La nuit n’est pas à la fête
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Sur fond de crise économique et d’évolution des modes de vie, un nouveau paysage des lieux de nuit se dessine… non sans peine ! Mais pour trouver un équilibre, ce secteur en difficulté a également besoin d’une écoute sans a priori de la part des pouvoirs publics.

Sur environ 1 600 clubs et discothèques recensés à la veille de la crise sanitaire, près de 500 établissements ont fermé durant la pandémie de Covid, d’autres ont changé de mains ou de modes d’exploitation. Un nouveau paysage est ainsi en train de se dessiner lié à des attentes diverses à la suite des confinements, des nouvelles façons de faire la fête, de la concurrence des bars dansants, des festivals, des raves, etc.
Mais la profession a du mal à faire face. Christian Jouny, délégué général du Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL), également propriétaire de boîtes de nuit en Loire-Atlantique, analyse des situations disparates dans l’Hexagone. « Il faut différencier les établissements ruraux, qui sont en difficulté, des petits clubs de centre-ville et des zones touristiques, qui tirent mieux leur épingle du jeu. Mais globalement, une baisse de 30 % du CA est fréquente. Le loisir n’est pas de première nécessité ! Il reste heureusement un noyau de jeunesse qui a toujours autant envie et besoin de sortir… mais doit faire des arbitrages. Ils viennent plutôt à l’occasion d’un événement, dépensent moins au bar. Le panier moyen a beaucoup baissé depuis sept à huit mois. »
Difficulté supplémentaire : pour cette génération qui a fait la fête chez elle pendant la Covid, le club reste souvent un concept un peu vague. Même son de cloche chez Afshin Assadian, président du collectif Culture Bar-Bars (fédération nationale de cafés-concerts) et directeur du Djoon (Paris 13e) : « Les plus jeunes, 18-22 ans, ont clairement des problèmes de budget. Nous essayons donc de faire évoluer nos offres, de proposer des prix d’entrée évolutifs ou de mettre en place des systèmes d’abonnement. » De nombreux clubs ont ainsi fait l’effort de ne pas augmenter leurs tarifs, mais pour combien de temps ?
Faire évoluer le regard et la législation
D’autres lieux cohabitent avec les clubs classiques et les discothèques dans une approche différente. Le collectif Culture Bar-Bars regroupe ainsi environ 500 lieux adhérents, structures indépendantes qui organisent des concerts, spectacles et autres dans un cadre convivial et accessible. « Au Barlone, la carte démarre à 1,50 €, plaide Jean Corrière, administrateur et membre actif du Collectif, et directeur du Barlone (club inclusif à la programmation éclectique). Notre credo est l’ouverture à tous, donc entrée libre et pas de billetterie. Ce qui nous prive automatiquement des aides du Centre national de la musique par exemple. Pourtant, nos lieux proposent quelque chose qui ne se trouve pas ailleurs et qui encourage l’acceptation des différences : touristes, habitués, curieux. C’est ainsi que l’on fait société. »
« On a besoin de lieux festifs encadrés pour la jeunesse ! »
Afshin Assadian évoque aussi des moyens de promotion et de communication qui doivent s’adapter et jouer le jeu des réseaux sociaux avec intelligence. « C’est l’algorithme qui est devenu notre grand maître à tous ! » Christian Jouny déplore depuis des années, au nom du SNDLL, le manque d’écoute et d’échange avec le ministère de l’Intérieur qui pourrait aboutir à une charte autour des problématiques d’alcoolisation et de débordements excessifs. « Lors d’un accident de la route ou d’un problème à proximité d’une discothèque, les autorités cherchent immédiatement la responsabilité pénale du gérant. Et pourtant nos adhérents sont en général extrêmement rigoureux. Nous luttons de façon très active, avec des équipes de sécurité formées, pour éviter la vente de stupéfiants à l’intérieur de nos discothèques. Nous nous heurtons aussi à un phénomène nouveau : des jeunes qui s’alimentent, en toute liberté, en alcool dans les grandes surfaces et se présentent en ayant déjà consommé. Mais les pouvoirs publics et les préfets sont trop souvent complètement déconnectés de ces réalités. Nous n’échangeons que pour discuter des sanctions qui nous sont infligées ! »
Force est de constater que la profession reste encore assez mal perçue sur le plan politique, en lien avec un fantasme des années 1980. Et pourtant, il s’agit aujourd’hui d’entrepreneurs à part entière, engagés et formés. Il leur est, par exemple, très difficile d’obtenir un prêt bancaire pour ouvrir une discothèque. Là aussi, Christian Jouny interpelle les pouvoirs publics : « Dans ce contexte, qui seront ces acquéreurs qui n’ont pas besoin de prêt ? »
Paris, une ville de plus en plus nocturne
Bien entendu, les situations sont différentes selon les villes. « La mairie de Paris a fait en sorte que nous ayons des interlocuteurs, note Afshin Assadian. Ils sont présents sur le terrain et nous connaissent. La ville a ainsi créé un modèle de relation constructive, ce qui est loin d’être le cas partout. » Jean Corrière apprécie également d’avoir des interlocuteurs, tout en regrettant une multiplication des amendes. Une forme d’ubérisation, de standardisation de la contravention avec comme seule réponse : « Faites des recours. »
« Nous sommes tout à fait en mesure d’organiser des soirées où les débordements sont contenus. Ce que je regrette, c’est la sanction systématique sans échange en amont pour gérer le problème. Faut-il croire que la volonté serait de mettre la nuit en périphérie et de la confier aux grands groupes ? » Frédéric Hocquard, chargé du tourisme et de la vie nocturne à la mairie de Paris, reconnaît les difficultés mais conserve un certain optimisme : « On sent à nouveau une bonne dynamique. Paris est une ville qui monte au plan européen en termes de vie nocturne, au détriment de Berlin par exemple. La scène électro ou la scène rap sont extraordinaires ici ! »
Il rappelle que la mairie s’implique depuis des années dans le développement d’un contexte socio-économique favorable, à travers la médiation, les commissions de régulation de débit de boissons, la présence d’interlocuteurs. La municipalité assure aussi un travail de prévention et de sensibilisation autour des violences sexuelles ou de la réduction des risques. Enfin, elle propose des espaces pour des expressions artistiques alternatives, comme Kilomètre 25 (Paris 19e) ou Virage Paris (17e), et se fait l’intermédiaire afin que des lieux atypiques comme les hippodromes puissent devenir ponctuellement des espaces de fête ou de festivals. « Un travail de long terme et de fond pour créer un contexte favorable au développement de la culture de la nuit. »