Loin des discours calibrés, Jean Terlon nous parle de ses difficultés à vendre son affaire et livre une vision amère des tendances contemporaines qui semblent laisser la restauration traditionnelle sur le carreau.
«Ici, on ne vend pas une paire de chaussures. Une affaire, cela ne s’évalue pas au débotté ; il y atout un tas d’éléments à prendre en compte. Personnellement, je suis bien incapable de savoir combien vaut un fonds en passant devant. » D’emblée, Bruno Marcillaud, directeur de l’agence Century 21 Horeca Paris, tient à relativiser l’entrain dont font parfois preuve les vendeurs lorsqu’ils s’attaquent à la cession de leur affaire. En effet, l’un des premiers réflexes devrait être de s’assurer une maîtrise optimale de ce qu’implique une telle décision ; ses obligations, ses droits, ou plus simplement comprendre sa propre situation. S’entourer est ainsi la démarche la plus sage, que ce soit de connaissances fiables et compétentes ou alors, plus communément, en faisant appel à des professionnels de l’immobilier qui sauront analyser votre cas. Bruno Marcillaud insiste sur la nécessité d’un dialogue franc : « Évaluer en détail un bail et un bilan, c’est notre métier. Nous disposons également de données et d’études qui ancrent l’établissement dans le marché local. On prend notre temps et on discute avec le propriétaire. Notre but est d’être les plus cohérents possible, tout en laissant ouverte la négociation et de la liberté au vendeur. Mais quand on nous rétorque : « l’affaire en face s’est vendue X milliers d’euros, pourquoi pas la mienne ? », on doit rappeler que chaque cas est différent et que sans connaître ni le bilan, ni le loyer, ni la rentabilité de son concurrent, toute comparaison est impossible. La seule exception où le bilan est secondaire, ce sont les belles brasseries parisiennes où l’on vend plus un emplacement.
Une législation toujours plus rigoureuse
Pourtant, aujourd’hui, la vente de particulier à particulier, du fait de sa facilité et son coût moindre, est de plus en plus répandue. Elle comporte cependant des risques, comme le précise maître Véronique Besson Van Veeren, avocate spécialisée dans les transactions de commerce : « Un particulier montre ce qu’il a envie de montrer et, souvent, ça ne correspond pas à la réalité ou, du moins, il y aura des lacunes. Dans ce type de transaction, nous passons ensuite notre temps à courir après des documents, alors que ce travail aurait dû être fait en amont. Aujourd’hui, vendre un fonds, ce n’est plus comme il y a vingt ans et les professionnels en agence sont les mieux armés pour répondre à ces attentes. Parmi les lacunes que maître Besson Van Veeren constate le plus souvent, on trouve une méconnaissance de la législation. « Je pense par exemple à la préférence aux salariés qu’il ne faut pas oublier de proposer à ses employés, précise l’avocate. Ou, plus prosaïquement, en termes de diagnostics et de contrôles obligatoires (l’électricité, le gaz). Encore trop d’établissements ne sont pas à jour au moment de la vente et cela retarde tout. Sans parler des normes d’accessibilité aux personnes handicapées. » Bruno Marcillaud épingle précisément ces dernières : « La période transitoire des dossiers Ad’Ap a été très mal comprise et des patrons n’ont pas déposé leur demande de dérogation à temps, c’est-à-dire avant le 1er avril 2019. Aujourd’hui, si vous n’avez pas votre dérogation à l’accessibilité handicapé, vous ne pouvez pas vendre, point barre.
Le droit de préemption
On peut également évoquer le cas du droit de préemption qui, s’il n’existe pas dans Paris, est présent en périphérie, par exemple dans certaines villes des Hauts-de-Seine. Celui-ci octroie aux communes le droit d’intervenir, ou non, lorsqu’un bien commercial est mis en vente dans un certain périmètre (un centre-ville, par exemple). Là encore, attention aux mauvaises surprises : « Il faut interroger la mairie pour savoir si l’établissement est dans une zone de préemption, poursuit Véronique Besson Van Veeren. D’autant qu’aujourd’hui, les municipalités ont un rôle parfois ambigu avec ce droit. Cette année, j’ai eu deux cas d’un compromis de vente où les repreneurs possédaient toutes les conditions suspensives à la transaction, sauf la non-préemption de la commune. Ils ont abandonné car la mairie leur faisait peur. Pourtant, celle-ci n’a finalement pas préempté et les vendeurs se sont retrouvés avec un fonds sur les bras.
Jean Terlon, vice-président de l’Umih Île-de-France et patron du restaurant Le Saint-Pierre, à Longjumeau
Jean Terlon.
TROIS QUESTIONS À…
L’Auvergnat de Paris : Depuis combien de temps essayez-vous de vendre ?
Jean Terlon : J’ai commencé à tâter le terrain il y a sept ans et ça fait trois ou quatre ans que je cherche sérieusement, mais sans succès. Je suis inscrit dans les agences, mais je n’ai aucun retour, seulement des e-mails qui me disent combien de personnes ont cliqué sur mon annonce. Sauf que je ne vends pas à des clics ! La seule visite a été via un site de petites annonces. Le discours des agents est de me dire : « c’est un gastro, on va vous trouver un couple qui veut faire du gastro. » Certes, mais pour l’instant, je n’ai vu personne. Je suis ouvert à tout, tant que l’on respecte un minimum mes attentes, mais du côté des agences, j’ai plutôt l’impression que ce genre de gros établissements fait peur. Elles préfèrent s’occuper des bars-tabacs pas chers et qui partent vite.
Comment expliquez-vous cette situation ?
Les temps changent. La belle époque où l’on vendait un établissement grâce à son chiffre d’affaires est révolue. Aujourd’hui, on vend des emplacements. La passion, le temps qu’on y a mis, la réputation que l’on a bâtie pendant trente ans, tout ça n’a plus de valeur. C’est dur à constater au moment de la retraite. De la même façon, l’histoire du jeune apprenti ambitieux qui gravit les échelons, fait sa carrière et reprend l’établissement, c’est du passé ! Les mœurs évoluent, la nouvelle génération ne veut plus de ce mode de vie difficile, gérer des équipes, etc. Alors ils font des concepts, du fast-food, s’implantent dans des quartiers d’affaires pour avoir leurs week-ends.
Vous devez également vous remettre en question ?
Oui, bien sûr, pourtant j’ai l’impression de mettre toutes les chances de mon côté. Je ne néglige aucun aspect, je joue carte sur table, je fais les visites en présence d’un agent immobilier. Je suis aussi prêt à aider l’acheteur. J’avais eu un contact avec des Toulousains qui faisaient de la cuisine du Sud-Ouest, comme moi. Il n’y avait plus qu’à enquiller, d’autant que je proposais de donner toutes mes recettes, etc. Ici ça tourne bien depuis cinquante ans ! Mais ils voulaient rentrer au calme à Toulouse et fuir le mode de vie parisien. Bref, on en revient à ces nouvelles envies. Désormais, je vais explorer toutes les pistes. On dit que c’est mieux d’acheter les murs, je vais y réfléchir. Il paraît même que l’on peut vendre un fonds en viager. Voilà où l’on en est…
Le restaurant Le Saint-Pierre, à Longjumeau.