Les fonds de commerce face à la crise : Paris, le géant endormi
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Fermeture des établissements, réouverture des terrasses, puis des salles, restrictions horaires et nouvelle fermeture… En quelques mois, les cafetiers et restaurateurs ont tout subi. La valeur de leurs fonds de commerce commence à pâtir, notamment dans le cas des discothèques, qui font face à une équation insoluble. Premier épisode de notre série sur les fonds de commerce : à Paris, le marché s’est éteint avec la crise.
Le climat économique ne respire pas la sérénité. Et pour les professionnels de la restauration et les bistrotiers, c’est un euphémisme. Le marché des fonds de commerce de ces établissements semble de nouveau au point mort, alors qu’ils ont dû baisser à nouveau le rideau le 29 octobre dernier. « Je fais ce métier depuis plus de vingt ans, mais aujourd’hui c’est tellement particulier… Nos clients ne savent pas comment faire : vendre ou ne pas vendre ? Nous ne savons pas comment rebondir », s’inquiète Bruno Marcillaud, directeur général du groupe Horeca et directeur de l’agence Century 21 Horeca Paris. Cette conjoncture économique très fragile a également un impact négatif sur le financement des bars et des restaurants, particulièrement pour les primo-accédants.
« Les banques sont davantage occupées par les PGE que par le financement des nouveaux projets. Le marché parisien a toujours été un marché dynamique, c’était le cas il y a encore un an. Mais nous sommes aujourd’hui sur un marché atone », constate-t-il, alors que l’agence Century 21 Horeca Paris réalise en moyenne 300 transactions par an dans des circonstances stables. L’alternance des périodes de fermeture, de restrictions, de réouverture, puis de nouvelle fermeture, semble avoir épuisé le marché des fonds de commerce CHR.
« Après la réouverture des établissements, nous étions dans une période de doute, mais les professionnels avaient le souvenir d’un marché actif avec des acquéreurs qui voyaient peut-être une opportunité d’investir. Fin août mi-septembre, le confinement était fini et nous étions bien repartis », analyse Michel Belhassen, directeur de l’agence Mibelimmo, spécialisée dans la vente de bars, brasseries et restaurants à Paris. Les nouvelles restrictions et la fermeture des CHR ont représenté un coup d’arrêt brutal. « J’avais des signatures prévues entre octobre et décembre qui ne sont pas arrivées à terme, et des dossiers qui ne sont pas passés. Cette deuxième phase a anesthésié le marché, les acquéreurs sont dans l’expectative », ajoute-t-il.
Un marché parisien épuisé
À Paris, la situation est tendue pour les établissements, mais tous les quartiers ne vivent pas la crise avec la même intensité. Avant la pandémie, certains arrondissements du centre et de l’est étaient devenus depuis quelques années le terrain de chasse de nouveaux acquéreurs. « Il y a des mutations par secteur, par exemple le 10e arrondissement était tendance il y a encore deux ou trois ans, maintenant nous observons une demande importante dans le 11e, autour d’Oberkampf et de Parmentier », remarque Éric Pitoy, responsable du développement réseau entreprises et commerces chez proprietes-privees.com.
Il observe aussi un engouement vers le Forum des Halles depuis six ou huit mois, mais aussi rue Rambuteau dans le 4e, rue de Bretagne (3e), dans les rues Montmartre et Montorgueil (2e), ainsi que rue du Faubourg-Montmartre (9e). « Les acheteurs attendent un peu, mais ils seront toujours présents à Paris », nuance Éric Pitoy. Selon lui, la Covid-19 pourrait particulièrement laisser des traces dans un quartier de l’ouest du Grand Paris, celui de La Défense, notamment à cause du télétravail. « D’importantes sociétés y sont installées et beaucoup de restaurants à gros loyers ne peuvent pas se rattraper avec le service du soir et il n’y a pas eu de rebond dans ce secteur comme à Paris cet été », précise-t-il.
Prix revus à la baisse
Le marché des fonds de commerce en CHR est globalement freiné par la crise sanitaire et les prix de vente sont revus à la baisse. Un phénomène ponctuel qui pourrait être critique si la baisse d’activité liée à la pandémie se prolonge. « Avant la Covid, il y avait une valorisation des brasseries autour de 1,5 fois le montant du chiffre d’affaires, indique Éric Pitoy. Mais maintenant, nous sommes plutôt autour de 1,2 fois le montant du CA. »
À la tête de Mibelimmo, un réseau parisien de vente de brasseries, bars et restaurants depuis 2013, Michel Belhassen relève également cette dépréciation. « Je gère la vente de petits bars, mais certaines grosses affaires peuvent atteindre 1,80 M€. Actuellement, des vendeurs sont dans l’attente, ils sont excédés par ces fermetures et cette impossibilité de travailler et les prix sont souvent revus à la baisse. » Il indique par exemple qu’un bar à Paris ayant une valeur vénale située entre 120 000 € et 150 000 €, et que les propriétaires souhaitent vendre rapidement, aurait un prix de vente de 100 000 €, voire 90 000 €. Soit des baisses de 20 % à 30 %.
En effet, l’activité d’un établissement détermine en partie la valeur du fonds de commerce, mais celle-ci est tronquée voire inexistante actuellement, notamment pour les bars à cocktails ou spécialisés en mixologie. « La présence clientèle sur laquelle on pouvait compter — et qui permettait aux acquéreurs de se projeter — est aujourd’hui interdite. Et si la Covid demeure, est-ce que les clients auront envie d’aller dans des petits établissements ? », s’interroge Michel Belhassen. Dans un tel contexte, les lieux trop exigus pourraient aussi avoir mauvaise presse. À cet égard, les agencements « de type Covid » et les établissements disposant d’une terrasse semblent davantage convoités. Pour les futurs propriétaires de fonds de commerce, la possibilité se trouve peut-être de l’autre côté du périphérique.
« Des acquéreurs sont désormais ouverts à l’étude de dossiers en petite couronne, dans le 94, le 92 et des villes qui jouxtent Paris. Certains clients souhaitent même vendre leur bien à Paris et acquérir en province, pour des raisons de mise au vert, cadre de vie ou loyers trop élevés », glisse Michel Belhassen. Néanmoins, dans ce marché parisien en crise, un type d’établissements bénéficie encore d’une certaine cote : les bars-tabacs. « Les bars-tabacs continuent à très bien se vendre à Paris comme en banlieue. Nous avons notamment une clientèle asiatique qui recherche toujours ce produit », reconnaît Bruno Marcillaud.
Prochain épisode : Fonds de commerce face à la crise : les ventes en chute libre partout en France