Foodtech : la nouvelle arme des restaurateurs

  • Temps de lecture : 6 min

Le digital, vaste notion fourre-tout qui agite pourtant l’écosystème CHR. Quelle urgence y a-t-il à s’en saisir ? Comment s’approprier ces outils ? Plongée au cœur de l’algorithme de la foodtech.

30 % des CHR recrutent via des applications. Crédits : Unsplash.
30 % des CHR recrutent via des applications. Crédits : Unsplash.

Le mot« click & collect »fera son entrée dans l’édition 2022 du Larousse. C’est dire à quel point cette manière de consommer ponctue désormais notre quotidien. C’est aussi le marqueur d’un tournant que les spécialistes qualifient d’historique dans la façon de faire du commerce, et particulièrement en restauration. Bien plus qu’une tendance, ce qu’on nomme la« foodtech »– la restauration technologique – ouvre de nouvelles perspectives au secteur.« La restauration est dans l’état où était la GMS au début des années 1990,estime Emmanuel Grelaud, fondateur et CEO de Easilys, un éditeur de logiciels de gestion en restauration.Les cinq prochaines années vont être un grand boost, notamment avec la pression des consommateurs pour plus de transparence. Et cela demande une digitalisation à tous les étages : restaurants, fournisseurs, producteurs. »Une sorte de rapport gagnant-gagnant qui permettra de progresser sur deux tableaux : améliorer l’expérience clients et optimiser la gestion de son entreprise. Car l’un ne va pas sans l’autre.

« Le client final est désormais très à l’aise sur le digital et la Covid a en partie accéléré ces changements de comportement dont certains, comme le télétravail, ont un impact importantsur la restauration,explique Karen Serfaty, fondatrice et P-DG du salon Food Hotel Tech, spécialisé dans les nouvelles technologies en CHR.Comment savoir ce que souhaitent ces 20 % de Français qui ne viennent plus au bureau deux ou trois fois par semaine si on n’a pas les outils ? L’utilisation de la data progresse[lire en encadré], elle donne de la connaissance, et j’estime que d’ici à dix ans, les restaurants connaîtront bien mieux leurs clients, ce qu’ils aiment, de quoi ils ont envie de sorte à les inciter à venir. »

Digital et restauration traditionnelle : est-ce compatible ?

Le digital s’est forgé une place dans les esprits dans un contexte inhabituel où la restauration à emporter était la seule variable. Alors que la restauration à table reprend doucement des couleurs, cette corrélation digital-restauration rapide reste.« Connaître son consommateur n’empêche pas de continuer à proposer une restauration traditionnelle de qualité,souligne Karen Serfaty.C’est aussi enback officeque se joue l’expérience du digital, pour être plus efficace et plus transparent à moindre coût. Le client final vivra la même expérience, ce sont les coulisses qui sont différentes. »

On parle en réalité d’une nouvelle approche du métier, qui prend en compte de nouveaux paramètres et qui met les moyens, financiers ou humains d’en tirer parti.« Ce qui est sûr, c’est que le métier de restaurateur se professionnalise sur la gestion, il doit être communicant, optimiser lerevenue management, gérer des flux de commandes issus de plusieurs canaux,analyse François Blouin, président de Food Service Vision.L’enjeu est donc soit de se former soi-même, soit de faire appel à quelqu’un qui détient ces compétences. C’est une opportunité de transformation dont les restaurateurs profiteront dans les années à venir. Il est indéniable que c’est l’un des métiers qui se sera le plus transformé pendant la crise, avec un gain de productivité énorme à la clé. »

Le digital a pour objectif de faciliter la vie des restaurateurs, ce n’est pas pour autant un remède miracle.« Tout se passe à la mise en service. Ce n’est pas l’étape la plus agréable, mais c’est la garantie d’une utilisation efficiente par la suite »,rappelle Emmanuel Grelaud, chez Easilys.

Hyper-digitalisation : un risque d’overdose ? 

À force de tout confier à l’intelligence des algorithmes, la restauration peut-elle y perdre son âme ? Les observateurs du secteur sont formels : il est question d’une évolution des outils, rien d’autre.« Les comportements vont évoluer et les outils suivront le mouvement,résume Karen Serfaty.Aurait-on imaginé il y a dix ans se faire livrer une pizza dans un parc ? Tout changement provoque de la tension et qu’on le veuille ou non, l’écosystème entier est en train de changer, et les restaurants font partie de cet écosystème. »

Dans une étude menée en 2018, Food Service Vision avait rendu compte d’une tendance de la digitalisation des CHR : 25 % utilisaient des outils d’optimisation, 40 % faisaient leurs achats en ligne et 30 % recrutaient via des applications. En 2021, un nouveau sondage établit un boom des achats en ligne, 60 % y recourent.

« C’est essentiellement dû à la mise à disposition de nouvelles possibilités, notamment des marketplaces chez les grossistes et des sites e-commerces. C’est un effet domino restaurateur-fournisseur-client qui ira crescendo,confirme François Blouin.

En 2015, on comptait une soixantaine de start-up dans le digital en restauration. Aujourd’hui, il y en a 650 ! Le développement est d’abord passé par la communication avec le client, l’e-réputation et lesréseaux-sociaux. 2017 a marqué un tournant pour la réservation en ligne et c’est aussi l’émergence de la livraison et duclick & collect. La pandémie a accéléré l’ensemble de ces usages et les technologies vont continuer de se développer au fil de leur transformation. »Rendez-vous dans cinq ans pour faire le point.

Brut Butcher, les coulisses d'un restaurant 3.0

Lorsque Brut Butcher a ouvert son premier établissement en 2017, il y avait déjà des bornes de commandes en salle. L’enseigne de restauration spécialisée dans la viande, qui compte aujourd’hui 19 établissements en propre dans la moitié sud de la France, a toujours cru que le digital serait le gage de son succès. Gestion des stocks, du personnel, des commandes et du paiement, l’organisation des livraisons, le suivi HACCP… tout est informatisé. Mathias Tonielli, directeur général des restaurants, explique quelques-uns de ses choix.

Sur quel poste de gestion le digital a-t-il fait une différence flagrante ?

Au début, on gérait les stocks à l’ancienne, mais ce n’était pas satisfaisant. Nous nous sommes équipés d’un système de commandes fournisseurs automatique basé sur nos statistiques de vente et notre prévisionnel. Ainsi, j’ai limité de 30 à 40 % mes pertes liées à l’expiration de la DLC. Et pourtant, nous travaillons sans congélateurs et nous sommes livrés plusieurs fois par semaine en produits frais. Grâce à notre application, nous avons réalisé nos inventaires tous les jours et je connais en temps réel l’état des stocks. Je reçois des alertes sur ce qui doit être vendu le jour même.

Comment l'avez-vous intégré dans vos process de suivi sanitaire ?

Le suivi de l’HACCP passe par un Intranet sur lequel les employés renseignent les températures tout comme les contrôles à réception. Avec un simple scan, on sait déjà si la marchandise est conforme ou non en fonction des informations contenues dans le code-barres.

Comment gérez-vous l'explosion de la livraison et de la vente à emporter ?

Nous faisions déjà pas mal de ventes à emporter, environ 40 %, mais avec la Covid, la tendance s’est inversée. Je travaille avec Deliverect pour agréger les commandes des différentes plateformes et que mes équipes puissent travailler avec un seul outil. Nous avons aussi mis en place le retrait de commande à heure précise pour fluidifier le service. Lorsque le client commande, il indique l’heure de retrait souhaitée et sa demande s’intercale automatiquement dans le planning de production en fonction du temps nécessaire à la préparation.

Quel est votre prochain chantier digital ?

Nous lançons dans les prochains jours un programme de fidélité pour nous permettre de cibler nos promotions en fonction des habitudes du client. L’idée est de proposer la bonne off re au bon moment et à la bonne personne pour personnaliser l’expérience clients… et les faire revenir.

La data, qu'est-ce que c'est ? À quoi ça sert ?

La data, ou données en français, représente l’ensemble des informations collectées par un outil informatique. À savoir les coordonnées d’un client, le nombre de personnes à table, le montant de l’addition, le chiffre d’affaires d’une journée, le ticket moyen d’un service, le nombre de faux-filets dans la chambre froide… En bref, c’est une photographie chiffrée de l’activité d’un restaurant. Les start-up s’appuient sur ce potentiel pour développer des applications qui aident à analyser ces données et à les convertir en solutions pour améliorer la rentabilité.

PARTAGER