d’années, mais la commune avait pris soin d’acquérir sa licence et de la maintenir grâce aux bénévoles d’une association locale. Pour relancer l’activité, Clément Rouet est parvenu à réunir 1 M€ pour réhabiliter un bâtiment qui, à l’été 2022, a accueilli deux logements, une chaufferie à bois et un café restaurant multiservices baptisé Un air de famille. Pour le maire, qui se bat au quotidien pour maintenir la population de ce village de 480 âmes, l’enjeu est stratégique : « Dans les villages environnants, nous avons perdu cinq classes d’école dans les cinq dernières années. Il en reste deux à Ladinhac. Mais pour les conserver, il faut pouvoir proposer de nouveaux logements et un cadre de vie attirant. »

Le commerce assure les repas scolaires, ce qui lui offre une activité d’appoint en dehors des périodes touristiques. La salle des repas scolaires peut aussi accueillir des groupes, alors que de l’autre côté, autour du bar, quelques tables sont destinées aux repas ouvriers. Le café sert aussi de dépôt de pain à la boulangerie du village voisin de Lafeuillade-en-Vézie. L’association 1 000 cafés a aidé à cerner les besoins, à définir le profil de l’établissement et à recruter la gérante. Elle a également porté la société d’exploitation de l’établissement. C’est encore elle qui a abondé au compte courant de l’entreprise, en hiver, durant les mois creux. Grâce à un partenariat avec Klésia, elle a pu encourager les associations et les entreprises locales à utiliser Un air de famille comme lieu de réunion.

La pérennité

Depuis février 2025, Un air de famille est dépourvu de gérant. Selon le maire, cette vacance n’est pas due à un problème de rentabilité, mais plutôt à un choix de vie de la précédente gérante. L’association 1 000 cafés a trouvé un moyen de substitution pour les repas scolaires, avec un traiteur local, en attendant le recrutement d’un remplaçant. Mais cette fois-ci, Clément Rouet se donne du temps pour mettre en place une solution pérenne. Le prochain gérant créera lui-même la société d’exploitation du lieu. Il sera accompagné durant trois ans dans sa gestion par 1 000 cafés. Mais passé ce délai, il devra conduire l’entreprise sans aide. Le principal problème est souvent d’inscrire un projet dans la durée, comme c’est le cas à Siran, dans la Châtaigneraie cantalienne. Clothilde Barache, venue de l’Essonne, a repris en 2010 l’épicerie du village.

Trois ans plus tard, elle y ouvre un bar. La commune était propriétaire de la licence qu’elle loue à l’exploitante. « En fait, nous nous sommes aperçus que les personnes âgées s’attardaient dans l’épicerie pour discuter, explique la commerçante. C’était une idée sociale, même s’il faut reconnaître qu’il y a une vraie synergie entre ces deux commerces. » Les cafés épiceries d’autrefois sont de retour. L’épicerie accueille d’ailleurs d’autres services : dépôt de pain, point poste et cohabite en bonne intelligence avec le bar restaurant du village, le Relais du musée, qui jouxte la Maison des Frères Cazes, consacrée à l’accordéon.

Par la suite, la municipalité, dirigée depuis 2020 par Guy Mespoulhès, a pu acquérir l’immeuble de Chez Clo et a investi 563 000 € dans la rénovation totale de l’établissement et du logement qui le complète. Une pompe à chaleur remplace l’ancien chauffage au fioul très énergivore. L’établissement, qui est désormais doté d’une terrasse, a été inauguré en octobre 2023. Ces coups de pouce financiers des collectivités sont indispensables, comme le souligne le sénateur Delcros : « Les exploitants ne s’enrichissent jamais dans ces commerces ruraux, mais ils parviennent souvent à tenir. »

Ainsi, Guy Mespoulhès n’a pas hésité à aller chercher des subventions pour concrétiser ce projet. Pour lui, « il était nécessaire d’offrir de meilleures conditions de travail à une personne de confiance. Les cafés représentent un lien social, mais aussi un service dans un village où 95 habitants ont plus de 75 ans et n’ont pas toujours les moyens de se déplacer ». Le premier magistrat de Siran concède aussi qu’il y a une certaine compétition entre les communes : « Si nos deux cafés fonctionnent toujours, c’est qu’il n’y a plus rien autour. Quand on résiste, on finit par obtenir des résultats. Nous avons aussi la chance d’avoir une école de deux classes. Dans notre ancienne intercommunalité qui réunissait 12 villages, il ne reste aujourd’hui que deux écoles. »

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