Fonds de commerce : et si c’était le moment d’investir !

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Alors que les prix des fonds de commerce sont orientés à la baisse et que, dans les prochains mois, de nombreuses entreprises défaillantes seront sur le marché, il peut être tentant d’investir. Le dynamisme de la reprise et l’engouement des Français pour la restauration semblent indiquer que les planètes sont enfin alignées.

« Acheter au son du canon et vendre au son du clairon », le vieux dicton boursier a sans doute aujourd’hui du plomb dans l’aile, notamment dans le secteur de la restauration. Exsangues après une crise sanitaire de 15 mois, de nombreux acteurs souhaitent se retirer et beaucoup d’observateurs estiment que les prix des fonds sont nettement orientés à la baisse. Les possibilités d’extension de terrasse sont aussi venues rebattre les cartes des valorisations.

Par ailleurs, les perspectives de redémarrage se révèlent plutôt favorables. Après la réouverture des terrasses le 19 mai, puis celle partielle des salles le 9 juin, voilà que la fin du couvre-feu à 23 h a sonné prématurément. Ainsi 88 % des Français souhaitent retourner au restaurant et 94 % d’entre eux ont pris la résolution de s’y rendre plus souvent. Plus surprenant, 34 % pensent même se lancer dans la restauration, en créant leur établissement ou en devenant associés. Dans une situation qui évolue progressivement mais positivement, la période actuelle peut se révéler une excellente opportunité pour investir dans un établissement. « C’est un secteur qui continue d’attirer des investisseurs, confirme Bruno Marcillaud, directeur général du groupe Horeca, spécialisé dans la vente des bars et restaurants. Les gens continueront à aller au restaurant et dans les bars. Cela donne envie à des acquéreurs d’acheter. » Même son de cloche du côté de Romain Amblard, cofondateur de Service Compris, un incubateur dédié aux entrepreneurs de la restauration. « La Covid peut même être un accélérateur, avec la quête de l’entrepreneuriat, le retour aux métiers manuels. Cette crise a rendu la restauration presque plus accessible », estime-t-il. Pourtant, la réouverture n’induit pas la fin de la crise pour les CHR.

Un effet de bulle peut être attendu, qui pourrait durer plusieurs semaines, avant une baisse de la demande. Une question se pose pour Maître Didier Bruère-Dawson, avocat associé au cabinet Bryan Cave Leighton Paisner, en charge du pôle restructuring : « Après l’effet de libération lié au déconfinement, les gens iront-ils toujours autant dans les restaurants le midi ou le soir, alors que, dans les centres des villes, le télétravail installé va modifier leurs habitudes ? Les consommateurs voudront peut-être sauvegarder leurs économies face à l’incertitude d’une augmentation des impôts et de la menace du chômage, alors que le service sera confronté durablement à des contraintes sanitaires qui jouent toutes sur le business model. » Ainsi, après cette bulle, se pose la question de l’état du marché à moyen terme. « La reprise économique, son importance et sa durée, reste malheureusement encore une inconnue pour nombre de secteurs », ajoute-t-il.


Lucas Sauquet et Arnaud Tan

D’ambitieux projets

« J’ai confiance dans cette reprise. Dans tous les pays qui ont rouvert, il y a un vrai engouement et un enthousiasme dingue », lance, optimiste, Lucas Sauquet, cofondateur avec Arnaud Tan, du groupe Mamahuhu, spécialisé dans la cuisine traditionnelle chinoise. Les deux Parisiens possèdent désormais trois établissements. Après l’ouverture de Panda-Panda (Paris 10) en mai 2019, ils ont voulu « continuer de se développer, comme le concept marchait bien » . Ainsi l’achat du fonds de commerce de Tiger Tiger (Paris 10) s’effectue lors de l’été 2020. Mais ce restaurant n’a ouvert qu’en janvier 2021, en ne proposant que de la vente à emporter. « Au sortir du premier confinement, nous cherchions d’autres terrains de développement », se rappelle Lucas Sauquet. Puis Dumpling Queen, uniquement de la vente à emporter, ouvre ainsi ses portes en novembre 2020. « Ce projet était facilement activable, précise le jeune entrepreneur. Nous restons ambitieux et nous sommes à la recherche de nouveaux concepts. Nous espérons pouvoir, si tout se passe bien, continuer à grandir, même dès cette année, fin 2021. »


Charles Perez et son associé Victor Dubillot

De la même manière, la crise de la Covid-19 n’a pas entraîné un changement de plan chez Charles Perez et son associé Victor Dubillot, qui ont fondé en avril 2019 la brasserie Bellanger (Paris 10). « Il s’agit d’une question d’état d’esprit, lance Charles Perez . Je n’ai jamais voulu prendre une décision en fonction de la Covid. Un projet de restauration prend des mois pour se mettre en place. » Les trentenaires viennent d’ailleurs d’ouvrir en juin leur deuxième brasserie et ne comptent pas changer de ligne directrice. « On est en train de sécuriser potentiellement un autre restaurant. Il y a beaucoup de choses à changer dans la restauration et que ce soit crise ou pas crise, on considère que c’est maintenant qu’il faut le faire et on aurait investi, Covid ou pas Covid », justifie-t-il.

« Les gens continueront à aller au restaurant et dans les bars. Cela donne envie à des acquéreurs d’acheter. »

Une stratégie également empruntée par les grands groupes tels que Big Mamma. Créé en 2015 par Victor Lugger et Tigrane Seydoux, spécialisé dans la restauration italienne, ce groupe a ouvert le 25 février dernier un nouvel établissement à Bordeaux. La marque était déjà présente à Lille, à Lyon, à Paris, à Londres et à Madrid, soit désormais 14 points de vente au total. « Les gens qui avaient des projets avant ou pendant la crise continuent de les avoir , confirme Bruno Marcillaud, qui n’observe pas de baisse des prix de l’immobilier. On a actuellement plus d’acquéreurs que d’affaires à vendre. » Toutefois, un autre phénomène menace et risque de se produire dans les prochaines semaines : le mur des liquidations.

De futures faillites

L’année 2020 a connu un nombre exceptionnellement bas de liquidations judiciaires grâce aux nombreuses aides de l’État. En effet, elles ont maintenu sous respiration artificielle tout un secteur, profitant ainsi à des établissements en mauvaise santé financière qui auraient dû cesser leur activité. « Pendant la crise sanitaire, nous avons, avec les amortisseurs, sauvegardé l’outil en évitant ainsi une crise industrielle et sociale majeure, estime M Didier Bruère-Dawson. Ce serait dommage qu’à sa sortie et en ne faisant pas ce qu’il faut, c’est-à-dire en ne prévoyant pas un retrait progressif des amortisseurs, par opposition à un arrêt brutal, on n’assure pas la survie de ce que la collectivité a investi durant les confinements, condamnant inéluctablement celle-ci à gérer un mur de faillites avec ses coûts induits. »

Une situation qu’envisage Charles Perez : « Sur des restaurants avec une mauvaise santé financière, avec de gros loyers, qui ne marchaient pas avant la réouverture, je pense qu’après le moment où il va falloir rembourser le PGE, cela va probablement accélérer leur fermeture. » S’il ne mise pas là-dessus pour développer son groupe, le créateur de la brasserie Bellanger avance la « possibilité qu’il y ait de nouveaux acteurs qui commencent à émerger à cause de cela ». Romain Amblard, qui tient aussi un restaurant à Saumur (49), possède un avis différent de ses confrères. « Je n’irai pas investir dans un nouveau lieu dans les six mois à venir, prévient-il. J’attendrai des perspectives sanitaires plus sûres. Notre recommandation : consolider ses acquis et ensuite profiter des opportunités, à la fin 2021-début 2022. »

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