Restauration livrée : que sont devenus les acteurs historiques ?

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Lorsqu’il y a une dizaine d’années de nombreuses start-ups de la foodtech se sont lancées dans le milieu de la restauration livrée, chacune d’entre elles avaient pour ambition de révolutionner le secteur. Aujourd’hui, le bilan reste cependant inégal.

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Lorsque de nombreuses start-ups se sont lancées dans la livraison de repas à domicile en France il y a une dizaine d’années, elles ont propulsé le secteur de la restauration dans le futur. Crédit : Unsplash.

Le spécialiste de la livraison alimentaire Frichti a été repris par son concurrent La Belle Vie pour 480.000 euros. Déjà racheté en 2022, il a été placé en redressement judiciaire l’année suivante. Preuve que le marché de la restauration livrée est loin d’être un long fleuve tranquille. Pourtant, lorsque de nombreuses start-ups se se sont lancées dans la livraison de repas à domicile en France il y a une dizaine d’années, elles ont propulsé la restauration dans le futur. À l’époque, toutes avaient pour ambition de révolutionner ce secteur. Aujourd’hui, si certaines entreprises ont réussi à maintenir le cap, d’autres, ont en revanche mis la clé sous la porte. Au Coeur du CHR a réalisé une analyse rétrospective de ces acteurs historiques et de l’évolution de leur business model.

Foodchéri, les écologistes de la restauration d’entreprise 

Foodchéri est une start-up française, dans la restauration livrée, fondée en 2015. Elle propose à ses clients des livraisons de repas éco-responsables. Caroline Vignaud, cheffe R&D et RSE de FoodChéri, affirme fièrement : « On est le restaurateur le plus engagé de la foodtech. Notre mission a toujours été la même depuis le début. Nous voulons offrir aux consommateurs une alimentation savoureuse, saine et durable de façon facile ». Aujourd’hui, Foodchéri propose des repas en click & collect au sein de ses « comptoirs animés ». Ces derniers sont gérés par un « comptoir manager ». « Aujourd’hui, nous travaillons exclusivement avec des entreprises » ajoute Caroline Vignaud.

En effet, le business model de l’entreprise a beaucoup évolué depuis 2015. La start-up B2C s’est repositionnée vers le B2B. «Nous avons constaté qu’il y avait déjà beaucoup de compétiteurs dans le domaine de la livraison en ligne. La concurrence était trop féroce et il était difficile de se différencier” justifie la responsable RSE avant d’ajouter « Ce mode de fonctionnement ne s’alignait plus avec nos valeurs. En termes de logistique, la livraison aux particuliers représentait un trop gros coût financier et environnemental ».

C’est ainsi qu’est apparue l’idée de révolutionner la restauration d’entreprise. « Il y avait ce besoin de renouveau ». En 2017, Sodexo est entré au capital de Foodchéri. Ce géant de la restauration collective est devenu depuis 2021 leur actionnaire majoritaire. « Au-delà d’être notre actionnaire majoritaire, on partage beaucoup. Je dirai que c’est un vrai partenariat » précise Caroline Vignaud.

Néanmoins, Foodchéri reste prudent : « Ce n’est jamais un bon signal quand d’autres entreprises de votre secteur rencontrent des difficultés. En même temps, cela témoigne du fait que nous sommes arrivés dans une phase de maturité du secteur » commente Caroline Vignaud. « Aujourd’hui, on est sur des croissances moins stupéfiantes mais une rentabilité atteinte et des coûts mieux maîtrisés. C’est aussi un vrai soutien d’avoir Sodexo derrière nous » continue-t-elle.D’ici 2030, Food Chéri souhaite produire 65% de plats végétariens et proposer uniquement des emballages réemployables.

Clone, de « dark kitchen » à « host kitchen » 

Fondée en 2020, la start-up de food tech de restauration livrée Not So Dark, devenue Clone en 2023, est parvenue à lever 105 millions d’euros depuis sa création : « À la base, nous étions une pure dark kitchen comme il y en avait beaucoup durant la pandémie de Covid. Rapidement, nous nous sommes rendus compte que notre point fort était nos marques. En revanche, le time to market (le temps de mise en place de dark kitchens, ndrl) était très long et ce, notamment pour trouver des locaux et faire les travaux. Nous n’avions pas l’agilité des start-ups de la foodtech alors nous avons bousculé notre modèle en devenant des host kitchens. C’était un moyen de se développer plus rapidement.» commente Boniface Cuny, CEO office de Clone.

Selon ce dernier, cette évolution semblait évidente : « Notre décision était très pragmatique. Les professionnels de la restauration ont la connaissance et les ustensiles. Travailler avec eux était une façon d’unir nos forces. De plus, au lendemain du covid, devenir « host kitchen » de Clone leur a permis de générer un complément de revenu. »

Ainsi, afin de pouvoir cuisiner les marques de Clone, les restaurateurs doivent payer une commission sur le chiffre d’affaires réalisé par le biais des marques que leurs cuisines hébergent (le montant de ce dernier ne nous a pas été communiqué.)

« Notre travail consiste à créer des marques telles que Como Kitchen, Gaïa, Coquillettes ou JFK Burgers puis à communiquer sur ce portefeuille» précise Boniface Cuny. Aujourd’hui, Clone possède entre 1500 et 2000 cuisines à travers l’Europe et propose une quarantaine de marques. En France et en Belgique, cette start-up comptabilise 200 employés et 300 partenaires restaurateurs.

Frichti racheté par La Belle Vie 

Fin septembre 2023, La Belle Vie a racheté Frichti, le service de restauration livrée. Ces deux services de livraison de repas et de courses ont tous deux vu le jour en 2015. Alors que Frichti avait réussi à lever plus de 40 millions d’euros en 8 ans, la société a été acquise pour une somme de seulement 480 000 €, dont 450 000 € destinés aux stocks. En 2022, Getir avait déjà fait l’acquisition de cette start-up française avant qu’elle ne soit placée en redressement judiciaire l’année suivante.

Aujourd’hui, La Belle Vie souhaite se concentrer sur deux services de leur nouvelle acquisition : la livraison de plats préparés aux entreprises et l’épicerie en ligne (Frichti Market). Le changement majeur s’opère sur l’offre et la qualité des produits proposés. Leur objectif est d’offrir une large variété de produits similaires à ce que l’on trouve dans un supermarché, à l’image d’Uber Eats ou Deliveroo. Grâce à l’expertise de La Belle Vie, Frichti Market propose désormais des aliments haut de gamme.

Cependant, cette offre n’est disponible désormais qu’en Île-de-France. Par ailleurs, exit la livraison en 20 minutes. Les employés non-franciliens vont donc être licenciés. De plus, quatre cantines sur 18 vont fermer leurs portes et près de 44% des salariés vont se retrouver au chômage. Par ailleurs, quatre centres de logistique sur 16 vont être maintenus.

Foodora dit au revoir à la France 

L’entreprise allemande Foodora, spécialisée dans la restauration livrée à domicile, a annoncé, en septembre 2018, mettre fin à ses opérations en France. En 2016, la plateforme avait enregistré une perte de chiffre d’affaires de 10 millions d’euros. Dans une interview accordée au Financial Times en août 2018, Delivery Hero, la société mère de Foodora, explique que cette décision résultait de la forte concurrence sur ces marchés. « Nous sommes trop loin du numéro 1 » se justifie-t-il. Dans le communiqué de presse suivant, la France est considérée comme « pas assez rentable ».

Foodora est un service de livraison à domicile, fondé en 2014. Au début, tout semble fonctionner pour le mieux. En 2015, la start-up allemande rachète même certains de ses concurrents à l’étranger (Hurrier au Canada, Suppertime en Australie et Heimschmecker en Autriche). En 2016, Foodora était présent dans cinq villes françaises : Paris, Lyon, Lille, Nantes et Bordeaux.

Cependant, en 2018, en sus de la France, elle interrompt ses activités dans plusieurs pays européens tels que le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou encore l’Italie. En tant que prestataire de services, le modèle économique de Foodora repose sur des prélèvements faits à chaque course effectuée. Cependant, très rapidement, l’entreprise se retrouve déficitaire. À cela s’ajoutent différents litiges juridiques. En effet, en Australie, des syndicats de travailleurs l’accusent d’avoir fait signer des contrats de « sous-rémunération» à ses livreurs. Foodora est poursuivi pour infraction au code du travail. Depuis, le service de livraisons s’est retiré d’Australie.

Popchef,  l’alternative à la cantine traditionnelle 

Aujourd’hui spécialisée dans le marché de la restauration livrée d’entreprise via la livraison de plateaux repas, de snacking et de cafés en Ile-de-France, la start-up Popchef était à l’origine axée sur la livraison de repas aux particuliers.Or,avec l’émergence de plateformes de livraison très concurrentielles à l’image d’Uber Eats ou de Deliveroo, Popchef a dû se réinventer et changer entièrement de marché en 2017.

En effet, à cette période, la start-up ne parvient pas à lever 10 millions d’euros. « On a dû se séparer de 80% de l’entreprise en moins de 48h » confie François de Fitte, cofondateur sur la scène de l’Ampli de Big 8.Depuis, l’entreprise s’est réinventée : « Cela nous a poussé à changer du schéma classique d’entreprise », pour essayer d’implémenter un modèle un peu plus horizontal ».

Ainsi, Popchef propose désormais certains avantages comme un accès au capital pour tous les salariés et des vacances illimitées. Par ailleurs, depuis 2019, la startup s’est positionnée sur le créneau de la “cantine digitale”. Ce concept de cantine connectée permet aux collaborateurs d’accéder à un repas complet, dans un espace de restauration aménagé.

Aujourd’hui, la société se porte mieux puisqu’elle est parvenue à mener une levée de fonds de 15 millions d’euros en 2022. À l’avenir, Popchef souhaite s’étendre à l’étranger.

Nestor, la stratégie B2B 

En 2021, Elior, entreprise française spécialisée dans la restauration collective, rachète Nestor, spécialisé dans la restauration livrée de repas, dont le concept initial est de livrer un repas chaud par jour dans des bureaux. Ces derniers doivent être commandés au préalable par les salariés.À ses débuts, l’entreprise Nestor se portait plutôt bien et avait réalisé un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros en 2019. En revanche, l’année suivante, elle affichait une baisse de 25%.

Avec Nestor, Elior vise la rentabilité avec le service B2B. Lors d’une interview datant de 2021, Paul Quipourt, directeur de la transformation chez Elior, annonçait la mise en place du « comptoir Nestor, un espace de restauration complet avec la présence d’un Stewart Nestor dédié pour servir et accompagner les salariés sur site ». Pour l’instant, ces derniers n’ont toujours pas encore vu le jour.

Force est de constater à l’heure du bilan que le modèle BtoC n’a pas fonctionné. Les acteurs qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui ont fait évolué leur business sur le BtoB, devenant des sortes de traiteur moderne.

Dossier réalisé par Victoria Mbele et Elisa Hendrickx

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