Livraison, gestion des stocks, recrutement, accueil des touristes, les Jeux olympiques et paralympiques représentent autant une aubaine qu’un casse-tête pour les restaurateurs. Comment s’y préparent-ils ? Quels sont les outils mis à leur disposition ?
À quelques semaines de l’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024, les professionnels de la restauration se posent beaucoup de questions. Comment assurer les livraisons, la collecte des déchets, les déplacements des collaborateurs, la sécurité ? La communication est encore floue, même si le Lujop (le groupe de travail sur la Logistique urbaine pendant les Jeux), piloté notamment par la Métropole du Grand Paris, dévoile progressivement ses recommandations pour préparer l’arrivée des JO.
Selon le collectif, 4,4 millions d’enlèvements ou de livraisons sont habituellement comptabilisés chaque semaine sur la période d’été en Île-de-France. Il faut donc s’attendre à de sérieuses perturbations, quand bien même de nombreux Franciliens seront en vacances. Selon l’Office de tourisme de Paris, la capitale va accueillir 11,3 millions de visiteurs pendant les Jeux olympiques (du 26 juillet au 11 août) et 4 millions pendant les Jeux paralympiques (du 28 août au 8 septembre).
« L’inquiétude est presque plus grande pour les Jeux paralympiques, car ils coïncident avec la rentrée scolaire, et de nombreux salons professionnels sont maintenus », souligne David Zenouda, responsable de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) Paris-Île-de-France, en charge du dossier JOP. En incluant le périphérique parisien, 185 km de voies de circulation seront réservés aux véhicules accrédités, ainsi qu’aux véhicules de secours, aux transports en commun et aux taxis pendant les Jeux (ils seront accessibles entre les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques selon des modalités précisées par la préfecture de police).
Directeur de plusieurs établissements sur la Seine – les bateaux Le Son de la Terre, la péniche Marcounet et la terrasse Notre-Dame-L’Équité –, Arnaud Séité est affecté par les restrictions liées à la cérémonie d’ouverture, organisée sur 6 km le long du fleuve : « Bien que nous ne soyons pas sur le parcours, nous devrons a priori fermer cinq jours avant le jour J. Mais nous avons peu d’informations sur les éventuelles compensations qui pourraient nous être octroyées. Nous attendons encore des réponses », confiait-il au début d’avril.
Des zones distinctes
Les établissements à proximité des lieux d’épreuves sont concernés par les classifications en zone bleue (accès motorisé réglementé) et en zone rouge (accès motorisé interdit sauf dérogation). Ces zones seront fluctuantes de jour en jour en fonction du calendrier des épreuves. Les autorités recommandent la marche pour des déplacements de moins de 3 km, le vélo entre 3 et 10 km, et les transports en commun ou le covoiturage au-delà de 10 km. Sachant que trois stations de métro seront fermées (Tuileries, Concorde et Champs-Élysées-Clemenceau), ainsi que le pont Alexandre III, dès le 17 mai.
Une plateforme numérique baptisée JOPtimiz doit être lancée, permettant de générer un QR code pour accéder aux zones bleues et rouges. Le professionnel renseignera sa raison sociale, son Kbis, la carte d’identité du chauffeur et un numéro d’immatriculation pour se voir délivrer une autorisation de circulation. Il aura aussi accès en temps réel à la carte des aires de livraison disponibles et à un calcul d’itinéraire. Ces mesures concernent également les taxis déposant des clients ou les transports de personnes en situation de handicap.
« On se prépare depuis des mois, affirme Charles Dassonville, directeur concepts et standards d’Areas France, groupe de restauration qui opère notamment dans les gares de Lyon, Saint-Lazare et Montparnasse à Paris. On échange régulièrement avec nos fournisseurs pour préparer au mieux ce rendez-vous. Il faut tout imaginer : qu’un site ne puisse pas être livré car il y a une course cycliste, que l’on doive faire réparer une chambre froide en urgence… » N’oublions pas que les épreuves des Jeux ne
concernent pas que Paris, mais aussi d’autres villes hôtes : Lille, Nantes, Bordeaux, Marseille, Nice, Lyon, Saint-Étienne et Châteauroux.
L’anticipation
Pour se préparer à cet événement exceptionnel, les pouvoirs publics ont un mot d’ordre : anticiper ! Le Gouvernement a d’ailleurs lancé le site internet anticiperlesjeux.gouv.fr, dont la mise à jour laisse cependant à désirer. Les commerçants se plaignent aussi de l’accent mis sur le télétravail, au détriment de leurs activités. Au-delà de la logistique du quotidien, les restaurateurs doivent penser en amont à leurs approvisionnements : stocker en avance les marchandises non périssables, se faire livrer des volumes plus importants et moins souvent, mutualiser les livraisons entre commerçants, décaler les horaires.
L’afflux de touristes internationaux est une aubaine, mais il ne faut pas négliger les visiteurs locaux, selon Corinne Menegaux, directrice générale de Paris je t’aime – Office de tourisme de Paris : « Il faudra compter avec une clientèle étrangère prête à dépenser de l’argent dans les restaurants, et avec des Franciliens de passage à la recherche de solutions sur le pouce. Tous les types de restauration seront concernés. » Sur les 11,3 millions de visiteurs attendus pendant les Jeux olympiques, l’Office de tourisme évalue à 2,3 millions le nombre de personnes disposant de billets, prêtes à dépenser le double d’un touriste habituel, et à 9 millions le nombre de voyageurs sans billet, au pouvoir d’achat plus limité.
Le précédent des Jeux olympiques de Londres, qui a vu une baisse de 15 % de la fréquentation culturelle, laisse supposer une moindre activité des musées mais une bonne dynamique sur les cafés et restaurants. Les tendances sur les réservations aériennes au premier semestre 2024 par rapport à la même période en 2023 (+ 548,6 % pour la Chine, + 60,7 % pour le Japon, + 15,8 % pour le Canada, + 14,6 % pour la Corée du Sud) peuvent inciter à adapter ses menus en fonction des nationalités, à moins de jouer la contre-programmation comme la péniche Marcounet.
« Notre programmation artistique a été prévue avant de connaître le calendrier des épreuves. On a l’habitude de proposer des concerts, des bals swing et salsa. L’idée est d’offrir une alternative, de changer d’ambiance par rapport à la thématique sportive », témoigne Arnaud Séité. Chez Little Miss Geisha (Paris 6e), restaurant et bar à cocktails d’inspiration japonaise face au jardin du Luxembourg, « nous avions déjà des réservations de clients étrangers début mars pour la période des Jeux. Notre problématique est surtout de trouver du personnel pour les livraisons en horaires décalés », souligne Lucas Liglet, responsable du bar.
Quel personnel disponible ?
Le recrutement est un autre enjeu à anticiper pour les établissements. En mars dernier, le cabinet de conseil Kyu a publié un baromètre assez alarmiste sur l’emploi dans l’hôtellerie et la restauration pendant les Jeux, arguant que les besoins ponctuels en recrutement vont « être difficiles à absorber pour le secteur qui fait face à de fortes tensions et à des freins liés à son déficit d’attractivité […]. Plus de 500 000 personnes ont quitté le secteur entre 2020 et 2022 selon le ministère du Travail. » Ces départs seraient dus en priorité aux conditions de travail et de rémunération.
D’après Kyu, citant des chiffres de l’Afdas et du ministère du Travail, « l’accueil des Jeux de Paris 2024 pourrait mobiliser environ 61 800 emplois au total au sein du secteur touristique, dont 15 910 emplois sur les métiers de la cuisine, 13 490 sur les métiers du service en restauration, 2 360 emplois sur les métiers de service à l’étage en hôtellerie et 1 440 sur les métiers du hall en hôtellerie. » Au grand public s’ajoutent les 15 000 athlètes et leur entourage, les milliers de journalistes et les prestataires de l’organisation.
Ce sont ainsi plus de 15 millions de repas qui seront servis durant les deux quinzaines. Pour le directeur de la péniche Marcounet, « nous ne devrions pas avoir de mal à recruter, car on propose un cadre de travail agréable et la plupart des saisonniers reviennent d’une année sur l’autre. » David Zenouda, à l’Umih, est plus inquiet concernant les embauches du personnel de sécurité, indispensable pour les établissements de nuit : « Je crains que les meilleurs éléments partent sur les lieux privatisés par les partenaires, qui représentent les plus gros budgets, et qu’il y ait des pénuries ailleurs. »
Enfin, lorsqu’on a géré les problèmes de circulation et de recrutement, comment accueillir au mieux la clientèle dans ce contexte particulier ? L’Office de tourisme a publié des éléments de langage visant à rassurer les visiteurs. Non, les prix ne seront pas plus élevés, oui, il reste de la disponibilité hôtelière, et les zones touristiques comme Montmartre, le quartier Latin, Saint-Germain-des-Prés ou le Marais ne seront pas perturbés. L’Alliance France Tourisme, organisme qui regroupe des professionnels du tourisme comme Accor, ADP, Barrière, Groupe Galeries Lafayette ou SNCF Voyageurs, a établi un module de formation en ligne dédié à « l’hospitalité à la française ».
À la façon d’un jeu vidéo, l’utilisateur choisit un avatar et doit réagir à des mises en situation, afin de collecter des points et de progresser dans la formation. « En tant qu’hôtes, vous êtes des ambassadeurs de l’élégance française », déclare le film de présentation, qui rappelle quelques principes de l’accueil : sourire, être patient, venir au-devant des touristes qui semblent perdus, garder une distance pour ne
pas les brusquer…
Le ministère de l’Intérieur a participé à la création de la plateforme pour répondre aux questions de sécurité à l’intention des 30 000 policiers et gendarmes qui seront déployés pendant l’événement. Par exemple, il faut pouvoir orienter les visiteurs en cas de vol ou de problème médical. Un autre module, « Paris iconique », se concentre sur des connaissances de culture générale autour de l’histoire de la capitale et de ses monuments. Le contenu est accessible sur le site alliance-france-tourisme.fr.
Face à toutes ces complications, les professionnels veulent rester optimistes et croient à une belle fête qui fera honneur à la France. Lors de la conférence de presse d’Alliance France Tourisme, Alexandre Liot, directeur des opérations des Galeries Lafayette France, a poussé un cri du cœur : « On s’apprête à accueillir le plus grand événement du monde, il faut montrer qu’on en est fiers et ne pas donner l’impression de le subir. » David Zenouda tient à relativiser : « Ça ne représente que deux fois 15 jours dans l’année et cela va donner un effet de loupe incroyable sur la capitale. Je me réjouis de participer à ce moment unique dans une vie. »
